Attention à la malédiction de l’or noir !
En principe, une ressource naturelle comme le pétrole doit être raisonnablement considérée comme une aubaine. Pour un pays comme le Sénégal, éreinté par une facture pétrolière de plusieurs centaines de milliards de francs Cfa chaque année, l’exploitation de l’or noir quelque part au large de la Casamance serait forcément plus qu’une aubaine.
Ce serait un miracle ! Pour les grands optimistes devant l’éternel, il serait alors temps de décréter des oukases : fin de la pauvreté des ménages, disparition de la mendicité et des enfants-talibés des rues, hausses de salaires pour fonctionnaires en crise permanente de liquidités, explosion du pouvoir d’achat de certaines catégories, application intégrale des subventions aux produits de consommation sans risque de se faire épingler par le Fonds monétaire international ou la Banque mondiale, bourses généralisées pour les étudiants et, pourquoi pas, primes d’encouragement au mariage pour célibataires endurcis… Il n’est jamais interdit de rêver, car de telles mesures, des pays les ont appliquées et continuent de le faire, à des échelles certes différentes.
Mais trop souvent, dans de nombreux pays, le rêve a débouché sur des réalités qu’il vaut mieux ne pas avoir l’occasion de vivre. C’est que le pétrole (comme la plupart des ressources naturelles stratégiques) semble porter en lui une malédiction certaine. A moins que ce soient les hommes qui perdent la tête en sa présence. La malédiction du pétrole et d’autres richesses naturelles n’est pas une vue de l’esprit. Elle a fait sombrer l’Angola dans une guerre civile meurtrière sans éradiquer la pauvreté, installé le chaos en Libye, paralysé la République démocratique du Congo (RDC), sédimenté l’Irak en quasi-républiques autonomes, cassé le Soudan en deux entités dont une pro-occidentale, meurtri le Libéria et la Sierra Léone durant plusieurs années, mutilé la Centrafrique à travers une vraie fausse guerre religieuse, bloqué le Nigeria, etc.
Dans tous ces pays, une constante s’est imposée : la grande majorité des mouvements et autres fronts combattant pour l’intégrité des pays ont été liés, d’une manière ou d’une autre, à des multinationales pétrolières elles-mêmes fortement soutenues par leurs pays respectifs. Mais pour les populations autochtones de ces nouveaux pays ‘’riches’’, l’outil de développement et d’émancipation que devaient constituer le pétrole, le gaz, la bauxite, le fer, le manganèse, etc., s’est brutalement transformé en cauchemar avec lequel la séparation est devenue impossible pour certains. Plusieurs millions de personnes ont ainsi été condamnées à l’exil sans fin, traquées entre des frontières poreuses d’Etats faibles, transformées en miliciens au service de bandes criminelles ou en ouvriers des mines d’or ou de diamants.
Aujourd’hui, la découverte annoncée de pétrole au Sénégal doit être clairement mise en perspective par rapport aux grandes distorsions causées par l’exploitation pétrolière en Afrique et ailleurs. Il ne doit surtout pas être question de divaguer sur cette supposée spécificité sénégalaise pour fermer les yeux sur le danger politique que pourrait représenter le pétrole pour notre pays.
Les biens de la collectivité nationale n’ont cessé d’être pillés depuis l’indépendance, une tendance qui s’est accélérée au cours de la dernière décennie alors que les ressources naturelles sont quasi inexistantes. Qu’en serait-il avec une classe politique aux valeurs particulières, mise en responsabilité de devoir administrer des rentes autrement plus faramineuses que celles de l’arachide ? Quels seraient les nouveaux rapports que le Sénégal serait condamné à entretenir avec certaines puissances occidentales pour qui ‘’les opérations pétrolières sont, à toutes fins pratiques, des instruments de politique étrangère’’ ?