Un décès si brutal
Il est parti sans crier gare. En studio, en pleine répétition, en prélude à la sortie en février de ce qui devait être son prochain album, Ablaye Mbaye est décédé hier des suites d’un malaise.
Beaucoup de Sénégalais refusent encore d’y croire. Les mélomanes l’ont vu la dernière fois ce vendredi 6 janvier sur la scène du Grand-théâtre. C’était à l’occasion de l’anniversaire du groupe Pape et Cheikh. Il aimait ce duo de guitaristes et participait régulièrement à leurs shows dans les clubs de Dakar et ne ratait jamais leurs soirées anniversaires au Grand-théâtre. D’ailleurs, avec eux, il a fait un beau featuring dans ‘’Esprit Live’’. Habillé d’un ensemble basin jaune poussin ce vendredi-là, il marquait sa dernière apparition publique. Ablaye n’est plus. Il est parti hier à jamais. Il était en pleine répétition en studio quand un malaise foudroyant l’a frappé. ‘’Nii la amé, ni la démé, ni ‘’laniou’’ guissé’’, (ndlr ainsi cela s’est passé, ainsi on l’a vu). Ses fans pourraient reprendre ce refrain d’une de ses chansons qui résumerait bien la brutalité de son départ. Depuis l’annonce de son décès, les témoignages sont les mêmes. ‘’Je l’ai vu hier soir’’, ‘’on a mangé ensemble hier soir’’, ‘’non, c’est impossible, rien que ce vendredi, je l’ai vu au Grand-théâtre’’, a-t-on lu dans différents postes facebook.
Le chanteur non voyant, né en 1981 à Dakar, a entamé une carrière de musicien très jeune. Issu d’une grande famille griotte, il est le neveu de feu Vieux Sing Faye et cousin du percussionniste du Super Etoile Mbaye Dièye Faye. Il a étudié à l’Inefja de Thiès avant d’assurer les chœurs pour feu Demba Dia. Fan inconditionnel de Youssou Ndour, il se plaisait en outre à le mimer. Intervenant sur les ondes de RFM, Bouba Ndour se rappelle d’ailleurs que cet amour pour le roi du mbalax était un handicap par moments pour lui.
‘’Il aimait tellement Youssou Ndour qu’il chantait comme lui. On lui demandait souvent de s’en éloigner un peu. Mais il y revenait constamment’’, a-t-il dit. D’ailleurs, dans une interview accordée à EnQuête en 2014, il était revenu sur ce qui le liait à l’ex-patron de Jololi qui a produit sa première cassette ‘’nii la démé’’ sorti en 1995. ‘’Cela me surprend que les gens disent que j’ai des problèmes avec Youssou Ndour. Le Sénégalais part souvent de certains faits pour faire des déductions non fondées. Peut-être que cela fait un moment qu’ils ne nous ont pas vus ensemble, c’est pour cela qu’ils se disent que nous avons des problèmes. Mais il n’en est rien. Entre Youssou Ndour et moi, il ne peut y avoir de problèmes’’, disait-il alors. Pour ce dernier, il a assuré les chœurs dans la mythique chanson ‘’Birima’’.
Youssou Ndour, Salif Keita ou encore Thione Seck ont prêté leurs voix dans ‘’Aam saxul’’ du jeune chanteur. Il enchaîne les succès et sort en 2005 ‘’maag na’’. Il a chanté avec de grands noms de la musique comme Jean Philippe Rykiel, Disiz La Peste ainsi que Passi.
Hier, Youssou Ndour était l’un des premiers artistes à être arrivés chez le chanteur pour apporter du réconfort à sa famille. Une communauté qui a perdu, il y a à peine deux mois, son patriarche et hier un fils qui sera difficilement remplaçable.
‘’Je vis bien mon handicap’’
Ablaye Mbaye était un homme simple, plein d’humour avec une joie de vivre débordante et qui ne prenait pas son état de non-voyant comme un handicap. ‘’Je le vis bien (ndlr son handicap). Ce qui me dérange, c’est la conception que la société sénégalaise a du handicap. Quand un Sénégalais voit un handicapé, il a tout de suite de la pitié pour lui. Et cela ne le rend pas fort. Au contraire, cela l’affaiblit. On pense tout le temps que la personne handicapée ne peut rien faire. Alors que quand Dieu te prive de certaines choses, il t’en donne d’autres forcément’’, défendait-il toujours dans une interview avec EnQuête. Lui-même en était une preuve patente.
Au-delà de sa belle voix, Ablaye Mbaye avait des talents insoupçonnés. Comme l’a dit un acteur culturel, il avait des ‘’facultés de repérages sonores et de mémorisation hors du commun’’. Ablaye Mbaye arrivait à commenter des matches de football et même établir des stratégies de jeu. Il épatait ainsi son monde. Des chansons à thème, il savait en faire. Il était certes un griot mais ne s’attardaient pas à chanter les louanges d’hommes et de femmes riches. Les conditions des enfants ou celles des femmes faisaient parler sa muse notamment dans ‘’Yaye balma’’. Un hommage à sa mère et à toutes les femmes. Adieu l’artiste !
BIGUE BOB