Le rugby, à l’instar des autres disciplines sportives, n’a pas été épargné par la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19. Dans un entretien accordé à ‘’EnQuête’’, le président de la Fédération sénégalaise de rugby fait l’état des lieux de la discipline au Sénégal et en Afrique. Selon Me Guédel Ndiaye, la balle ovale sénégalaise a reçu de plein fouet les contrecoups du nouveau virus Covid-19, mais espère que cette situation servira de recul pour mieux sauter à l’avenir.
Toutes les activités sportives sont arrêtées au Sénégal depuis deux mois. Comment vivez-vous cette période de crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 ?
Comme tout le monde, les rugbymen sénégalais vivent la période actuelle avec anxiété, mais aussi avec une certaine sérénité, du fait qu’aucun de nos proches n’est aujourd’hui atteint par le virus. Nous avons demandé à nos pratiquants de s’entrainer individuellement et intensément pour être prêts dès la reprise. Certains le font, d’autres non.
Vous avez suspendu vos différentes compétitions depuis le 14 mars dernier. Comment la Fédération sénégalaise de rugby compte s’y prendre pour la suite de la saison 2019-2020 ?
Nous avons, depuis l’arrêt de nos activités, élaboré plusieurs scénarios de reprise. Mais nous cessons de le faire à présent, car cela ne sert à rien, puisque nous n’avons aucune certitude sur l’avenir, donc aucune visibilité. Nous attendrons encore un peu avant de nous repencher sur la question.
Depuis quelque temps, on note le départ de jeunes rugbymen sénégalais vers la France. C’est le cas de Madiagne Fall et Abdou Aziz Thiam en début d’année. Peut-on mettre ces départs sur le compte du travail effectué par la Fédération sénégalaise de rugby que vous dirigez ?
Au-delà des deux joueurs que vous citez, nous avons bien une dizaine d’autres qui ont rejoint des clubs français depuis 2 saisons. Je pense effectivement qu’ils ont été repérés grâce au travail abattu par la fédération, par les clubs, mais aussi, bien sûr par le travail que ces joueurs ont personnellement effectué pour améliorer sans cesse leur niveau de jeu et leurs qualités physiques. Ces joueurs expatriés sont des exemples pour les autres et pour les jeunes de leurs quartiers qui ont de ce fait tendance à venir plus nombreux s’inscrire dans nos clubs.
Vous aviez déclaré, il y deux ans, que l’objectif de la FSR est d’implanter le rugby dans toutes les régions du Sénégal. L’ovalie roule-t-elle désormais sur tous les terrains du pays ?
Il est exact que notre objectif était d’implanter le rugby partout au Sénégal. C’est du reste toujours notre objectif, car nous ne sommes pas encore présents partout, malheureusement. Faire rouler la balle ovale aux 4 coins du pays s’apparente à une véritable course de fond qui nécessite du souffle, de la patience et de la persévérance. Mais j’y crois fermement. Nous ne sommes pas encore présents dans l’Est, au-delà de Kaolack, pas plus que dans le Nord, au-delà de Saint-Louis. De même, nous n’avons pas de rugby au centre du pays vers Linguère, par exemple.
Prospecter et s’installer partout, c’est vulgariser la discipline et surtout constater que les gabarits des jeunes diffèrent d’une région à l’autre. Nous savons, par exemple, que nous avons plus de chance de détecter des ‘’piliers’’ en Casamance ou sur la Petite Côte, qui sont des terres de lutteurs.
‘’Je n’ai pas réussi à avoir un terrain à Dakar et dans deux ou 3 autres capitales régionales dédiés seulement au rugby. C’est un de mes plus grands regrets !’’
Vous dirigez la fédération de rugby depuis une vingtaine d’années. Avez-vous le sentiment d’avoir réalisé vos ambitions pour le rugby sénégalais ?
Je n’ai évidemment pas réalisé toutes mes ambitions et, au demeurant, je ne les réaliserai jamais ! En effet, chaque fois qu’un objectif est atteint, je m’en fixe un autre. C’est donc sans fin. Cela dit, je n’ai pas réussi à avoir un terrain à Dakar et dans deux ou 3 autres capitales régionales dédiés seulement au rugby. C’est un de mes plus grands regrets ! Peut-être qu’avec les Jeux olympiques de la jeunesse (JOJ) notre vœu pourrait se réaliser à Dakar. Si c’était le cas, nous envisagerions alors d’implanter un terrain de rugby sur la Petite Côte, dans un premier temps, en Casamance ensuite.
Cela dit, notre talon d’Achille réside aussi dans notre offensive trop timide vis-à-vis des médias. Mais cela commençait à aller beaucoup mieux juste avant la crise sanitaire, grâce notamment au sérieux de notre nouvelle cellule de communication dirigée par Fatou Sène et Madiagne Niang. La Covid-19 a annihilé tous nos efforts, mais nous espérons que ce ne sera que reculer pour mieux sauter… Etre visible dans les médias est évidemment une des clés de la réussite. Nous allons donc tâcher d’être plus performant à ce niveau.
Quels sont vos projets en cours et les perspectives pour la discipline au Sénégal ?
Tous nos projets sont à l’eau, le virus n’ayant épargné aucune discipline. Nous attendons le retour à la normale pour repositionner nos activités tant nationales qu’internationales. C’est seulement à ce moment-là que nous saurons ce que nous pourrons faire et ne pas faire ! Il est donc inutile de tirer dès à présent des plans sur la comète.
Le rugby a-t-il trouvé des adeptes chez la gent féminine ?
Oui, le rugby connait un succès certain auprès des filles et des jeunes femmes, grâce notamment au travail remarquable effectué par des éducatrices telles que Léontine et Anna Preira (mère et fille), Edwige Manga, Adja Ndiaye et bien d’autres. Les résultats encourageants de notre équipe nationale féminine nous aident aussi à promouvoir le rugby en direction des femmes. Mais ce n’est toujours pas simple, car le cliché du ‘’rugby/sport de garçons’’ demeure encore ! De surcroit, beaucoup de joueuses, très prometteuses, nous quittent prématurément, dès qu’elles se marient, très jeunes souvent. Ce phénomène est plus perceptible dans les régions qu’à Dakar. C’est dommage, car au Sénégal les rugbywomen ont la chance de se déplacer souvent, si elles atteignent la sélection nationale. Ainsi, ces dernières années, elles ont eu à prendre part à des compétitions en Afrique du Sud, au Kenya, en Ouganda, au Maroc, en Tunisie, au Ghana…
‘’Cet arrêt brutal de nos compétitions internationales va frapper durement le rugby africain qui était en plein essor’’.
Quelle importance a pour vous la Maison du rugby du Sénégal ?
Il me faudrait beaucoup plus de temps pour vous expliquer le concept de la Maison du Rugby (MDR). Mais notez que la MDR est pour nous une vitrine. A travers elle, nous montrons que le rugby ne s’arrête pas à la sortie du terrain ou des vestiaires. Nous avons beaucoup de jeunes en difficulté scolaire et/ou économique qui la fréquentent, et nous les assistons à plusieurs niveaux : soutien scolaire, alphabétisation, formation aux premiers secours, arts plastiques, musique, formation professionnelle et apprentissage de la natation, en collaboration avec la Fédération sénégalaise de natation et de sauvetage. Nous avons, bon an mal an, 200 à 250 joueurs (de 8 à 18 ans) qui fréquentent l’établissement qui n’est toutefois pas un internat. Cette structure est d’autant plus importante pour nous que nous y avons parfaitement réussi la mixité garçons-filles, mais aussi et surtout, la mixité sociale. Nous avons aussi créé des emplois à temps plein et une dizaine de poste d’éducateurs de base, très motivés.
Nous sommes à la recherche de nouveaux partenaires pour succéder à l’ex-partenaire majeur que fut la Direction de la coopération internationale de Monaco pendant 3 périodes triennales. Aussi, lançons-nous un appel aux bonnes volontés !
Beaucoup de compétitions continentales ont été suspendues à cause du coronavirus, dont la Can U20 à laquelle le Sénégal devait prendre part. Quelles sont les mesures prises par Rugby Afrique pour la reprise de ces tournois ?
Nous avons récemment eu, au sein de Rugby Afrique, deux comités exécutifs par visioconférence pour confronter nos positions sur la reprise ou non, en 2020, de nos compétitions nationales et internationales. La réunion de nombreux paramètres dicte la reprise de ces compétitions. Mais comme tout le monde, nous n’avons pas de réponse aux questions que nous nous posons. Aussi, avons-nous laissé le soin à chaque fédération membre de décider elle-même de la reprise de ses activités nationales, sous réserve, bien sûr, que la sécurité des joueurs et des autres acteurs de notre sport soit assurée.
Quant aux compétitions internationales, elles ont toutes été reportées, à l’exception peut-être de la Coupe d’Afrique de rugby à 7 - hommes et femmes - qui pourrait se tenir à la fin du mois de novembre, si les conditions sanitaires le permettent. Mais je crains, hélas, que nous nous orientions vers une saison internationale 2020 quasiment blanche. Cela dit, j’espère bien évidemment me tromper. Cet arrêt brutal de nos compétitions internationales va frapper durement le rugby africain qui était en plein essor.
Concernant plus précisément la Coupe d’Afrique des U20, elle devait, en effet, se dérouler fin avril au Kenya. Elle a été annulée au dernier moment. C’est très dommageable pour nous. Je rappelle que le Sénégal occupe la 3e place africaine, dans cette catégorie U20, derrière le Kenya et la Namibie.
‘’Nous empruntons le sillage tracé par nos amis footballeurs ou basketteurs et j’espère vivement que nous aurons, comme eux, de grandes satisfactions, avec notamment l’éclosion de stars sénégalaises au niveau du rugby mondial’’
La Fédération sénégalaise de rugby a-t-elle reçu du soutien de la part des instances dirigeantes de la balle ovale (Rugby Afrique, World Rugby…) ?
Rugby Afrique et World Rugby évaluent, en ce moment, la possibilité d’aider leurs fédérations membres. Mais rien, pour l’instant, n’est décidé, si bien que pour répondre précisément à votre question, notre fédération n’a, à ce jour, reçu aucun soutien de ces deux structures. Je ne m’attends du reste à rien, car ces deux organisations sont elles aussi durement impactées par l’absence de droits de télévision et de sponsoring.
Cela fait un an que Khaled Babbou a été porté à la tête de Rugby Afrique, dont vous êtes membre du Comité exécutif. Comment appréciez-vous sa gestion depuis son accession à la présidence du rugby continental ?
Je suis membre du Comité exécutif de Rugby Afrique depuis 2006. J’ai été reconduit en mars 2019 au Comité exécutif, au sein duquel j’occupe le poste de responsable des compétitions. Je constate avec plaisir, tous les ans, l’adhésion de nouveaux pays à Rugby Afrique. Aujourd’hui, sur les 6 confédérations qui composent World Rugby, c’est-à-dire le rugby mondial, Rugby Afrique est celle qui a le plus de licenciés, après Rugby Europe, ce qui démontre le développement extraordinaire de notre discipline en Afrique, ces dernières années.
Il est trop tôt pour mesurer le travail du nouveau président de Rugby Afrique et pour apprécier sa gestion. Cela dit, je ne me fais pas de souci, car il a déjà démontré ses qualités d’abord au niveau du football tunisien, avant de s’engager au service du rugby de son pays. Enfin, sa réussite professionnelle laisse supposer d’excellentes qualités managériales. Nul doute qu’il réussira son pari. C’est ce que je lui souhaite et que je souhaite au rugby africain.
Que pensez-vous du niveau du rugby africain, avec l’Afrique du Sud qui domine de la tête aux épaules les autres nations ?
Le niveau du rugby africain progresse d’année en année. Derrière la locomotive sud-africaine, roulent aussi à bonne vitesse des pays comme le Kenya, l’Ouganda, Madagascar, le Zimbabwe… La Côte d’Ivoire et le Sénégal jouent également leurs partitions et rivalisent avec les nations susvisées, exception faite de l’Afrique du Sud, bien entendu. D’autres pays comme le Cameroun, le Burkina Faso, le Ghana et la RDC se positionnent comme des outsiders à prendre très au sérieux.
Tous ces pays envoient de plus en plus de joueurs en Europe, en Afrique du Sud et même en Océanie. Ceux-ci se professionnalisent et contribuent aux performances de plus en plus remarquables de leurs sélections nationales. A un bien plus petit niveau certes, nous empruntons le sillage tracé par nos amis footballeurs ou basketteurs et j’espère vivement que nous aurons, comme eux, de grandes satisfactions, avec notamment l’éclosion de stars sénégalaises au niveau du rugby mondial. C’est mon vœu et je suis sûr qu’il se réalisera très bientôt, puisque déjà plusieurs joueurs franco-sénégalais évoluent dans l’équipe de France, notamment Benjamin Fall, Djibril Camara, Gaël Fickou.
Au niveau de l’équipe de France, il est également remarquable de constater la présence d’autres joueurs originaires d’Afrique francophone : 2 du Mali, 2 du Cameroun, 1 de Guinée-Bissau, 2 d’Algérie. De ce point de vue également, le rugby français suit la trace de son homologue du football, en intégrant au sein de son équipe nationale autant de joueurs d’origine africaine.
Comment les autres pays devraient faire pour résorber ce gap avec les Springboks ?
Nous ne pourrons pas résorber le gap avec les Springboks, tant que le rugby ne sera pas une discipline au programme de nos écoles, lycées, universités et de nos associations de quartier. En effet, c’est le nombre des pratiquants qui fait la force d’une fédération. En Afrique, seule Madagascar rivalise à ce niveau avec l’Afrique du Sud - Tananarive compte plus de 50 clubs de rugby. Mais les Malgaches sont, hélas, au niveau international, handicapés par leur modeste gabarit.
Pensez-vous déjà à la relève pour la présidence de la Fédération sénégalaise de rugby ? Avez-vous l’ambition de diriger Rugby Afrique ?
Je crois qu’au sein de la Fédération sénégalaise de rugby, à part moi, peu de gens se soucient de la relève, c’est-à-dire de mon remplacement. Certains dirigeants semblent avoir quelques envies, mais ils sont souvent inquiets, voire tétanisés à l’idée de diriger une fédération désargentée et peu soutenue. Si l’Etat nous aide financièrement pour réussir notre prochain plan quadriennal de développement, je pense que des personnalités pourraient être intéressées pour reprendre le flambeau. L’idée serait peut-être d’instaurer une présidence bicéphale, laquelle serait moins anxiogène pour les titulaires des deux postes. Nous devons y réfléchir.
Concernant mon ambition au sein de Rugby Afrique, je vous assure que présider cette structure prestigieuse ne m’a jamais intéressé. J’étais bien placé pour espérer succéder à l’emblématique président Aziz Bougja, l’année dernière. J’ai été pressenti par nombre de mes pairs à cette fin, mais j’ai finalement décidé de ne pas me porter candidat. En effet, c’est une charge très lourde au niveau africain bien évidemment, mais aussi au niveau mondial, puisque le président de Rugby Afrique devient ipso-facto membre du Council de World Rugby. Pareilles responsabilités vous obligent, au cours des 4 années de votre mandat, à carrément sillonner l’Afrique et le monde au moins 30 fois par an. L’idée de ces déplacements permanents et très longs a été la première à me pousser à renoncer à briguer ce poste. D’autres raisons m’ont également découragées, mais ce n’est ni le lieu ni le moment de les expliquer.
Au final, sachez en tout cas que je ne regrette pas le choix d’être resté fidèle à la fédération sénégalaise et à mes amis qui me soutiennent depuis si longtemps, avec beaucoup de cœur et de passion.