''Mimi'', dame de fer
Personne ne l'attendait à la tête du Département de la Justice. Aminata Touré dite ''Mimi'', garde les Sceaux...de main de fer, depuis avril 2012. Pour cette femme, active en politique depuis la fin des années 80, la Justice ne peut être une affaire privée, gérée par divers lobbies. Présentée comme la personnalité la plus intransigeante du gouvernement Abdoul Mbaye, elle est le fruit mur d'un long parcours, chevillé dans des idées de gauche. EnQuête a essayé d'en savoir plus sur le parcours d'une femme exceptionnelle, depuis son enfance, jusqu'à son expérience ministérielle...
Femme, non magistrate de surcroît, Aminata Touré est la troisième dame à la tête de la Chancellerie sénégalaise, après MaÏmouna Kane, du temps du président Diouf et Mame Madior Boye, sous le magistère de Wade. Cette forte personnalité s’est vite révélée être une vraie dame de fer, face aux dossiers brûlants du Fonds commun des magistrats ou du marabout Cheikh Béthio Thioune, incarcéré pour implication dans des meurtres. Insensible aux pressions et bénéficiant de la confiance du président Macky Sall, Mimi Touré, mène la barque Justice sans flancher, pour une équité à l'égard de tous les Sénégalais, quelle que soit leur extraction sociale. C'est une femme qui aime soutenir les bras de fer...
De son enfance, l'actuelle ministre de la Justice, Aminata Touré, 51 ans, noire d'ébène, a dévoilé un pan, mercredi 24 avril dernier, veille du Conseil des ministres délocalisé à Tambacounda, lors du baptême à son nom de la salle de classe où elle a fait ses premiers pas aux Cours d’initiation (CI) et préparatoire (CP), à l’école Batou Diarra du quartier Liberté, dans la commune de Tamba. C’est là, dans cet établissement construit en 1918 et qui a vu passer des noms comme l’ancien ministre Mady Cissokho, qu’elle a appris les premiers rudiments de la langue française. Se remémorant de son ancienne élève, l’ancien maître au CI et au CP de la Garde des Sceaux a relevé dans son témoignage qu’elle était «prompte à répondre à toutes les questions» qu’il posait. Signe évident d’un caractère volontaire très précoce. C’est là également, à cette cérémonie de baptême de classe, qu’Aminata Touré a salué l’opiniâtreté qui mène à la réussite méritée, par ces propos qu’elle a tenus : «quelle que soit l’origine sociale, quelles que soient les difficultés qu’on a rencontrées dans la vie en venant au monde, par l’école, on peut arriver où l’on veut arriver avec la grâce de Dieu».
Mais en vérité, la jeune Aminata Touré n'est pas issue d'une famille... goorgoorlu. Son père, Madiyou Touré, très lié à la gauche communiste, du temps même de Senghor, a occupé de hautes fonctions sous l'administration de Senghor, au niveau du ministère de la Santé. Sa mère fut sage-femme. L'expérience tambacoundoise d'Aminata Touré serait en fait la conséquence de la mobilité professionnelle de son père, très lié au Parti africain de l'indépendance (PAI). Une mobilité qui la conduira jusqu'en France, alors que son père travaillait à l'Organisation mondiale de la Santé. Conséquence, Aminata Touré y fera une partie de ses études primaires et supérieures. Nomade en toute jeunesse, du fait de la conjecture de la naissance, elle restera sédentaire dans les idées, résolument de gauche.
Brillante depuis le bas âge, la jeune fille, très physique, a, déjà en Terminale, été lauréate du Concours général en Économie. La même année, en 1981, elle décroche son baccalauréat série D, avant de poursuivre ses études en France. Plus tard, elle obtiendra une Maîtrise d'économie à Dijon, un DESS de gestion des entreprises à Aix-en-Provence et un PhD en Management financier international de l'École internationale de management de Paris.
Première femme directrice de campagne en 1993
Rentrée au Sénégal, elle devient militante de la Ligue communiste des travailleurs (Lct), devenue plus tard le Mouvement pour le socialisme et l’unité (Msu). Et c’est elle qui dirigera en 1993 la campagne électorale du candidat à la présidentielle Landing Savané, devenant ainsi la première directrice de campagne femme dans l’histoire politique du Sénégal. Dans ce domaine précis de la politique, une seule conviction chez elle, mais une conviction chevillée au corps : «La politique ne doit pas être une spécialité. Elle ne doit pas être un métier, mais une volonté de changer les choses», ne cesse-t-elle de ressasser. C'est son côté révolutionnaire qu'elle garde encore.
Ancienne cadre de la défunte Société de transport public Sotrac, elle a travaillé à l’Association pour le bien-être familial (Asbef), dernière expérience qui ajoute une dose de féminisme à une carrière et un cursus remarquables à bien des égards. Aminata Touré a ainsi contribué, grandement, à la promotion de la planification familiale et à la santé de la reproduction. Une expertise qui lui a ouvert une carrière de fonctionnaire des Nations-Unies. «Mimi», comme on la surnomme, a dirigé le département Droits humains du Fonds des Nations-Unies pour la population (Fnuap), basé à New York. Aminata Touré vivait au New Jersey avec sa famille (mari et enfants), avant d’intégrer l’équipe de Macky Sall, contribuant de manière remarquable à la confection du programme «Yoonu Yokkute» (le chemin du changement).
Pas accroc aux choses qui brillent...
Mais cette fenêtre d'histoire qu'elle s'est aménagée apparaît comme une virgule dans son cursus ; Aminata Touré étant plutôt structurée de...gauche. Elle n'aime pas l'argent. Un de ses ex-époux confie, en privé, que ''quel que soit ce qu'on peut lui reprocher, elle partage tout. L'argent n'est pas son problème''. Une sensibilité propre aux gens de la gauche qui a sans doute fait que les deux maris qu'elle a eu dans la vie n'étaient pas du tout pleins aux as lorsqu'elle les épousait. L'ancien ministre Omar Sarr avec qui elle a eu une fille, puis le journaliste Momar Wade, un ancien de Sud-Communication (deux enfants) étaient des goorgoorlu au moment elle choisissait de se lier à eux. Il semble bien que le lien idéologique ait été dominant, décisif... Avec Omar Sarr, cette femme qui possède aujourd'hui deux immeubles au Sénégal et un autre aux États-Unis est estimée à 777 millions de Francs Cfa.
Le point faible d'Aminata Touré, c'est qu'à force d'être dans la contre-culture, elle a perdu le pied. ''Elle reste comme une funambule dans une société qu'elle n'aime pas trop et qu'elle veut changer. C'est assez prétentieux de sa part, mais c'est cela...'', confie un de ses proches.
Aminata Touré, c’est aussi une sportive accomplie, qui a même joué au football, avec l’équipe féminine de son quartier de Grand Yoff. Et cela fait peut-être son côté garçon manqué, son port vestimentaire sans coquetterie excessive, presque désinvolte, loin de la mise des «driankés» sénégalaises. La voix est forte, assurée, le verbe haut. Aucune trace d’émotion ne filtre de son discours. Elle sait arborer le masque de la froideur. ''C'est toujours dans un environnement hostile qu'elle arbore ce comportement. Mais avec les personnes en qui elle a confiance, elle est d'un naturel, même excessif'', confie une de ses connaissances. À la limite, Mimi semble même dure, une vraie dame de fer à la Sénégalaise. Elle fouette à l'excès l'imaginaire de ceux qui l'ont connue. Une de ses connaissances raconte qu’il y a une dizaine d’années, dans leur quartier de Scat Urbam, Mimi Touré habitait à proximité de la mosquée. Et comme les haut-parleurs résonnaient lors de l’appel du muezzin, elle n’a pas hésité à aller s’en ouvrir au préposé à l’appel à la prière pour protester contre le dérangement. Vérification faite, il n'en est rien...
Aspiration à l’équité forgée dans le militantisme
Pour dire que la ministre de la Justice, Garde des Sceaux s’est ainsi forgé une personnalité de battante durant tout son cursus, militant comme professionnel. Très tôt éprise de justice sociale et d’équité, la nomination de Aminata Touré comme ministre de la Justice dans le premier gouvernement de l’ère Macky Sall est la récompense d’une militante de longue date des droits de l’Homme, dont les convictions et l’expérience ne seraient pas de trop pour mener à terme le chantier complexe de la Justice. Directeur de campagne jusque-là du quatrième président sénégalais dont elle est proche, Aminata Touré est tout indiquée pour parachever les réformes de la justice. Et sur toutes ces questions représentant autant de défis, la nouvelle ministre de la Justice peut se prévaloir par-dessus-tout d’un militantisme précoce dans les mouvements de masse qui a forgé son aspiration pour l’équité et une plus grande justice sociale. Voilà donc une femme de tête, mais aussi de cœur qui arrive à la tête d’un département qui exerce une tutelle sur un secteur, plutôt un pouvoir dans l’architecture institutionnelle du pays, dont les tenants, les magistrats, veulent se départir du boulet de cette tutelle, sur eux pesante par moments.
À «je t’aime, moi non plus» avec les magistrats
Sa nomination à la tête du département de la Justice a surpris plus d’un magistrat, puisqu’elle n’est pas du sérail. D’ailleurs, de sources proches du temple de Thémis, ceux-ci ne lui donneraient qu’un état de grâce, avant de «marcher sur elle». Et c’est l’affaire de la suppression annoncée du Fonds commun des magistrats qui va mettre le feu aux poudres de relations déjà tendues avant l’arrivée de Mimi à la Chancellerie. D’ailleurs, on parle même d’une menace de grève des magistrats qui protesteraient contre l’annonce de la non-application du décret portant création de ce fonds. Le ministre de la Justice demande, lui, à approfondir la réflexion sur les mécanismes de mise en œuvre du fonds. Aminata Touré mise sur la concertation et ne veut pas de bras de fer entre son département et les magistrats. «Il ne s’agit pas de revenir en arrière ou d’aller en avant. Il s’agit de discuter de manière constructive, parce que le Sénégal est à un niveau où je crois qu’on peut faire l’économie de conflits et nous atteler à un consensus pour renforcer notre système judiciaire et nous acheminer résolument vers un développement de ce pays», a-t-elle expliqué dans les colonnes du « Populaire ».
En tout cas, ce n’est pas le parfait amour entre la Garde des Sceaux et les magistrats. Leurs relations sont tendues. Elles ont fini d’infester la Chancellerie à telle enseigne que la ministre de la Justice « soit à l’étroit» dans son département, puisque des membres de son cabinet ont joint leurs voix à celle des magistrats pour dénoncer la remise en cause des fonds communs et des congés des magistrats. Et lorsque ces derniers organisaient leur Assemblée générale, Mimi Touré a failli leur faire faux bond, puisqu’on lui aurait soufflé qu’elle risquait d’y ramasser des huées. Il a fallu l’intervention du premier président de la Cour suprême, Pape Omar Sakho, qui l’a rassurée quant à la fausseté de cette information, pour qu’elle daignât s’y rendre. Et le dernier coup d’éclat de Mimi Touré, à l’endroit des magistrats, aura été sans nul doute la défenestration du Procureur Ousmane Diagne, inamovible pendant six longues années près le Tribunal régional de Dakar. Mme le ministre a invoqué les contraintes des raisons de service.
Le Procureur Ousmane Diagne, une forte personnalité comme Mme le ministre, a longtemps résisté mais finira par tomber, car la Garde des Sceaux, jouissant de la confiance totale du président Macky Sall, bénéficie d’une liberté de choix indéniable. Selon des confidences, Aminata Touré a commencé à mijoter son coup dès les premières heures de son arrivée au ministère de la Justice. ''C'est Macky Sall qui l'a retenue''. Signe peut-être qu'elle sait maintenant se plier et faire avec la discipline d'État. Ce qui est sûr, c'est qu'en attaquant Ousmane Diagne, Aminata Touré savait bien que le ''morceau'' n'allait pas être facile à digérer, l'ex-Procureur étant surtout du genre coriace, très réseauté et futé. Mais Aminata Touré qui ne lui faisait pas confiance dans sa façon de piloter ses dossiers avait décidé de s'en séparer. Quoi que cela lui en coûte...
Résistance aux lobbies maraboutiques
Une autre patate chaude gérée avec intransigeance par Mme Aminata Touré, l’arrestation du marabout, Béthio Thioune, accusé d’être le commanditaire de meurtres suivis d’actes barbares. Et c’est cette affaire Béthio Thioune qui va révéler Aminata Touré. La ministre de la Justice se montrera inflexible quant à la suite à donner à ce dossier brûlant. Les avocats du guide des Cantakunes ont longtemps fait des pieds et des mains pour obtenir à leur célèbre client une liberté provisoire ou au moins son transfert au Pavillon spécial de l'hôpital Le Dantec pour raisons de santé. Le Procureur dira toujours niet avec l’appui du ministre de la Justice.
Par le biais d’un communiqué de son Cabinet, le ministre de la Justice a martelé sur cette affaire que «la justice est la même pour tous, sans distinction de statut social ni d'origine ethnique ou d'appartenance religieuse, et elle doit s'exercer conformément à la loi». La griffe de Mimi... D'où le courroux des avocats de Cheikh Béthio Thioune qui accusent Mimi Touré «d'amateurisme, de violation du secret de l'instruction et du droit au secret médical». Sous la pression intense du lobby des avocats renforcé par celui venu de Touba pour faire libérer au plus vite le guide des Cantakunes, Aminata Touré reste intransigeante, ayant l'entière confiance du chef de l'État qui aurait répété à ses proches qu'il serait entièrement satisfait du travail accompli par son ministre et de son indépendance.
Dans le dossier de la traque des biens mal acquis, avec ses imbrications politiques évidentes et qui a tenu en haleine les Sénégalais pendant plusieurs mois, l’État du Sénégal semble déterminé à aller jusqu’au bout. C’est ce que dit la ministre de la Justice, Aminata Touré, qui n’entend pas reculer. «Aucun marabout ne peut me faire reculer», aurait-elle déclaré, selon des sources du journal Direct Info. Des propos qui témoignent du degré d’engagement de la dame de fer, Garde des Sceaux. Lorsqu'on lui parle de son ancien époux, l'ex-ministre Omar Sarr, poursuivi dans le cadre de la traque des biens mal acquis, elle répond en privé : ''Que voulez-vous que je fasse. Je ne ferai rien''.
La trajectoire de cette dame, depuis que Macky Sall est à la tête de l’État, épouse à bien des égards celle de sa devancière comme Garde des Sceaux, Mame Madior Boye. Et ce ne serait pas une grande surprise si, demain, le chef de l’État en fait son Premier ministre. Même si les peaux de bananes ne manquent point sur le chemin...
Bigué BOB et Mamoudou WANE
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