Le Cdeps dénonce les manipulations du gouvernement
Hier, face à la presse, le Conseil des éditeurs et diffuseurs de presse du Sénégal (Cdeps) a exprimé son profond mécontentement face aux récentes déclarations du ministre chargé de la Communication. Cette réaction fait suite au succès de la journée sans presse organisée le 13 août dernier et à l'appel du président de la République pour un ‘’dialogue rénové avec la presse’’.
Hier, à la Maison de la presse à Dakar, lors d’une conférence de presse, le Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse au Sénégal (Cdeps) a dénoncé fermement ce qu'il considère comme des tentatives de manipulation et de diabolisation du secteur de la presse, orchestrées à des fins politiques. Le président du Cdeps, Mamadou Ibra Kane, dans sa déclaration, remet en question les chiffres avancés par le ministre de la Communication, en ce qui concerne la situation fiscale des entreprises de presse.
En effet, selon le président du conseil, ‘’le montant de 40 milliards F CFA mentionné est un fourre-tout qui regroupe des droits simples, des taxations d’office et des pénalités, sans distinction claire’’. À cet effet, le Cdeps dénonce la publication de ces données, qualifiée d'illégale et contraire au secret fiscal. Il critique également l'idée que les entreprises de presse soient les seules à être exposées de la sorte.
Pour le président et les membres de ce conseil, ces méthodes visent à détourner l'opinion publique contre les entrepreneurs de presse en les présentant injustement comme des hors-la-loi. Or, a précisé une des membres du Cdeps, Maimouna Ndour Faye, aucune entreprise de presse ne refuse de payer sa dette. ‘’On ne nous a pas laissé le droit d’user des voies légales. À peine a-t-on reçu les courriers de l’Administration fiscale et que nous avons tenté de trouver des voies et moyens pour payer suivant des moratoires, qu’on a mis la main sur nos comptes’’, a-t-elle rappelé.
Elle a également précisé qu’en termes d’impôts, les entreprises doivent 13 milliards F CFA. ‘’On a cherché à rencontrer le directeur des Impôts et des Domaines ainsi que le ministre des Finances pour pouvoir disséquer cette dette fiscale et voir comment la solder, mais personne n’a voulu nous recevoir. C’est pour cela qu’on a fait une journée sans presse. Encore une fois, on ne dit pas qu’on ne veut pas payer. On n’est pas au-dessus de la loi. Mais on alerte sur les mesures draconiennes prises par l’État et qui nous étouffent. On n’a aucune rentrée d’argent avec la rupture des contrats publicitaires’’. Elle se demande si l’État n’est pas dans une tentative de museler la presse, puisqu’à ce rythme, on risque de voir beaucoup d’entreprises de presse fermées.
Dans le même sillage, le Cdeps a abordé la situation sociale actuelle qui met en avant des enquêtes incomplètes et trompeuses. Il a donc exprimé son désaccord sur l'évaluation de la situation sociale des entreprises de presse. ‘’Le Cdeps reste conscient qu’il y a des efforts à faire, mais trouve inconcevable qu’un ministre de tutelle ne fonde pas son argumentaire sur des statistiques de services étatiques et ne prend en compte qu’un échantillon de 217 journalistes, alors qu’actuellement il y a 2 118 personnes qui détiennent la carte nationale de presse sur 2 700 demandes’’, a-t-il été rappelé. D’ailleurs, a-t-il rappelé, dans une lettre ouverte adressée au président de la République et publiée le 7 juillet 2024, le patronat de presse a fait des propositions en vue d'améliorer la situation sociale des travailleurs. Dans ce cadre, il a demandé une mise à niveau des entreprises de presse.
Par conséquent, le conseil critique le manque de fiabilité des données utilisées par le ministère et déplore l'absence d'investigations plus exhaustives, susceptibles de mieux refléter la réalité sociale du secteur. Pour le Cdeps, ces actions sont une tentative de créer des tensions inutiles entre employeurs et employés.
D’ailleurs, Maimouna Ndour se dit surprise par la sortie du ministre après l’appel au ‘’dialogue rénové’’ du président de la République et le communiqué du Cdeps saluant cet appel. Elle regrette que le ministre ait ‘’manipulé’’ des chiffres et lancé la presse ‘’à la vindicte populaire’’. Et, a-t-elle ajouté, ‘’on attendait de lui des solutions, mais pas ces petites manipulations’’. Des solutions comme une ‘’fiscalité particulière’’ pour le secteur de la presse comme en bénéficient d’autres sont attendues.
En outre, le patronat se veut clair : si le ministre de la Communication n’arrête pas ses manipulations, il demandera son retrait. ‘’On ne peut avoir comme interlocuteur quelqu’un qui expose nos données personnelles’’, a dit Maimouna Ndour Faye.
Par ailleurs, le président du Cdeps réaffirme que leur organisation reste ouverte au dialogue, mais le ministre semble ne pas être dans la même logique.
Quoi qu’il en soit, le Cdeps est en train de constituer un pool d’avocats pour pouvoir se défendre. Des experts seront également engagés en matière de fiscalité, pour permettre aux entreprises de presse de défendre leur patrimoine. Ce qui leur permettra de se défendre contre les saisies de matériel au besoin.
S’agissant de la gestion du Fonds d’appui et de développement de la presse (FADP) également au cœur des critiques du Cdeps. Le conseil accuse le ministère de Communication de divulguer des informations ‘’sciemment incomplètes’’, concernant les bénéficiaires des aides. Et s’étonne de la politique de ‘’clarification sélective’’ du ministre de la Communication, des Télécommunications et du Numérique. Exigeant alors que lumière soit faite sur la répartition effective des fonds. ‘’Le Cdeps demande que les services d’Inspection de l’État fassent la lumière sur les montants effectivement alloués aux entreprises de presse et sur les 800 millions de francs de l’aide à la presse détournés, parce que n’étant pas allés aux entreprises de presse. Maimouna Ndour Faye parle d’une ‘’mafia’’ au niveau du ministère de la Communication.
Le conseil se défend également des insinuations selon lesquelles les représentants de la presse au sein du FADP seraient complices de mauvaise gestion. Et rappelle que ‘’les quatre représentants désignés (Cdeps, Appel, Synpics, Urac) n’ont qu’un statut d’observateur. En effet, les représentants des organisations et l'administrateur participent aux réunions du conseil de gestion avec voix consultative. Ils ne prennent pas part aux délibérations. L'administrateur du FADP assure le secrétariat des réunions du conseil. Le conseil de gestion peut s'adjoindre toute personne-ressource’’. Tel que le stipule l’article 5 du décret n°2021-178 fixant les modalités d'organisation et de fonctionnement du fonds qui dispose en ses alinéas 3, 4 et 5, indique-t-il. Cela voudrait dire que ces derniers sont consultés, donnent leurs avis, mais ne sont pas associés aux validations et décisions définitives.
Ainsi donc, le Cdeps rappelle qu'il a formulé à plusieurs reprises des propositions pour améliorer la situation du secteur de la presse, sans véritable réponse du gouvernement. Tout en insistant sur le fait que ‘’la presse ne saurait se développer et atteindre les objectifs utiles pour l’entreprise, les acteurs et la République si les autorités en font un secteur ennemi à abattre pour installer un silence total sur le fonctionnement du pays’’.
THECIA P. NYOMBA EKOMIE