Monsieur le président, pitié pour vous !
Ainsi donc, Abdoulaye Wade a fini par débarrasser le plancher de la République. Par le trou d'une serrure enrouillée par la formidable capacité de nuisance dont il a patiemment, obstinément fait preuve pendant douze ans. A sa place, un de ses «apprentis», un qui a eu le courage de lui tourner le dos, de l'affronter et de le terrasser, lui infligeant la pire des humiliations que Senghor et Abdou Diouf n'ont pu lui faire subir. Voilà donc Macky Sall au cœur de la tourmente sénégalaise.
Macky Sall ? En attendant qu'il entre vraiment dans les oripeaux de la fonction de président de la République, qu'il choisisse ses collaborateurs, qu'il prenne concrètement la mesure des défis qu'il s'est engagé à relever, on peut avoir pitié de lui s'il est décidé à travailler au bonheur des Sénégalais.
On doit avoir pitié de vous au regard de l'ampleur phénoménale du travail qui vous attend. A voir ces milliers de jeunes gens entassés, hier, sur le Boulevard de la République, et agglutinés aux grilles du Palais, on doit avoir pitié de vous ! Car ces jeunes-là, dans une ambiance d'espoir soutenue et digne des tournants historiques qui assurent la pérennité d'une nation, ont remis leurs destins piétinés entre vos mains, après qu'ils ont été piétinés par votre prédécesseur.
On doit avoir pitié de vous, monsieur le président, car ces jeunes gens qui ont hué Abdoulaye Wade à tue-tête y ont été contraints par l'arrogance et le manque de générosité coupables de celui qui vous a surnommé «apprenti». Le message est à la fois clair à votre endroit : la confiance n'exclut pas la surveillance ; et subliminal : si vous ne faites pas ce pour quoi vous avez été élu, il y a à craindre pour votre longévité dans les lambris dorés du Palais de la République.
On doit avoir pitié de vous, monsieur le président, parce que les attentes que vous avez suscitées sont si démesurées que l'on se demande comment vous parviendrez à redonner confiance à ce pays presque abîmé dans certains de ses fondements institutionnels, économiques, sociaux...
On vous plaint, monsieur le président, car les capteurs des Renseignements généraux vous diront sans doute qu'hier, au Méridien comme sur le Boulevard de la République, les citoyens sénégalais n'ont pas arrêté de formuler une revendication fondamentale. La baisse des prix des denrées de première nécessité ? Non. La baisse du tarif de l'électricité ? Non. Celle du gaz ? Vous n'y êtes pas toujours. Non, monsieur le président, le maître-mot, l'apprenti-mot, dirions-nous, qui s'est détaché des complaintes de vos compatriotes, c'est : «Auditez-les ! Rapatriez-nous les milliards qu'ils ont volés ! Faites-nous l'état des lieux et portez-les à la connaissance du peuple !» A défaut, et ils l'ont clairement signifié au vu et au su de tous, ils feront ce qu'ils auront à faire.
On doit avoir pitié de vous, monsieur le président, car c'est là malheureusement le vœu du peuple souverain du Sénégal qui vous a porté à la tête de la République. Il vous sera difficile d'ici deux ou trois ans de ne rien présenter à ces jeunes gens, à cette opinion publique devenue si exigeante contre ses dirigeants. Il vous sera impossible de dire aux Sénégalais qu'en douze ans de wadisme, rien ne s'est passé, que votre prédécesseur n'a commis aucun délit, que le fils et ses amis sont blancs comme neige dans l'Anoci, que la fille et ses mentors ont été orthodoxes au Fesman, que la régente ne faisait que de l'humanitaire dans le Sud-est du pays... On vous plaint, monsieur le président, parce que vous n'avez pas une minute à perdre. Allez travailler dans l'intérêt strict du Sénégal contre les rapaces qui rôdent déjà à vos portes.
Monsieur le président, on a pitié de vous ! Mais on est obligé de vous dire : Bienvenue à Sénégalères ! Vos compatriotes sauront être patients ! Bonne chance !
MOMAR DIENG