Un Quatrième pouvoir peu jaloux
Mask or not mask, Mister President - L'homme le plus puissant - et sans doute aussi le plus imprévisible de la planète - est également le chef d'Etat le mieux protégé du monde. Celui pour qui aucun détail de la vie n'échappe au Secret Service en charge de sa surveillance, était, dimanche dernier, sur le plateau de la chaîne Fox News. Avec la crinière et le teint hâlé qui le caractérisent, le président américain partageait son plateau avec deux journalistes, visage à découvert. Et ils ont raison. Ils étaient bien sûr une chaîne de télé et à la télé, on y va pour se faire voir, au propre comme au figuré. Le message qu'on y délivre persuade d'abord par la faculté de voir celui qui le dispense. Autrement, viva la radio ou la presse écrite.
A Ndoumbelane, l'on semble méconnaître cette règle, en voulant imposer à la presse télévisée le port du masque sur les plateaux ! Hérésie et incursion déstabilisante. On tamponne l'autonomie des journalistes avec la stratégie de choc appliquée aux médias - çà et là - dans le monde et que Reporters sans frontières a dénoncée, lors de la dernière célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse. Pour continuer à étaler leurs belles bouilles à la télé, les journalistes - ou du moins certains d'entre eux - ont trouvé le moyen de se défaire de cette bien ombrageuse injonction qui faisait de leurs personnages des masques volubiles face à la caméra.
Avec l'assentiment du Conseil national de régulation de l'audiovisuel (CNRA), c'est désormais à bas le masque et vive le gai plateau et le libre visage, sous réserve, bien entendu, de quelques mesures de distanciation sociale. Les mêmes que Trump a observées sur Fox News pour nous annoncer, entre autres, son bon espoir, avant la fin de l'année, de découverte d'un vaccin anti-corona.
Si, sur la TFM, l'émission à polémiques, "Jakarlo", semble adopter le masque en raison de l'exiguïté de son plateau de castagneurs, à la RTS, c'est une tout autre approche apparemment collée à la politique gouvernementale. Il y a une semaine, l'émission "Saytu", (décryptage) avait deux invités sur son plateau vaste comme Bercy. Deux ministres masqués jusqu'au nez, bien séparés - largement d'ailleurs - et avec, au milieu, un journaliste emmitouflé dans un grand boubou qui le bouffait. Abdoulaye Barry, l'animateur du jour, est un très bon journaliste sorti du Cesti, il y a trente ans.
Autant dire un des "vieux" de la presse active, quasiment disparu, depuis des années, des écrans de la RTS où il a été parmi les plus réguliers présentateurs du ‘’20 h’’ à une certaine époque et auteur de nombreux grands reportages sur l'agriculture. Une célébrité volontairement retombée dans l'anonymat... Qui pour reconnaître Barry avec son masque ? Très peu de téléspectateurs ! Les deux ministres, de l'Intérieur et des Transports terrestres ? Sans doute un peu plus reconnaissables, en raison de leur notoriété, mais tout juste ! "À la télévision, ce qui se voit compte plus que ce qui se dit", professait François Mitterrand, une vraie bête de plateau. Les spécialistes de la communication politique ne semblent pas dire autre chose : l'homme politique a besoin d'être dans un état plaisant pour pouvoir plaire et espérer ainsi persuader le téléspectateur... Difficile de l'envisager quand on a la tête de Leonardo, Donatello ou Michelangelo !
PRÉCÉDENT DANGEREUX - Promouvoir la pédagogie du masque en le portant partout et n'importe quand, ne doit pas inciter à en dénaturer le sens. Trop présent, voire envahissant, ce "machin" qui symbolise tout le désarroi de notre présent, finit par incommoder et tomber dans la banalité. Il s'y ajoute que porter le masque comme sa chemise n'est pas sans risque, de l'avis d'une certaine littérature. Hypoxie (baisse chronique du niveau d'oxygène dans le sang), vertiges et forte asthénie menacent les porteurs longue durée et en endroit fermé... Imaginez un ministre piquer en direct un malaise sur un plateau de télé ! Horresco referens ! Kawteef... Écran noir... Pin-Pon, Pin-Pon et voilà les secours ! Mais il lui faudra plus qu'un apport en oxygène pour clore l'incident, tant, en cette période, toute faiblesse est immédiatement suspectée de Covid-19 ! Bonjour, walaye walaye, une belle quarantaine… au nom de la pédagogie par l'exemple !
Quand il s'est agi de se débarrasser du masque ou de parler intendance avec l'aide à la presse, nos confrères et consœurs n'ont pas été ni aussi prompts ni aussi jaloux que lorsqu'il s'est agi de préserver un droit fondamental du Quatrième pouvoir : pouvoir aller et venir. Sinon, comment comprendre qu'ils aient accepté aussi allègrement les limites de circulation qui leur ont été imposées par "l'Autorité", pour parler comme les policiers. La carte de presse est un sésame, dans les tous les pays démocratiques. Sauf qu’à Ndoumbelane, elle ne semble pas signifier plus qu'une feuille de choux ou "keuyitu sukeur", comme on raille chez nous. Madiambal Diagne avait bien raison d'écrire, dans son édito du 26 mars dernier, dans ‘’le Quotidien’’ : "Laissez les journalistes travailler sans entraves." Accepter de pouvoir circuler aux heures de couvre-feu uniquement sur la base d'une liste préétablie par leurs rédactions et validée par le ministère de l'Intérieur, est un grave renoncement qui peut faire jurisprudence demain. Un couvre-feu n'est pas toujours lié à une situation de péril sanitaire. Devant témoigner de tout, être libre partout et à tout moment, le mouvement, dans le temps et l'espace, est essentiel aux journalistes pour leur permettre d’exercer leur travail de veille. La peur du gendarme est le début de la sagesse, dit-on. La peur de l'œil inquisiteur de la presse est la première source de sagesse pour le policier et le gendarme, j'ajouterais. De tous les détenteurs de pouvoir, en réalité !
PEPESSOU