Les Assises nationales ont-elles finalement échoué ?
Après près de 4 ans d’un exercice de consultation tout azimut pour faire le bilan de 50 ans de gouvernance économique, sociale et institutionnelles et définir de nouvelles orientations capables de changer durablement l’avenir du Sénégal, il faut constater que les assises nationales ne parviennent toujours pas à jouer le rôle de moteur du changement qu’elles aspirent à incarner. Il faut alors se demander si la promesse des assises est sur la voie de l’échec tout simplement ? Les constats suivants forcent cette réflexion.
En premier lieu, après 4 ans, le citoyen ordinaire ne peut énoncer une seule orientation majeure des assisses. Aujourd’hui Il n’existe pas une centaine de sénégalais qui peuvent dire quel est le contenu de ces assises, malgré l’assentiment général positif qui a accompagné l’exercice très médiatisé des assises. Ce n’est pas rien pour des consultations d’essence populaire.
En second lieu, mêmes les parties prenantes des assises n’ont pas la même compréhension du contenu des assises. Il n’est pas rare d’entendre certains proclamer un régime parlementaire tandis que d’autres nient une telle conclusion. Confusion, oui. Mais confusion quand même surtout venant des principaux acteurs de cet exercice.
Le troisième élément est que les assises n’ont pas été décisives dans l’élection présidentielle. La preuve est l’élection de Macky Sall qui n’est certainement pas l’incarnation de la ligne pure des assises. Au contraire, même signataire, il en a été le contestataire le plus vocal avec des réserves portées sur certaines de ces conclusions. Même si ce n’est pas un désaveu des assises, comment des conclusions si populaires ont-elles pu ne pas être aussi décisives dans le choix du changement et du candidat qui l’incarne.
Le quatrième constat est que les conclusions des assises ne sont pas l’agenda porté par ses acteurs politiques qui pourtant détiennent le pouvoir exécutif et législatif. C’est dire dans quelle mesure certains n’y voient qu’une escroquerie politique. Dès lors que ces acteurs politiques sont en position, les assises n’ont plus de réalité transformationnelle. Le refus poli qu’ils opposeront à la recommandation des assises pour permettre aux indépendants sans parti politique de participer aux élections locales sera la preuve que leurs intérêts politiques sont plus importants que l’approfondissement de la démocratie.
Le cinquième élément est que les assises ne semblent fournir aucune réponse devant les enjeux actuels qui se posent aux population et au régime en place. Aussi bien sur la demande sociale que sur l’emploi et la croissance, les conclusions des assises semblent incapables d’alimenter les réponses du régime et de la coalition Benno Bokk Yaakaar. C’est à croire que les assises ne sont pas porteurs de solutions concrètes.
Le sixième élément est que la mise en place de la commission dirigée par le professeur Mbow constitue d’une manière ou d’une autre une césure qui a isolé davantage l’organisation originelle des assises puisque de fait, cette commission n’est pas issue des assises. Elle est le fait nominatif du président Macky Sall dont il est difficile d’ignorer la volonté de ne pas se plier à la volonté des assises. Qu’il parvienne encore à isoler la troupe de son chef, tout en bénéficiant de la caution de sa figure symbolique est une manœuvre qui ne manquera pas de révéler son véritable dessein lorsque viendra le moment de trancher entre ce qui lui convient et ce qui ne lui convient pas. Nul ne pourra dire qu’il a été surpris par la manœuvre. Il faudra plutôt admettre un consentement tacite à la manœuvre flagrante en marche.
Le septième élément est que les assises sont figées par un esprit de travail achevé. Convaincus par la beauté de l’œuvre, il n’est pas rare d’entendre dire que les assises ont tout réglé. Ce dernier élément n’en est pas le moindre mal. Il renforce le piège d’un ghetto intellectuel, un cercle d’initiés convaincus, éblouis par la pertinence de leurs produits, mais ainsi figés et isolés de la réalité des repères totalement différents de la masse des citoyens qui ne pensent pas leur quotidien ou même le futur de leur pays par rapport aux assises. Cette mentalité de ghetto fera certainement que certains verront dans un tel article une impertinence pour ne pas dire un crime de lèse-majesté que de s’interroger sur le succès ou l’échec des assises. Si cette impertinence peut permettre de rectifier avant que cet échec ne soit réel, elle aura eu tout son mérite.
Amadou Guèye
Nouvelle République