Ces éternels ‘’phénix’’ à la reconquête du pouvoir
L'histoire politique mondiale est ponctuée de retours inattendus de dirigeants qui, après avoir perdu le pouvoir, parviennent à retrouver leur place au sommet. Ce phénomène, qui transcende les frontières et les continents, soulève des questions sur la résilience des leaders, les dynamiques électorales et les attentes des électeurs. ‘’EnQuête’’ se penche sur plusieurs figures emblématiques de ce phénomène, notamment Donald Trump (USA), Donald Tusk en Pologne, Benjamin Netanyahou en Israël, Silvio Berlusconi en Italie, ATT au Mali et Mahathir Mohamad en Malaisie. Chacun de ces dirigeants a connu des hauts et des bas, mais leur capacité à revenir au pouvoir témoigne d'une réalité politique complexe.
Quand l'histoire se répète. L'élection surprise de Donald Trump à la présidence des États-Unis le 5 novembre 2024, marque un tournant historique dans la politique américaine. À 78 ans, l'ancien président a réussi un come-back spectaculaire, battant sa rivale démocrate Kamala Harris et devenant ainsi le 47e président des États-Unis.
Ce retour au pouvoir après une interruption de mandat n'est pas sans précédent, mais reste un événement rare dans l'histoire politique mondiale.
Donald Trump n'est pas le premier président du pays de l’Oncle Sam à effectuer deux mandats non consécutifs. Il suit les traces de Grover Cleveland, le seul autre président de l'histoire des États-Unis à avoir réalisé cet exploit, il y a plus d'un siècle.
L'ascension de Cleveland
Grover Cleveland, originaire du New Jersey, est entré en politique à l'âge de 44 ans, après une carrière d'avocat. Son parcours politique a été fulgurant : maire de Buffalo en 1881, puis gouverneur de New York, il s'est forgé une réputation d'homme politique intègre et réformateur, particulièrement engagé dans la lutte contre la corruption. Cleveland remporte sa première élection présidentielle en 1884, devenant le premier président démocrate élu depuis la fin de la guerre de Sécession. Son premier mandat est marqué par un style de vie modeste à la Maison-Blanche et des tentatives de réformes dans divers secteurs.
Cependant, il perd de justesse l'élection de 1888 face au républicain Benjamin Harrison.
Quatre ans plus tard, en 1892, Cleveland tente à nouveau sa chance dans un contexte plus favorable. Il parvient à prendre sa revanche sur Harrison, remportant la majorité des suffrages populaires et des grands électeurs.
Ce second mandat est toutefois marqué par une grave crise économique et une perte progressive de popularité.
Le phénomène Trump
La campagne de Donald Trump pour l'élection de 2024 a été marquée par une rhétorique similaire à celle de ses précédentes campagnes. Se présentant toujours comme un candidat antisystème, Trump a fait de la question de l'immigration son "sujet n°1", promettant la plus grande opération d'expulsion de migrants clandestins de l'histoire des États-Unis.
À 78 ans, Trump devra faire face à de nombreux défis, pour son retour à la Maison-Blanche. Il devra notamment gérer les divisions profondes au sein de la société américaine, exacerbées par son style de gouvernance controversé et ses positions clivantes sur des sujets tels que l'immigration et la politique étrangère.
Lula au Brésil : un retour remarquable
L'élection de Luiz Inácio Lula da Silva à la présidence du Brésil en 2022 représente un autre exemple frappant de retour au pouvoir après une interruption. Lula, qui avait déjà été président de 2003 à 2010, a réussi à revenir au sommet de l'État brésilien, malgré les obstacles juridiques et politiques.
Issu d'un milieu défavorisé, Lula est devenu une figure emblématique de la gauche brésilienne dès les années 1980. Après trois tentatives infructueuses, il est élu président en 2002, devenant le premier chef d'État brésilien issu de la classe ouvrière.
Pour son troisième mandat, Lula a fait de la lutte contre la faim et du réchauffement climatique ses priorités. Cependant, à 77 ans, il doit diriger un pays profondément divisé et isolé sur le plan diplomatique, ce qui représente un défi de taille.
Mahathir bin Mohamad en Malaisie : un retour inattendu
En Malaisie, Mahathir bin Mohamad a réalisé un retour au pouvoir spectaculaire en 2018, à l'âge de 92 ans. Après avoir été Premier ministre de 1981 à 2003, il est revenu aux affaires 15 ans plus tard, devenant le chef de l'exécutif le plus âgé du monde.
Lors de son premier mandat, Mahathir a œuvré au développement de la Malaisie, notamment en encourageant le pays à s'inspirer du modèle japonais. Son retour au pouvoir en 2018 a été marqué par un changement d'alliance politique, puisqu'il a dirigé cette fois-ci l'alliance électorale Pakatan Harapan.
Malgré son retour triomphal, il a finalement démissionné en février 2020, à l'âge de 94 ans, après moins de deux ans de mandat. Son bref retour au pouvoir illustre les défis que peuvent rencontrer les dirigeants âgés lorsqu'ils reviennent aux affaires après une longue interruption.
Donald Tusk : Le retour du leader polonais
Donald Tusk a quitté la tête du gouvernement polonais en 2014 pour devenir président du Conseil européen. Son mandat à Bruxelles lui a permis de se forger une réputation de leader pragmatique et influent sur la scène européenne. En 2019, après avoir terminé son second mandat à la présidence du Conseil européen, il est élu à la présidence du Parti populaire européen (PPE), un regroupement de partis de droite et de centre droit.
En 2021, Tusk fait son retour dans la vie politique polonaise en reprenant la direction de la Plate-forme civique (PO), un parti en déclin depuis sa défaite aux élections parlementaires de 2015. Son retour coïncide avec une période difficile pour le pays, marquée par une montée du conservatisme sous le gouvernement du parti Droit et justice (PiS). Lors des élections parlementaires de 2023, malgré une coalition avec d'autres partis comme la Troisième Voie et La Gauche, il ne parvient pas à devancer le PiS. Toutefois, son retour à la présidence du Conseil témoigne d'une volonté de rassembler les forces progressistes face à un adversaire puissant.
Benjamin Netanyahou : Le phœnix israélien
Benjamin Netanyahou est une figure centrale de la politique israélienne. Premier ministre pour la première fois en 1996, il perd son poste en 1999 face au travailliste Ehud Barak. Après un passage dans l'opposition, il revient sur le devant de la scène en 2009 et occupe le poste de Premier ministre jusqu'en 2021. Son mandat est marqué par des politiques sécuritaires strictes et une approche ferme vis-à-vis des Palestiniens.
Après une période d'instabilité politique où plusieurs élections se succèdent sans qu'il parvienne à former une coalition stable, Netanyahou retrouve le pouvoir en 2022 grâce à une coalition majoritaire avec des partis d'extrême droite. Son retour est accompagné d'une volonté de réformer le système judiciaire israélien, ce qui entraîne des manifestations massives dans le pays. En octobre 2023, il forme un cabinet de guerre, à la suite de l'attaque du Hamas, un tournant qui soulève des critiques tant nationales qu'internationales sur sa gestion du conflit.
Silvio Berlusconi : l'Italien indémodable
Silvio Berlusconi est un homme d'affaires devenu homme politique qui a marqué l'Italie depuis les années 1990. Premier ministre pour la première fois en 1994, il connaît plusieurs mandats entrecoupés par des scandales judiciaires et politiques. Malgré ses controverses personnelles et ses démêlés avec la justice, Berlusconi reste une figure charismatique capable de mobiliser un large électorat.
Après avoir été écarté du pouvoir en 2011, Berlusconi fait un retour notable dans les années suivantes. En 2022, son parti Forza Italia fait partie d'une coalition gagnante aux élections législatives. Bien qu'il ne soit pas Premier ministre cette fois-ci, son influence demeure forte au sein du gouvernement italien dirigé par Giorgia Meloni. Son parcours illustre comment même les leaders controversés peuvent retrouver leur place sur la scène politique.
Le retour des chefs d'État en Afrique : une dynamique politique complexe
L'Afrique, un continent riche en diversités culturelles et politiques, a vu au fil des décennies plusieurs de ses dirigeants retrouver le pouvoir après une période d'absence. Ces retours, souvent marqués par des contextes tumultueux, révèlent des dynamiques politiques uniques et soulèvent des questions sur la stabilité démocratique et les aspirations des citoyens. Cet article explore les parcours de dirigeants emblématiques tels que Denis Sassou-Nguesso, Olusegun Obasanjo et Amadou Toumani Touré, mettant en lumière les raisons de leur retour et les implications pour leurs pays respectifs.
Denis Sassou-Nguesso : Le revenant congolais
Denis Sassou-Nguesso devient président de la République populaire du Congo en 1979, après avoir renversé le régime de Marien Ngouabi. Son premier mandat dure jusqu'en 1992, lorsqu'il est battu lors des premières élections multipartites du pays. Cependant, il ne reste pas longtemps éloigné du pouvoir.
En octobre 1997, au cours d'une guerre civile sanglante, Sassou-Nguesso renverse le président élu Pascal Lissouba. Ce coup d'État lui permet de reprendre la présidence qu'il avait perdue cinq ans plus tôt. Depuis lors, il a maintenu un contrôle ferme sur le pays, abrogeant la Constitution de 1992 et formant un Conseil national de transition. Son retour au pouvoir soulève des questions sur la légitimité démocratique et les droits humains au Congo.
Sassou-Nguesso a été réélu à plusieurs reprises depuis son retour, mais son régime fait face à des critiques croissantes concernant la corruption et la répression des opposants. La question de sa succession est également un sujet brûlant dans le pays, alors que le président vieillissant semble déterminé à maintenir son emprise sur le pouvoir.
Olusegun Obasanjo : L'architecte nigérian de la démocratie
Olusegun Obasanjo est né le 5 mars 1937 au Nigeria. Ancien militaire, il devient chef d'État après un coup d'État en 1976. Après un bref mandat militaire, il remet le pouvoir à un gouvernement civil en 1979. Il se retire temporairement de la vie politique avant de revenir sur le devant de la scène.
Obasanjo est élu président du Nigeria en 1999 après avoir passé plusieurs années en prison sous le régime militaire. Son élection marque un tournant pour la démocratie nigériane. Il est réélu pour un second mandat en 2003. Sous sa direction, le Nigeria connaît une période de réformes économiques et politiques significatives.
Bien qu'il soit célébré comme un héros de la démocratie nigériane, son mandat n'est pas exempt de critiques. Des allégations de corruption et des tensions ethniques persistent dans le pays. Après avoir quitté ses fonctions en 2007, il continue d'influencer la politique nigériane par son engagement dans diverses initiatives diplomatiques.
Mathieu Kérékou : le caméléon béninois
Mathieu Kérékou est une figure marquante de la politique béninoise. Il accède au pouvoir pour la première fois après un coup d'État en 1972, renversant le président en exercice. Sous son règne, il établit un régime marxiste-léniniste et change le nom du pays en République populaire du Bénin. Son mandat est caractérisé par une répression politique sévère et une centralisation du pouvoir.
En 1990, face à des pressions internes et internationales pour plus de démocratie, Kérékou organise une conférence nationale qui aboutit à une nouvelle constitution et à des élections multipartites. Il perd alors la présidence face à l'opposant politique Nicéphore Soglo et se retire temporairement de la vie politique.
Cependant, Kérékou ne reste pas éloigné du pouvoir longtemps. En 1996, il se présente à nouveau à l’élection présidentielle et remporte le scrutin avec un discours axé sur la réconciliation nationale. Son second mandat est marqué par une volonté de moderniser le pays et d'améliorer les conditions de vie des Béninois. En 2006, il cède le pouvoir démocratiquement à son successeur, après avoir promis de respecter les institutions.
Amadou Toumani Touré : le soldat de la démocratie malienne
Amadou Toumani Touré joue un rôle clé dans l'histoire politique du Mali. En mars 1991, il participe à un coup d'État contre le président Moussa Traoré et devient chef d'État pendant une transition démocratique.
Touré est élu président du Mali en mai 2002 avec une large majorité. Pendant son mandat, il met l'accent sur la démocratie et la bonne gouvernance. Cependant, il fait face à des défis croissants liés à l'insurrection touareg dans le nord du pays.
En mars 2012, un coup d'État militaire renverse Touré alors qu'il se préparait à faire face à une rébellion armée dans le nord du Mali. Bien que son héritage soit celui d'un "soldat de la démocratie", son départ soulève des questions sur la stabilité politique du Mali.
Défis et nostalgie
Les dirigeants qui reviennent au pouvoir après une interruption doivent souvent adapter leur programme politique aux nouvelles réalités du pays. Dans le cas de Trump, sa rhétorique sur l'immigration et sa promesse de "rendre sa grandeur à l'Amérique" devront être confrontées à un contexte national et international qui a évolué depuis son premier mandat.
Le retour d'un ancien dirigeant suscite souvent de grandes attentes de la part de ses partisans. Ces derniers espèrent généralement une continuation des politiques du premier mandat, voire une amplification de celles-ci. Cependant, les réalités du pouvoir et l'évolution du contexte peuvent rendre difficile la satisfaction de ces attentes.
Les dirigeants qui reviennent au pouvoir doivent souvent faire face à une opposition renforcée. Dans le cas de Trump, par exemple, son retour à la Maison-Blanche risque de raviver les tensions politiques et sociales qui ont marqué son premier mandat.
Un autre aspect important à considérer est l'âge avancé de ces dirigeants lors de leur retour au pouvoir. Trump aura 78 ans au début de son nouveau mandat, ce qui soulève des questions sur sa capacité à assumer les lourdes responsabilités de la présidence américaine.
Le retour d'anciens dirigeants peut s'expliquer en partie par un sentiment de nostalgie chez les électeurs, combiné à un désir de changement face aux politiques actuelles. Dans le cas de Trump, son slogan "Make America Great Again" joue précisément sur cette nostalgie d'une grandeur passée.
Le come-back de ces dirigeants pose aussi la question de l'alternance politique. Si ce phénomène peut être vu comme une preuve de la vitalité démocratique, permettant aux électeurs de choisir librement leurs dirigeants, il peut aussi être interprété comme un signe de l'incapacité du système politique à renouveler ses élites.
Amadou Camara Gueye