La franchise de Mélenchon
Jean-Luc Mélenchon a abordé plusieurs points, hier, à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, où il coanimait une conférence sur les relations entre l'Afrique et l'Europe avec Ousmane Sonko. La présence de militaires français, la polygamie, l'homosexualité et l'émigration étaient parmi les sujets évoqués.
En coanimant une conférence sur "L'avenir des relations Afrique-Europe", Jean-Luc Mélenchon a abordé plusieurs points importants, se montrant contre le néo-colonialisme. Concernant la présence militaire française, il a déclaré, dans la salle archicomble de l’Ucad 2 : "J'ai toujours plaidé que les pays appartiennent à ceux qui les habitent. Donc, si un gouvernement français insoumis et que le Sénégal demande le retrait des troupes françaises, nous appliquerons naturellement les décisions du peuple souverain sénégalais. Les relations bilatérales doivent être basées sur un consentement mutuel."
Au sujet de la monnaie, le leader de La France insoumise a également défendu la volonté des Africains d'avoir le contrôle de leurs propres billets. "La question de la monnaie doit être réglée par les pays africains eux-mêmes et nous n’aurions aucune intention de nous mêler de définir la valeur pour quelque pays que ce soit", a-t-il dit. Poursuivant, il a critiqué sévèrement les dirigeants africains qui ont accepté cela pour leurs intérêts personnels. "Si une monnaie est indexée sur une monnaie européenne, cela servait non seulement les intérêts des Européens, mais aussi ceux d'un certain nombre d'élites africaines qui trouvaient une garantie que leurs biens seraient protégés par leurs maîtres".
Jean-Luc Mélenchon est pour la souveraineté des peuples. Il a salué la jeunesse africaine qui s'est battue au Mali et au Burkina, par exemple. Il a surtout félicité la jeunesse sénégalaise et la révolution qui s'est déroulée au Sénégal, permettant l'élection de Bassirou Diomaye Faye de manière démocratique. "Les jeunes sont l’aile marchante de la révolution sénégalaise. Nous avons vu dans toute l’Afrique, notamment au sud du Sahara, des mouvements de mobilisation populaire de masse comme ceux que nous avons d'abord connus au Mali puis au Burkina Faso… Au Sénégal, se produit le signal attendu par ceux qui, comme moi, sont des théoriciens de la révolution citoyenne. Nous avions besoin, pour notre propre combat, d’une révolution populaire qui a comme moyen l’action citoyenne et comme finalité la citoyenneté qui s’achève par une victoire électorale", a-t-il salué.
Selon M. Mélenchon, la révolution citoyenne vise un contrôle populaire, c’est-à-dire la souveraineté du peuple. "La souveraineté du peuple est l’objet de la révolution sénégalaise. La souveraineté ne peut se détacher de la question de l’indépendance. Car on n’est pas souverain quand on n’est pas indépendant. L’indépendance n'est pas seulement un statut géopolitique, mais un statut concret qui signifie rompre les dépendances", a-t-il expliqué en s'accordant avec Ousmane Sonko.
Concernant le libéralisme, Jean-Luc Mélenchon a appelé à rompre avec cette idéologie. Selon lui, le libéralisme a "pourri" tout le XXe siècle. "C'est une politique qui prétend que l'État ne devrait pas intervenir dans nos économies, partant du principe que le marché s'autorégulera spontanément. Tous les libéraux qui ont été au pouvoir sur un programme libéral dont ils se sont réclamés dans ce pays ont fini comme des brutes, alors qu'ils avaient le mot liberté à la bouche".
Francophonie
Jean-Luc Mélenchon a ainsi prôné l'altermondialisme comme idéologie. Il a attaqué les donneurs de leçons européens, déclarant devant Ousmane Sonko : "À présent, vous voici confrontés à un problème très complexe à régler - bien sûr, ce n’est pas à moi de dire ce qu’il y a lieu de faire. J'ai retenu naguère d'une présence observée dans ce même lieu l'art inutile de donner des leçons. Comme vous, j’avais été sidéré qu’un représentant de mon pays se demande si l’être africain était entré dans l’histoire, au moment où peut-être lui allait en sortir. Ce n’est pas politique de sa part, mais cela montre qu’on se met là à donner des leçons à la démographie africaine au moment où les Européens feraient mieux de se préoccuper des raisons pour lesquelles ils sont aujourd’hui en deçà du seuil de reproduction de la société."
Jean-Luc Mélenchon s'est également prononcé sur la Francophonie. Il a noté que les pays partageant cette langue commune ont en commun une histoire complexe façonnée par des récits de souffrances et d'aspirations. "L'Afrique, berceau de l’humanité, a été trop souvent le théâtre d’une exploitation injuste dictée par des intérêts extérieurs", a-t-il remarqué.
Selon lui, "aujourd'hui, nous nous trouvons à un tournant décisif où la nécessité de réévaluer ces schémas historiques et de promouvoir un partenariat équitable s'impose sans précédent".
Mélenchon a souligné "l'impératif" d'adopter une approche nuancée et inclusive dans notre analyse des relations Afrique-Europe. "Reconnaître les erreurs du passé tout en saisissant les opportunités de collaboration future constitue un impératif moral et politique", a-t-il dit.
Il a appelé à une action concertée et résolue contre des enjeux cruciaux tels que la migration, le commerce équitable, la lutte contre le racisme, la sécurité, le transfert de technologie et la lutte contre le changement climatique. "Seule une volonté commune de dialogue et de partenariat authentique permettra de surmonter ces défis et de construire un avenir meilleur pour nos peuples", a précisé M. Mélenchon.
Homosexualité, polygamie : réponse de Sonko
L'autre sujet important porte sur l'homosexualité. "Je suis le premier législateur français à avoir déposé un texte de loi concernant le mariage homosexuel. Je suis hétérosexuel, mais j’ai pensé que cette liberté d’amour devait être ouverte à tous ceux qui voulaient en bénéficier. J’assume la position politique que j’ai voulue et je ne chercherai pas à vous l'imposer", a expliqué Jean-Luc Mélenchon. "Mais il est inutile de parler de cette divergence comme une question entre les nations. J’assume ma position et je sais que dans mon pays cette disposition légale fut controversée. Mais nous l’avons réglée en votant. Peut-être qu’un jour vous voterez", a-t-il ajouté.
En ce qui concerne la polygamie, pratiquée par le chef de l’État sénégalais Bassirou Diomaye Faye, Ousmane Sonko, Premier ministre, est également polygame. Il estime que les avis resteront différents sur ce sujet. Franc, il déclare : "Je sais que les Français n’ont pas trop de leçons à donner sur la polygamie, pour ce qui concerne les pratiques présidentielles. Mais vous ne pouvez m’empêcher de penser pour moi et pour mes compatriotes que nous n’y sommes pas favorables. Il n’y aura pas de concession intellectuelle de ma part sur ce sujet avec vous. On peut dialoguer et ne pas être d’accord. Mais la révolution sénégalaise m’a accepté à l’invitation du Pastef, sachant quel homme je suis et quelle valeur je porte."
Ousmane Sonko a pris la peine de répondre. Pour lui, il faut constater nos désaccords et capitaliser sur nos convergences. "Nous vous concédons votre désaccord sur la polygamie. Ce qui ne nous empêchera pas de débarquer à Paris avec les deux dames. Nous n’avons pas la prétention d’interférer sur votre liberté de légiférer soit pour ou contre un phénomène. Mais on veut nous refuser ce droit sur les aspects sur lesquels nous sommes en désaccord de légiférer ou ne pas légiférer. C’est cela que nous n’acceptons plus".
Babacar Sy Seye