La journaliste Fatoumata B. Sonko pointe un ''paradoxe'' sur les ondes FM
Ancienne journaliste à l'Agence de presse sénégalaise (APS), Fatoumata Bernadette Sonko vient de publier un ouvrage, fruit d'une thèse de qualité sur le ''Paradoxe'' des émissions interactives de radios au Sénégal.
Le Sénégal a entamé, depuis le début des années 1990 (plus exactement en 1992), une politique audiovisuelle de libéralisation progressive des ondes, aboutissant à la naissance de la première radio privée nationale, Sud-FM (1994), qui fut rapidement suivie par Dunyaa FM, Walf FM, Nostalgie FM, etc. Cette libéralisation des ondes a permis aux auditeurs - via l’avènement des radios privées - de découvrir une autre façon, cette fois-ci interactive, de ''faire la radio''. Néanmoins, ce qui s’annonçait comme l’opportunité d’une meilleure prise en charge de la diversité des opinions, jusque-là étouffées par un régime politique unique et réprobateur de toute idée émancipatrice, a malheureusement (mais subtilement) été détournée par les groupes ''dominants'' du monde politique, religieux, culturel… Ces derniers tentent ''de conforter et d'enfermer l'auditeur dans une illusion démocratique et de liberté'', soutient Fatoumata Bernadette Sonko, dont la thèse a récemment été publiée par l’ARNT (Atelier national de reproduction des Thèses) français.
Soutenue le 08 décembre 2010 à l’École Doctorale Montaigne-Humanités, ladite thèse, intitulée ''Les usages paradoxaux de la radio à travers les émissions interactives au Sénégal : les exemples de Sud Fm, de RFM et de FM Awagna'', pèse 550 pages. Ce qui permet à son auteure de creuser, de manière exhaustive, la question de la diversité médiatique qui, selon elle, ne rime pas forcément avec pluralité d'expression. Ainsi Fatoumata Bernadette Sonko (aujourd’hui Docteur es Sciences de l'information et de la communication, option conception, production, parcours et dispositifs interactifs) traite de ces émissions interactives à travers lesquelles le public sénégalais acquerra un ''nouveau statut'' et ''espace réservé sans cesse élargi'' au fur et à mesure de leur multiplication et diversification dans des rubriques telles que la politique et la religion, en passant par l’économie, la culture, le sport et les divertissements.
Mais dans ce contexte favorable à la liberté d’expression, l’auteur semble relever, cependant, des mécanismes d’exclusion ''(in)volontaires'' d’une bonne partie de la population qui se cachent derrière l’apparente démocratie de ces espaces interactifs, créés par les radios sénégalaises hertziennes et, plus tard, numériques avec l'Internet. En effet, Fatoumata Sonko avance la thèse d’une véritable prise en otage de l’accès à la parole par cette partie de la population détentrice des ''ressources technologiques, financières et linguistiques'' qui lui sont sine qua non. Une prise en otage dont la conséquence est, sans surprise, l’apparition d’''espaces réservés à un public filtré et obéissant à une logique mercantile, politique et culturelle, dévoyant ainsi toute leur portée démocratique''.
''Prêcheurs hertziens''
C’est donc des mécanismes mais surtout des enjeux (cognitifs et confessionnels) de la percée des émissions interactives dont il s’agit. Émissions à travers lesquelles ceux que l’auteur appelle les ''prêcheurs hertziens'' sont devenus les porte-paroles politiques, religieux et relationnels d’une société sénégalaise. L’idée avancée est celle d’espaces radiophoniques devenus hauts lieux de ''griotisme'', qui fausserait parfois même l’idée d’une participation citoyenne et d’un débat démocratique. Ces plages hertziennes seraient ainsi envahies par le ''jeton militant'', une pratique mise en place par des groupes d’intérêts (politique, syndical, religieux, etc.) pour monopoliser la parole. Le dévoiement de ce reflet démocratique montrerait le caractère illusoire de ces émissions dont les limites altèrent leur propre portée démocratique, érigeant un fonctionnement en boucle, exclusif d’une bonne partie des auditeurs.
Méthodologiquement parlant, il s’agit d’une recherche de type qualitatif s'appuyant sur différents groupes de sources (auditeurs, chercheurs, universitaires, professionnels des médias etc.) et 3 radios de type commercial et communautaire. Ce qui permet non seulement des approches comparatives entre les organes de presse ciblés mais surtout la mise en place d’une typologie des émissions interactives. L’opus est le fruit de recherches effectuées entre 2005 et 2010, au Sénégal, sous la direction du professeur Jean-Jacques Cheval, Maître de conférences à l'Université Michel de Montaigne (Bordeaux 3) en France. Mme Sonko prépare en outre un essai sur ''Les leurres démocratiques entretenus par les outils de communication, de la télévision à la radio en passant par l'Internet et les réseaux sociaux''.
Sophiane BENGELOUN
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