Récit d’arrestations express
La police a interpellé, hier, en début d’après-midi, les activistes Aliou Sané, Mbessane Seck alias ‘’Kilifeu’’, Simon (Y en a marre), Guy Marius Sagna (Frapp/France dégage) et Babacar Diop (FDS) et Cie, pour avoir participé à un rassemblement interdit sur la place de la Nation. Les manifestants voulaient dénoncer le vote, par l’Assemblée nationale, de la loi sur le terrorisme qu’ils qualifient de ‘’liberticide’’ et visant à réprimer toute forme d’opposition dans ce pays.
C’est un instant de gloire certes éphémère, mais riche en rebondissements. Le regard déterminé, jeans, chemises et baskets aux pieds, tel des gladiateurs qui s’apprêtent à entrer dans l’arène, Aliou Sané, Mbessane Seck alias ‘’Kilifeu’’, le rappeur Niit Doff, Guy Marius Sagna et le Dr Babacar Diop (FDS) mesurent le défi qui les attend de l’autre côté de la rue qui jouxte la place de Nation. Sur les lieux, un imposant dispositif de sécurité, camions transporteurs de troupes, fourgonnettes et blindés ont pris possession des lieux, depuis la fin de la matinée.
Les petits groupes de journalistes constituent les seules poches de vie dans cette place baignée par le soleil. L’endroit est vide ; la chaleur étouffante. Les policiers sur le pied de guerre empêchent tout rassemblement sur la place de la Nation où les activistes avaient appelé à une manifestation contre la nouvelle loi sur le terrorisme. Tout à coup, des voix retentissent dans la place, les activistes ont trompé la vigilance des forces de l’ordre et ont fait irruption dans le lieu. Avec comme cri ralliement ‘’La loi doit être retirée ou Macky Sall dégage’’, ils entendent marquer le coup et frapper les esprits.
Entourés d’une forêt de micros et de perches, ils essaient de faire entendre leurs messages à un groupe de journalistes. Mais c’était sans compter sur la réactivité des hommes en noir qui cernent rapidement le groupe d’activistes. Des ‘’Macky Sall dictateur ! Cette loi ne passera pas !’’ jaillissent de l’assistance. Leurs supporteurs brandissent les bras en forme de croix, signe de protestation. Les policiers se saisissent des manifestants manu militari et les emmènent vers leur fourgonnette. Les tentatives de résistance et les récriminations de Kilifeu, d’Aliou Sané et de Guy Marius Sagna n’y font rien.
Des clés de bras, des prises au cou, à l’épaule et aux jambes forcent les plus récalcitrants à entrer dans le panier à salade. Un regroupement se forme rapidement autour des véhicules qui remontent les allées du boulevard Charles de Gaulle. Les policiers s’empressent de disperser la foule de badauds et de militants de la société civile venus participer à un rassemblement. ‘’Circulez ! Ne restez pas ici !’’, tonne la voix rauque d’un policier qui demande à une foule de jeunes de s’éloigner de la place. La tension est à son comble. Les manifestants crient leur désarroi. Des bras en croix, signe de ralliement du mouvement Y en marre, surgissent de la foule.
‘’Nous sommes privés de nos droits par un gouvernement autoritaire qui veut bâillonner toute forme d’opposition. Cette loi est une atteinte à nos valeurs démocratiques, car assimiler un manifestant à un terroriste est une hérésie qui n’a pas de nom’’, s’offusque Abdourahmane Sylla, étudiant en agronomie.
Non loin de là, des cris de joie s’élèvent. Un autre ‘’challenger’’ est venu défier la force publique et braver l’interdiction de rassemblement en vigueur sur la place de la Nation. Suivi par un groupe de militants, il se dirige vers la place interdite et se retrouve nez-à-nez avec le chef du détachement sécuritaire. ‘’C’est comme si on ne peut plus rien faire dans ce pays. Nous sommes venus satisfaire un droit constitutionnel et on nous empêche de l’exercer. Ce n’est pas normal’’, s’exclame-t-il à l’endroit du chef d’escadron. ‘’Un attroupement est formellement interdit. On vous demande de quitter les lieux, jusqu’à ce que les autorités autorisent votre rassemblement’’, répond-il.
Sur ce, le rappeur lui rétorque : ‘’Nous avons donné rendez-vous aux Sénégalais sur cette place. Il serait irrespectueux pour nous de ne pas être là. Honnêtement, je compte rester ici.’’ ‘’Donc, je vous arrête’’, lui répond le limier. Sur ses paroles, Simon, agrippé aux bras par deux policiers, se dirige vers le camion de la police anti-émeute.
Les rares points de presse improvisés servent de lieu de ralliement des militants de Y en a marre. Ils déversent leur colère sur le régime accusé de vouloir tuer la démocratie. Des ‘’Non à la dictature ; Macky Sall terroriste !’’, s’échappent çà et là.
Les arrestations se poursuivent près de la place de la Nation. Clédor Sène, comme le dernier des Mohicans, fera aussi les frais de l’intransigeance des forces de l’ordre. Après lui avoir intimé l’ordre de quitter les lieux, et devant son refus d’obtempérer, il est aussi interpellé et conduit manu militari dans la fourgonnette.
La police ‘’maitre’’ des lieux
Face à cette situation, quelques irréductibles décident de se faire entendre beaucoup plus violemment. Ainsi, des pierres, des poubelles et des morceaux de tôle jonchent rapidement la rue qui mène vers le rond-point du boulevard Dial et le boulevard du Canal IV. Des pneus et des poubelles sont brûlés. Les forces de l’ordre se mettent rapidement en branle. Casques, plastrons, jambières et boucliers sont de sortie. En petites formations, ils repoussent petit à petit les manifestants. Les blindés ouvrent la voie suivie d’un ou trois policiers qui déblaient le passage. Des grenades offensives retentissent et les fumées de gaz lacrymogène emplissent l’atmosphère.
Les forces de l’ordre réussissent à prendre possession des environs. La circulation reprend sur les artères menant à la place de la Nation. Des détonations s’entendent au loin, laissant présager de nouvelles échauffourées dans la capitale.
UNE VINGTAINE D’ARRESTATIONS, HIER Le M2D dénonce un ‘’kidnapping’’ et exige la libération des Y-en-a-marristes et Cie Le mouvement M2D/Aar Sunu démocratie n’a pas tardé à réagir à l’arrestation de plusieurs de ses membres, ainsi que ceux d’autres organisations et mouvements alliés parmi lesquels on distingue Nit Doff (rappeur) Kilifeu, Simon Kouka, Aliou Sané (Y en a marre) Guy Marius Sagna (Frapp), Babacar Diop (FDS/Les Guelwaars), Bentaleb Sow (Frapp), Clédor Sène (coalition Le Peuple), Mamadou Gadio (Frapp et Doy Na). Tous ces activistes et leaders politiques ont été interpellés lors du rassemblement à la place de la Nation. De ce fait, le M2D ‘’condamne fermement le kidnapping de ces militants et exige leur libération immédiate’’, peut-on lire dans un communiqué parvenu hier à notre rédaction. Poursuivant leur propos, les responsables du mouvement d’opposition mettent en garde le régime contre toute brimade et violence perpétrées à l’endroit des activistes et leaders d’opposition. ‘’Toute agression ou torture, de quelque nature que ce soit, sur ces militants, sera dénoncée auprès des juridictions nationales et internationales’’, informent-ils dans la note. Dans la même foulée, le mouvement réaffirme son opposition farouche à cette loi et maintient son appel à la résistance. ‘’Macky Sall persiste dans sa volonté d’instaurer un terrorisme d’Etat au Sénégal, comme c’est le cas dans les dictatures les plus cruelles’’, concluent-ils dans le document. D’après nos informations, une vingtaine de personnes ont été interpellées par la police, à la suite de la manifestation. Ils ont été éparpillés dans plusieurs commissariats de la capitale |
MAKHFOUZ NGOM