‘’Seuls 10 % de l’argent destiné aux agriculteurs arrive à bon port’’
Il faut impliquer les acteurs opérationnels dans le processus de prise de décision, pour changer la donne dans le secteur agricole. C’est la ferme conviction du président de Djolof Waar bi de la filière bananière. Membre du Collectif régional des producteurs de banane de Tambacounda (Corprobat), l’opérateur économique Mouhamed Mangane a profité de l’occasion de la tournée économique qu’effectue le président Macky Sall, depuis samedi, pour revenir sur les contours du Programme d’autosuffisance en banane.
Le président de la République Macky Sall met à la disposition des producteurs de banane 3,5 milliards, dans le cadre de la mise en œuvre du Programme d’autosuffisance en banane. Comment appréciez-vous ce geste ?
Selon les études qui ont été réalisées récemment, il y a, au Sénégal, un besoin de 50 000 t de banane, voire plus par an. Mais, actuellement, nous sommes à 30 000 t de production. Quand, en 2016, le président était venu à Tambacounda, à l’occasion de sa tournée économique à vocation agricole, il avait dit, en présence de Mamadou Oumar Sall, le roi de la banane, qu’il souhaite que la filière agricole soit boostée.
C’est ainsi que Macky Sall s’est engagé à nous accompagner. Il avait promis d’aménager 500 ha et de l’équiper pour une production de banane de qualité. Une première estimation révélait un besoin de 2,5 milliards de financement. Maintenant, il s’agit de 3,5 milliards. Par la suite, nous avons noté des retards. Jusque-là, on ignore ce qui était la cause de ces lenteurs qui nous décourageaient. Mais nous n’avons jamais arrêté les démarches pour autant. Aujourd’hui, nous sommes satisfaits. Nous remercions aussi le ministre Moussa Baldé qui a fait toutes les démarches nécessaires pour que cette filière soit intégrée dans un programme.
A présent, après l’appel d’offres, la société Somafi a gagné le marché. Avant la fin du mois, elle aura l’autorisation pour débuter ses activités. Le gouvernement a tenu sa promesse. Avec le nouveau objectif, 1 000 à 1 500 emplois viendront s’ajouter au nombre d’emplois déjà créés par la filière bananière.
C’est donc un projet assez important. Parce qu’il n’y pas beaucoup d’emplois à Tambacounda. C’est pourquoi la majeure partie des jeunes de cette région et des localités environnantes ne pense qu’à l’émigration. Je peux dire que la filière de la banane, qui est la plus forte dans cette zone, pourra les retenir. La tournée économique du président est vraiment bénéfique pour nous. La banane est venue au Sénégal en 1976. C’est un Blanc qui s’appelle Jean qui l’a apportée ici à travers l’Ofadec (Office africaine pour le développement et la coopération). D’ailleurs, les pionniers sont toujours là. Mais à la fin l’Ofadec, on les a délestés. Et chacun a pris son propre chemin. C’est à partir de là que les GIE ont été créés. Cependant, ils se sont regroupés par la suite pour fonder une fédération dénommée Collectif régional des producteurs de banane de Tambacounda (Corprobat). Ce collectif est composé de 5 000 à 7 000 membres dont 25 % de femmes.
Au-delà de l’objectif d’atteindre une autosuffisance, envisagez-vous d’exporter la banane ?
On est dans cette perspective. Parce qu’au début, les bananes que l’on exploitait, on ne les mettait pas dans des cartons. On les vendait en vrac. Désormais, on va planter des bananes de qualité en quantité suffisante. Il y a du matériel de dernière génération qui va permettre d’assurer l’hygiène du produit, grâce au système de lavage, le transport du produit dans des voitures frigorifiques et la mise en carton automatique. Parce qu’on aura à notre disposition 500 ha en irrigation par aspersion et 200 ha de Câble Way et de stations de conditionnement. Notre priorité, c’est d’assurer l’autosuffisance alimentaire au Sénégal, parce que c’est la Côte d’Ivoire et le Ghana qui complètent le marché sénégalais. Nous avons 25 mille tonnes de gap à combler. Après, d’ici 2030, on pourra peut-être commencer les exportations.
Il faut savoir que la production de la banane, c’est une chaine de valeur. Il n’y aura jamais une insuffisance de la production qui pourrait occasionner une hausse conséquente du prix de la banane au Sénégal. Mais il y a un autre aspect à prendre en considération : la banane bio. Elle est plus chère. Partout dans le monde, c’est comme ça. Le bio n’est pas accessible.
Quels sont les principaux problèmes des agriculteurs ?
Les cultivateurs ne sont pas impliqués dans les prises de décision. On prend des décisions qui les concernent sans avoir leur avis. Que ce soit les producteurs de l’arachide, de la pomme de terre ou de la banane, l’Etat vient avec sa vision et ses exigences. Le président de la République doit mettre les producteurs dans une même organisation pour qu’ils conçoivent un business plan quinquennal où l’on note tout ce dont on a besoin comme produits alimentaires. Comme ça, des ingénieurs vont, de concert avec le ministre de l’Agriculture, vérifier les informations et les certifier. Mais depuis 1960, l’agriculture du Sénégal est un ‘’prêt-à-porter’’. Et seuls 10 % de l’argent destiné aux agriculteurs arrive chez les bénéficiaires. Tout le reste est détourné et consommé avant même que l’on achète du matériel pour les arboriculteurs producteurs. On doit cesser cela, sinon on n’ira pas de l’avant. Tant qu’on ne changera pas la donne, le monde rural restera à l’agonie.
Donc, il faut impliquer ceux qui ont consacré leur carrière et leur vie à l’agriculture. Un médecin ne peut pas diriger un journaliste, par exemple. Ce n’est pas logique. Il peut avoir son avis, mais le dernier mot ne lui revient pas. C’est le problème que vivent tous les agriculteurs sénégalais. Il y a également les lenteurs. Tous les présidents qui se sont succédé ont lancé différents programmes. Mais les ministres ne font pas leur travail. Parce que quand un projet est voté à l’Assemblée nationale, son exécution ne doit pas tarder. C’est ce qui se passe dans toutes les filières.
BABACAR SY SEYE