Publié le 6 Nov 2016 - 22:16
MOUSTAPHA NDIAYE (SOCIOLOGUE) :

‘’Un travail approfondi sur la question s’impose…’’

 

Les meurtres quasi gratuits soulèvent des questions. Le sociologue Moustapha Ndiaye invite à se poser les bonnes questions et surtout faire des études approfondies pour déterminer les vraies causes. En attendant, il propose quelques pistes de réflexion.

 

De plus en plus, l’on note que les Sénégalais sont prompts à tuer leur prochain. Comment expliquer cette facilité à ôter la vie à autrui ?

Des cas de meurtres sont effectivement relatés régulièrement par la presse. Ces dernières semaines, la presse en a fait écho dans les unes des journaux. Les motifs évoqués sont le plus souvent anodins mais il faut se poser les questions suivantes : Est-ce un phénomène ou de simples faits divers isolés ? Est-ce un phénomène localisé dans les grandes agglomérations comme Dakar, Thiès, Kaolack etc.?

Un travail approfondi sur la question s’impose pour évaluer l’ampleur des meurtres, pour en faire la cartographie et trouver les relations de causalité avec d’autres phénomènes comme la crise des institutions de socialisation (la famille, l’école), le chômage, la toxicomanie, le stress…

Nous savons qu’il y a un usage en grande hausse de psychotropes dans le pays. Selon une récente enquête, 24 millions de bouteilles d’alcool seraient consommés par an au Sénégal. La pratique se généralise jusque parmi les jeunes garçons et les jeunes filles. Les derniers travaux rapportés par des organismes qui accompagnent les toxicomanes au Sénégal révèlent  une accessibilité déconcertante des psychotropes. A cela s’ajoute l’usage de produits différents pour accroître les sensations. Un niveau élevé d’usage chez les adolescents est aussi constaté. Une étude en 2005 rapportait que  40% des jeunes âgés entre 15 et 24 ans boivent systématiquement ou quasi-systématiquement de l’alcool lors des fêtes.

Peut-on en déduire que l’usage des psychotropes favorise la violence ?

  On pourrait émettre une hypothèse entre la fréquence d’usage des psychotropes et les cas de violences dont certains conduisant au meurtre.  Le chômage, l’oisiveté, les  activités  conditionnant du stress ou constituant des obstacles au vivre en ensemble et la surpopulation se posent de plus en plus dans les agglomérations. Ces différents facteurs peuvent avoir comme effets une récurrence des violences et des meurtres particulièrement. L’emprise ou le manque vis-à-vis des psychotropes peut constituer des motifs directs qui poussent des individus à se les procurer à tout prix y compris en attentant à la vie des autres. Mais ça peut aussi être l’effet des causes efficientes évoquées.

Est-ce que le profil des tueurs nous renseigne sur quelque chose ?

L’identification des profils des tueurs aiderait dans le cadre d’un travail approfondi pour avoir des explications sur l’éventuelle recrudescence des meurtres. Cela reviendrait à voir s’il n’existe pas un conditionnement socioculturel du meurtre. A ce titre, un des outils ethnographique comme le récit de vie permettrait d’en avoir un aperçu. L’expérience de l’école de Chicago sur des problématiques de ce genre en est une parfaite illustration.

Quelle peut-être la solution à cette criminalité ?

Pour lutter contre la criminalité, un état des lieux par une étude approfondie sur la question est le premier pas à faire. Cela permettrait d’avoir une idée claire pour déceler les axes sur lesquels se centrer ainsi que le plan d’action à mener. Personnellement, je considère que la famille constitue une grande priorité. En effet, la crise de cette institution fondatrice explique beaucoup de problèmes auxquels nous sommes confrontés actuellement. Elle n’arrive plus à assurer les fonctions essentielles qui sont sa raison d’être à savoir : l’affect, la solidarité de protection et de socialisation. Renforcer l’institution familiale à faire face à un processus de fragilisation constitue la vraie fondation contre les différents problèmes comme la violence et les meurtres. A cela s’ajoute aussi la nécessité d’avoir une vraie politique de lutte contre l’inactivité et le chômage des jeunes.

La peine de mort peut-elle endiguer ou du moins réduire le phénomène ?

La peine de mort ne constitue pas l’élément essentiel pour enrayer la recrudescence des meurtres. La preuve, les pays qui ont instauré cette mesure ne constituent pas pour autant les endroits les plus sûrs du monde. Il est vrai qu’elle peut avoir des effets dissuasifs mais c’est surtout par la prévention, en s’attaquant à la racine, que l’on peut arriver à lutter efficacement contre ce phénomène. 

BABACAR WILLANE

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