La résistance de la minorité
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La pandémie Covid-19 a ses exigences. Et, dernièrement, elle a amené les autorités sénégalaises à instaurer le port du masque dans des lieux comme les marchés. Seulement, pour une première journée, certains Sénégalais peinent à adopter cette nouvelle mesure qui vise à stopper la propagation de la maladie, précisément de la transmission communautaire.
On en voit de toutes les couleurs et de toutes les tailles. Il y en a pour les petits et les grands. Neutres ou multicolores. En tissu pour la majorité ou chirurgicaux pour certains. Avant-hier, les habitués du marché Grand-Yoff ont, pour la plupart, suivi les instructions du ministre de l’Intérieur qui, dans un arrêté, exige le port du masque durant la période de l’état d’urgence dans certains lieux tels que les marchés. Seulement, l’habitude étant une seconde nature, beaucoup se sont lassés, avant la fin de la journée, de ce nouvel accessoire, alors que d’autres n’ont même pas cherché à essayer.
C’est le cas de Modou. Le jeune homme au teint noir a placé son charriot de peluches au milieu d’une ruelle externe du marché. Le vendeur à la sauvette semble faire l’exception au milieu de ses semblables qui arborent, chacun, une protection. Lui en fait fi. De temps en temps, il déplace son étale mobile pour céder le passage à un véhicule, avant de regagner la chaussée. Interrogé sur le non-respect de l’arrêté ministériel, il s’explique sur un ton plaisantin : ‘’Arrêtez de me fatiguer avec ces masques. Je n’ai pas le corona ; pourquoi en porter ? Pour vous rassurez, maintenant, je vais en acheter, si j’en trouve.’’ Une justification inaudible par cette mère accompagnée de sa fillette. ‘’Depuis ce matin, des vendeurs font le tour du marché. Tu ne peux pas nous dire que ce n’est pas accessible’’, lui lance la dame.
Au marché de Grand-Yoff, mise à part cette nouvelle mesure sur le port du masque, rien n’a changé. Le brouhaha assourdissant et les interpellations des vendeurs vont bon train. Et en cette période de pandémie, la situation peut alarmer plus d’un, mais reste normale pour les habitués de ce lieu. Ici, on laisse les gestes barrières comme la distanciation sociale à la porte. L’on se bouscule dans les allées étroites pour gagner certains endroits du marché. On se masse par groupe devant les étals bien garnis de légumes, de viande ou de poisson. Les rassemblements sont spontanés et l’argent circule d’une main à une autre, sans protection. Pire, le marché ne dispose même pas, d’après ses occupants, d’un dispositif de lavage des mains.
Face à ce méli-mélo, le port du masque devait alors être un salut pour apaiser les esprits craintifs. Cependant, en mi-journée, certains se sont départis de leur moyen de protection, en l’absence de toute pression. C’est le cas de Mame, une jeune vendeuse de légumes, à quelques pas de l’entrée du marché. Pour la résidante de Grand-Yoff, vêtue d’une tenue de couleur noire, un foulard rouge sur la tête, il est impensable de porter un masque. ‘’Je n’arrive pas à respirer avec. Donc, je préfère mettre mon foulard, afin de ne pas m’étouffer. Nous sommes en sécurité ici, il n’y a pas à s’alarmer. En plus, j’ai un sachet d’eau de javel pour me désinfecter les mains’’, se rassure-t-elle.
Au milieu des vendeuses de poisson, Mère Ndiaye expose des sachets de ‘’thiakry’’ sur le couvercle d’un sceau. Emmitouflée dans un grand boubou wax bleu, la dame à la forte corpulence a préféré observer un moment de répit, en se débarrassant de son masque. Elle n’ignore pas pour autant son utilité. ‘’Je viens juste de le ranger. Je l’avais arboré depuis ce matin, en venant au marché. J’apporte également un gel hydro-alcoolique’’, fait-elle savoir.
Abdoulaye tient sa boutique de sacs et de chausseurs dans un coin du marché. En ce début de matinée, il s’occupe à nettoyer et à ranger sa marchandise. Le jeune commerçant a, contrairement aux autres, mis un masque, mais a préféré l’abaisser au niveau du menton. ‘’Je suis seul dans ma boutique, donc j’ai préféré ne pas le mettre. En plus, je n’en vois pas l’utilité, car il doit être changé toutes les 4 heures, alors que je le porte continuellement. Je n’ai pas le temps d’utiliser les masques à tissu qui nécessitent un entretien en permanence’’.
La nouvelle mesure de protection semble toutefois faire le bonheur des tailleurs et des vendeurs. Amy est apprentie dans un atelier du marché. Elle indique que les masques se monnaient à 350 F CFA chez eux. ‘’On s’en sort bien. Il faut juste acheter par exemple 2 m de tissu pour en avoir une grande quantité à mettre à la disposition des clients’’, explique-t-elle. L’implantation de son lieu de travail en est également pour quelque chose. En effet, si les forces de l’ordre ne sont pas en permanence dans le marché, elles rodent aux alentours pour traquer les récalcitrants. ‘’D’habitude, ceux qui tentent de venir sans masque sont directement conduits vers les tailleurs pour les obliger à s’en procurer. A défaut, ils devront rebrousser chemin’’, rigole-t-elle.
‘’Le danger est permanent, mais…’’
Au fait, si les forces de l’ordre sont encore si diplomatiques, c’est parce que, renseigne le délégué du marché, la distribution des masques dans ce lieu de commerce n’est pas encore effective. Moussa Dieng Mansour reconnait d’ailleurs qu’un tour dans ce temple du commerce lui a permis d’en faire le constat. ‘’Mille masques seront distribués aux commerçants, d’ici peu et dès demain (mardi), j’irai récupérer ceux qui sont déjà disponibles. Une fois que ce sera fait, personne n’aura de justification, car les sanctions seront sévères. Le délégué dégagera ses responsabilités’’, indique-t-il.
Pour corser les mesures de prévention, le tailleur de profession fait savoir, en outre, qu’après une réunion, vendredi passé avec le maire et le commissaire de police de la localité, certaines portes du marché ont été fermées pour, dit-il, plus de contrôle. Seulement, indique M. Dieng, les portes ont été rouvertes à nouveau, pour permettre la fluidité de la circulation des occupants. Toutefois, il reste intransigeant sur les heures de fermeture du marché qui sont arrêtées à 17 h par le maire.
‘’A l’heure de la descente, certains se permettent de s’attarder sur les lieux, ce qui est inacceptable. Je vais dénoncer ceux qui refusent de se soumettre aux directives des autorités’’, avertit-il.
Moussa Dieng Mansour regrette, néanmoins, l’absence d’un dispositif de lavage des mains qui devrait être implanté et géré par la municipalité. Conscient de l’ampleur de cette pandémie, il appelle les habitués du marché à plus de responsabilités et au respect des gestes barrières, afin d’éviter de se retrouver dans certaines situations, comme la fermeture du marché.
‘’Le danger est permanent, certes. Mais nous devons nous en remettre à Dieu et éviter la stigmatisation. Le marché est indispensable à la société et des gens y gagnent leur vie’’, fait-il savoir.
OUSMANE GUEYE, DIRECTEUR DU SERVICE NATIONAL DE L’EDUCATION ET DE L’INFORMATION POUR LA SANTE (SNEIPS) ‘’C’est exagéré de porter un masque toute une journée’’ Le port du masque obéit à certaines normes, selon le directeur du Sneips. Pour Ousmane Guèye, même les masques artisanaux doivent être changés et désinfectés toutes les 4 heures. Le marché offre différents types de masque. Est-ce qu’ils se valent tous ? Tout au début, le masque était destiné au personnel soignant et aux malades, afin qu’ils ne contaminent pas ou ne soient pas contaminés. C’est pourquoi vous ne voyez les masques que dans les points de prestation de soins. Aujourd’hui, avec la tournure de la pandémie et pour stopper la transmission communautaire, les scientifiques le recommandent. Au Sénégal, avec la multiplication des cas, l’autorité recommande que le port du masque soit généralisé. Nous sommes dans un contexte où il n’y a pas de masques, comme on l’avait au début. Donc, on est obligé de faire avec l’initiative locale que nous encourageons. Mais il faut l’encadrer, en les poussant à épouser les normes édictées. Par conséquent, un cahier des charges est en train d’être élaboré. Il verra le jour très bientôt et c’est à partir de ce cahier des charges que les gens vont fabriquer des masques. Qu’est-ce qui va changer, avec ce cahier des charges ? Ceux qui sont dans la fabrication disent qu’un masque doit être à 100 % coton. Il y a aussi certaines caractéristiques d’un masque correct. Je pense que si on ne peut pas être aux normes à 100 %, on va tendre vers. Ce qui nous permettra d’être à l’aise et de protéger tout le monde. Est-ce que les masques commercialisés actuellement n’ont pas d’impact sur la santé de leurs utilisateurs ? Certes, ces masques ne sont pas certifiés, mais servent à quelque chose. Vous ne touchez pas vos yeux et votre bouche par la main, ça c’est un avantage. Il faut que les gens comprennent que ce masque doit être décontaminé, c’est-à-dire désinfecté tout le temps. Il faut le tremper à l’eau chaude, plus ou moins à 60°, pendant 30 minutes, avec de l’eau de javel. Il faudra que les gens le fassent et également le changer au bout de 4 heures. C’est exagéré de le porter toute une journée, même s’il s’agit de masques artisanaux. Il faut au moins deux masques par jour. Qu’en est-il de ceux qui se plaignent de problèmes respiratoires avec ces masques ? Si c’est quelqu’un qui a une pathologie respiratoire, qu’il ne peut pas supporter un masque, il doit respecter les gestes barrières, comme la distanciation sociale qui est fondamentale. Il faut toujours voir ce qui est bénéfique. Si on parle de transmission communautaire et que les gens veulent aller au marché sans masque, sans distanciation sociale, ils s’exposent. Vous n’évitez personne, vous êtes dans le rassemblement, vous pouvez choper le virus. Et vous serez responsible de vous-même. |
HABIBATOU TRAORE