Publié le 16 Jun 2016 - 23:00
MADIEYE MBODJ, PORTE-PAROLE YOONU ASKAN WI

‘’Pourquoi Y’en a marre et le M23 ont été exclus du dialogue ?’’

 

Si les concertations récemment initiées par le président de la République, Macky Sall ont été salutaires au départ, elles ont abouti à un ‘’faux dialogue faussement national’’, selon le porte-parole de Yoonu askan wi. Madièye Mbodj souligne que le chef de l’Etat a extirpé certaines questions du dialogue, de la même manière qu’il a exclu de ces concertations des pans entiers de la société dont le mouvement Y en a marre et le Mouvement du 23 juin. Dans cet entretien avec EnQuête, Madièye Mbodj théorise la mise en place d’un nouveau front des Assises nationales pour aller à l’assaut des suffrages des Sénégalais.

 

Votre parti Yoonu askan wi assimile les concertations nationales initiées par le président de la République a un faux dialogue faussement national. Peut-on savoir pourquoi ?

Ce dialogue pose en vérité le problème de la mise en œuvre de la réforme constitutionnelle. Mais celle-ci n’a pas fait l’objet d’un dialogue. On a inversé les choses. Il fallait dialoguer du contenu et de la date du référendum plutôt que de mettre les gens devant le fait accompli. A l’intérieur de ce qui a été voté, Macky Sall a choisi d’extirper du dialogue des questions qui nous semblent relever de sa seule appréciation. Par exemple, le Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT). Il a dit qu’il ne fait pas partie du dialogue, parce qu’il avait déjà préparé son projet de loi relatif à sa composition et à son mode de fonctionnement. Là, on se rend compte que ça va être une institution, parce que érigée au rang d’institution qui vient même avant le Conseil économique, social et environnemental (Cese). Donc, juste après l’Assemblée nationale. Il va être composé de 150 membres, plus que le défunt Sénat, qui vont être rémunérés, d’après le projet que j’ai lu, à hauteur des ¾ des indemnités des députés.

Qu’est-ce qui vous gêne dans tout cela ?

Ces décisions n’ont pas fait l’objet de discussion. Et le Président Macky Sall a choisi de les extirper du dialogue. Cela montre qu’il y a des préoccupations qui intéressent le président. C’est comment faire de ce Haut conseil une institution supplémentaire qui va permettre de caser des alliés ; on dit même que c’est prédestiné à quelqu’un de bien précis. Loger une clientèle politique, alors que ce n’était pas ça l’idée du HCCT proposée par les Assises nationales et la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri).

Que proposent les Assises nationales et la Cnri dans ce sens ?

Les Assises nationales ne proposaient pas que le HCCT soit une institution. Elles ne proposaient pas non plus qu’il y ait 70 membres désignés par le président de la République. Ce sont des conseillers locaux élus par leurs pairs par un suffrage indirect. La différence ici, c’est le président qui nomme pratiquement, selon son propre pouvoir discrétionnaire, la moitié des membres. Parce que s’il prend 70 sur 80, d’ailleurs même ils ont rectifié, parce que dans le premier projet, le Président devait désigner les 80 membres et les 70 autres devaient être élus. Ce n’est pas l’esprit des Assises et de la Cnri.

Vous avez, malgré tous ces griefs que vous soulevez, participé à ce dialogue. N’y a-t-il pas là un paradoxe ?

Nous avons répondu à l’invitation du président de la République. Nous avons reçu une invitation officielle. Nous l’avons analysée et nous avons estimé que, par esprit républicain, nous devions répondre. Autour de quoi on discute ? Pour aboutir à quoi et que faire des conclusions auxquelles on aurait abouti ? Ces questions nous ont semblé importantes à poser. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons accepté d’y aller. Malheureusement, quand nous sommes allés là-bas, nous nous sommes rendu compte que ce dialogue en réalité était un faux dialogue faussement national. Nous nous sommes rendu compte qu’il y avait des pans entiers de citoyens sénégalais exclus du dialogue et on ne comprend pas pourquoi. C’est le cas du mouvement Y’en a marre et du Mouvement du 23 juin (M23). Pourtant, tout le monde sait le rôle joué par ces deux organisations dans la défaite d’Abdoulaye Wade et la victoire de Macky Sall, en 2012. Au nom de quoi, ils ont été exclus a priori de ce dialogue ? Nous ne le comprenons pas.

Au-delà de ce dialogue national, les retrouvailles de la famille libérale sont agitées, depuis lors. Et les différents actes posés semblent aller dans ce sens. Comment appréciez-vous cela ?

Il faut souligner que ce prétexte de dialogue a servi pour préparer l’opinion à des retrouvailles entre le Pds et l’Apr et à une libération de Karim Wade. On a entendu le Président lui-même, sur Rfi, dire qu’il est possible, d’ici à la fin de l’année, que Karim Wade soit libéré. Au nom de quoi, il doit être libéré, alors que la justice l’a condamné pour enrichissement illicite. Nous pensons que les ressources du pays qu’il a soustraites pour s’enrichir personnellement et de façon illicite doivent servir à ce pays et donc pas à enrichir des individus ou à aller dans des comptes douteux au Panama ou ailleurs. Ça, c’est un problème qui, aujourd’hui, commence à prendre forme pour des retrouvailles entre libéraux et pour une libération de Karim Wade.

Le dialogue ne peut pas servir à cela. Parce que le référendum du 20 mars a servi, pour nous en tout cas, de base légale pour enterrer les conclusions des Assises nationales et les travaux de la CNRI. Nous avons aussi l’impression que ce dialogue national va servir de prétexte pour l’enterrement national de première classe de la traque des biens mal acquis. L’objectif de départ de cette traque, ce n’était pas seulement que Karim Wade soit seul en prison. Ils avaient fait eux-mêmes une liste de 25 personnes pour qu’elles soient traduites devant les juridictions compétentes afin qu’elles rendent gorge. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas.

Quelles peuvent être les conséquences de ces retrouvailles de la famille libérale et de la libération de Karim Wade sur l’unité et la cohésion de BBY ?

Nous avons pris la décision de sortir de BBY, avant ces tractations. Justement nous sentions cela venir, après évaluation. Ce n’est pas par hasard qu’on a décidé de sortir de BBY. Nous avons quand même cheminé pendant quatre ans, nous avons laissé le soin au pouvoir mis en place de mettre en œuvre les engagements pris devant le peuple. Nous avons évalué. Quatre ans après, nous nous sommes rendu compte que beaucoup d’engagements pris, à commencer par la réforme constitutionnelle n’ont pas été respectés. Et nous avons estimé qu’aujourd’hui, continuer de cheminer avec BBY, c’est accepter la remise en cause des engagements. C’est cautionner le ‘’wax waxet’’, la soumission forte de notre pays aux intérêts étrangers.

C’est cautionner la signature des APE qui vont détruire notre tissu économique, aujourd’hui et demain. Ça, il ne faut pas le cautionner. Pour nous, il ne s’agit pas de rester dans BBY et d’avoir quelques postes. Maintenant, quel impact pour BBY ? C’est aux alliés du président d’apprécier quelle incidence cela va avoir de se retrouver avec celui qu’on a combattu tous ensemble en 2012. N’oublions pas que nous étions tous ensemble pour nous débarrasser d’Abdoulaye Wade et de son régime, parce que nous estimions tous que c’était un danger, un désastre pour ce pays au plan économique, politique, institutionnel et éthique surtout. Nous avons tous combattu cela, pour renverser le pouvoir d’Abdoulaye Wade. Il y a, à l’horizon, des perspectives que ce pouvoir soit remis en selle d’une manière ou d’une autre, dans une nouvelle formule qu’ils sont en train de négocier. Il appartient maintenant à ceux qui sont avec le président de la République d’apprécier correctement cette situation.

Le ministre de l’Intérieur a récemment rencontré l’ensemble des partis politiques légalement constitués autour du processus électoral. Comment est-ce que vous trouvez cette initiative ?

Avant qu’on ne parle de dialogue, le 28 mai, ces concertations existaient. En 1992, cela nous a permis d’avoir un Code électoral consensuel. Il y a régulièrement des concertations entre les partis politiques et le ministre de l’Intérieur pour définir des règles consensuelles concernant les élections. Il est normal que les acteurs politiques et les citoyens se concertent autour d’un processus électoral pour en assurer la transparence, la fiabilité et le déroulement pacifique et démocratique. Nous estimons que tout le monde doit aller à ces concertations.

Comment est-ce que vous comptez participer aux prochaines joutes électorales ?

Nous sommes pour une candidature des Assises nationales. Nous sommes pour un nouveau front des Assises nationales. Il faut que ceux qui y croient réellement se mettent ensemble pour avoir une large base de rassemblement des forces politiques et sociales acquises à ces conclusions. Cette base doit rassembler ses forces pour avoir à la fois une liste autonome aux élections législatives et une candidature autonome à la prochaine élection présidentielle. Cette liste doit rassembler le maximum de forces politiques, sociales et citoyennes, mais avec une base qui soit fortement ancrée sur les conclusions des Assises. Parce que, pour nous, ces conclusions sont l’exemple, le modèle même de ce qu’on peut appeler un dialogue national positif et fécond. Il ne faut pas qu’on laisse tomber ces conclusions. Il ne faut pas qu’on accepte qu’on les enterre. Nous devons les élever à leur vraie dignité. 

PAR ASSANE MBAYE

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