Des menaces sur l’approvisionnement en eau de Dakar
Nous évoquions dans une contribution précédente la menace sur les ressources en eaux des Niayes constituée par la mise en œuvre du projet de cimenterie de la société Dangote en attirant l’attention de l’opinion et des autorités sur les impacts quantitatifs et qualitatifs des prélèvements d’eau projetés, résultants du choix d’une technologie de centrale électrique à charbon utilisant un système de refroidissement à eau.
Le directeur général de la SDE fait état, dans une déclaration reprise dans «La Tribune» du 21 février 2014, d’un déficit actuel dans l’approvisionnement en eau de Dakar de 14.000 m3 d’eau qui, si rien n’est fait, passera à 35.000 m3 par jour en 2017 et à 150.000 m3 par jour à l’horizon 2025.
Cette augmentation quasi exponentielle du déficit nous amène à nous interroger sur l’impact des prélèvements d’eau de la cimenterie Dangote sur ce déficit compte tenu des contraintes imposées sur les prélèvements d’eau dans le secteur de Pout.
Il convient de rappeler que les nappes souterraines du secteur de Pout qui contribuent de manière importante à l’alimentation en eau de l’agglomération dakaroise, sont en surexploitation. Cette situation justifie les restrictions imposées par l’Etat à la SDE notamment l’interdiction d’extension du réseau de captage.
Cette mesure a été prise suite aux conclusions de l’étude réalisée en 2002 par le Groupement COWI (Belgique)-Polyconsult (Sénégal) dans le cadre du Projet Sectoriel Eau. Les simulations effectuées sur l’évolution de la salinisation de la nappe maestrichtienne dans le Horst de Ndiass (dont fait partie le secteur de Pout), montraient qu’au rythme des prélèvement d’eau, à partir de 2035, la salinisation des eaux douces par suite de la remontée des eaux saumâtres du maastrichtien inférieur allaient rendre les eaux impropres à la consommation humaine selon les normes de l’Organisation mondiale de la santé qui fixent le taux maximum de chlorure de sodium à 250 mg/litre.
Il s’y ajoute qu’une étude plus récente réalisée en 2009 par le Bureau d’études allemand GKW-Consult sur financement de la Banque mondiale, a démontré que le déficit du bilan hydraulique de la nappe maastrichtienne était de -15,4 millions de mètres-cubes par an en 2009.
Or, la centrale électrique à charbon de la cimenterie Dangote de Pout, d’une puissance de 30 mégawatts utilisera, pour son système de refroidissement par eau, plus 4500 m3 d’eau/jour prélevés par forages dans les nappes souterraines du secteur de Pout déjà très déficitaire selon l’étude précitée.
Ainsi, ces prélèvements augmenteraient à eux seuls de 10% le déficit de 2009, avec comme impact directs d’une part, la baisse continue du niveau statique des nappes et d’autre part, la remontée progressive de la nappe salée du maastrichtien inférieur, deux phénomènes qui, en se conjuguant, anéantiront de manière irréversible la disponibilité de l’eau douce dès lors qu’elle sera salinisée.
Selon le ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement, c’est ce déficit qui motive la décision d’implanter une unité de dessalement d’eau de mer de 50.000 m3 par an qui sera fonctionnel en 2016. Or, c’est connu, le dessalement d’eau de mer est un procédé très énergivore (3,5 kWh par m3) qui immanquablement va renchérir le prix de l’eau au Sénégal.
C’est pourquoi, au-delà de nos interrogations précédentes relatives sur les conditions d’approbation de l’évaluation environnementale et de délivrance des autorisations d’implantation des forages, nous interpellons les autorités administratives et locales, les élus locaux ainsi que la société civile sur l’importance de faire respecter par tous les acteurs du secteur productif les prescriptions en vigueur sur la gestion durable de nos ressources en eau souterraine, notamment celles découlant des études de 2002 et 2009.
La question est de savoir s’il est normal et juste de faire payer à la communauté les impacts aussi lourds et négatifs les ressources en eau pour les populations locales et l’approvisionnement de Dakar, dus simplement au fait qu’un industriel, en l’occurrence la société Dangote, a délibérément choisi une technologie moins coûteuse en investissement (refroidissement par eau) au détriment du système de refroidissement par air, certes plus chère, mais plus adaptée au contexte du projet.
La réponse est assurément non pour tous ceux qui sont conscients des enjeux de développement durable et soucieux de l’intérêt général et de la préservation de la cohésion sociale.
Ibrahima DIAW
* Ingénieur géologue environnementaliste
Directeur général de Harmony Group