Publié le 22 Nov 2023 - 19:19
RECONFIGURATON DE LA VIE POLITIQUE

Sénégal, République de fonctionnaires 

 

Ils sont des fonctionnaires et serviteurs de l’État qui ont décidé de franchir le Rubicon de la politique. En outre, cette immixtion des acteurs de la Fonction publique sur l’échiquier politique risque de délégitimer nos institutions qui ne seront plus neutres ou impartiales aux yeux du grand public.

 

Ils sont administrateurs civils, inspecteurs des impôts et des domaines et enseignants, entre autres professions. Jamais la vie politique sénégalaise n’a semblé si dominée par un personnel issu de la Fonction publique. Si aucune loi n’interdit à un fonctionnaire ou autre membre de l’Administration publique, outre les douaniers, magistrats et les inspecteurs généraux d’État, d’avoir des activités politiques au nom de la liberté d’association, leur implication politique peut être sujette à discussion, notamment quand il s’agit de légiférer sur des aspects concernant leur corps d’origine.

Au Sénégal, la classe politique ou le personnel politique, pour asseoir ses politiques publiques, s’est longtemps appuyé sur l’Administration publique. Cette situation a poussé de jeunes cadres de l’Administration au-devant de la scène politique. Cette immixtion de fonctionnaires ou de cadres de la Fonction publique est aussi consécutive de l’importance des énarques dans la vie politico-administrative du Sénégal.

Ainsi, dès la fin des années 60, l’instauration du parti unique favorise rapidement l’ascension de jeunes fonctionnaires qui vont s’imposer au sommet de l’État avec Abdou Diouf, ancien gouverneur du Sine-Saloum et de jeunes cadres comme Moustapha Niasse et Djibo Ka qui vont s’imposer petit à petit au sein de l’UPS et plus tard du Parti socialiste. Cette élite administrative va rapidement phagocyter l’élite politique avec l’épanouissement du système clientéliste sous Abdou Diouf.

L’accession à certains postes de la haute administration permettant à tout fonctionnaire d’atteindre un certain niveau de richesse exceptionnel, ceux-ci peuvent dès lors entretenir leur clientèle politique. Cette tendance va connaitre son paroxysme sous Abdoulaye Wade où nombre de technocrates ont été forcés et se sont sentis obligés de s’engager politiquement, pour ne pas perdre leur poste. Le mouvement de fond s’est poursuivi avec l’actuel régime où beaucoup de fonctionnaires s’engagent pour avoir des avantages, mais aussi favoriser leur avancement au sein de la haute administration.

La nomination de Mamadou Guèye, jeune maire de Djeddah Thiaroye comme directeur des Domaines en février dernier, a fait jaser au sein de l’administration des impôts et des domaines. Beaucoup de ses détracteurs ont rapidement fait le lien entre cette promotion et son engagement politique au sein de l’APR. Ils ont fait remarquer que des profils plus anciens ont été zappés au profit de l’ex-chef du Centre des moyennes entreprises numéro un de la Direction générale des Impôts et des Domaines. 

Aujourd’hui, le constat est que les directeurs de sociétés publiques, les responsables de départements ministériels, les directeurs, les directeurs d’agences nationales se sont lancés à corps perdu dans la chose politique.

En outre, à l’heure de la floraison des partis politiques (près de 270), la politique apparait comme un moyen rapide d’ascension sociale et d’accès aux privilèges, une fois arrivé au pouvoir. De ce fait, les fonctionnaires semblent décidés à être partie prenante de ce système qui permet aux administrateurs de vassaliser l’outil politique. 

La rentrée politique des fonctionnaires des régies financières, extension du système clientéliste

Pour Youssou Diallo, économiste et PCA de la Sonacos SA, cette intrusion en force des fonctionnaires dans le jeu politique peut surprendre par rapport à l’usage politique dans le passé. ‘’C’est un peu incongru pour les hauts fonctionnaires de notre génération. D’habitude, c’était les enseignants de tous les ordres, les avocats, les professions libérales et privées et les administrateurs civils qui n’étaient pas dans le commandement territorial qui faisaient de la politique jusqu’à une époque récente. Je précise qu’il n’est pas interdit par la loi aux fonctionnaires de faire de la politique, sauf pour certains corps comme les magistrats, les douaniers, les inspecteurs généraux d’État. Mais dans tous les cas, tous les fonctionnaires sont soumis au pouvoir hiérarchique et surtout a l’obligation de réserve, même dans l’exercice de la politique et du syndicalisme’’, affirme-t-il.

Moundiaye Cissé, président de l’ONG 3D, est lui d’avis que cette entrée des fonctionnaires dans le jeu politique doit être mieux encadrée, surtout ceux venant des régies financières. ‘’Les fonctionnaires qui sont dans les régies financières et du fait de la sensibilité du poste qu’ils occupent doivent voir leur engagement politique encadré. On doit identifier certains postes qui ne peuvent plus faire l’objet d’un engagement politique’’, dit-il, avant de préciser que les fonctionnaires sont des citoyens comme tout le monde et que tout le personnel politique avant et après les indépendances au Sénégal était des fonctionnaires : Blaise Diagne, Abdou Karim Fofana et Mamadou Dia. 

Cette immixtion des membres de la Fonction publique dans le jeu politique comporte, en outre, des risques quant à la neutralité de l’Administration et le risque de conflits d’intérêts.

Pour éviter des cas de conflits d’intérêts pour un fonctionnaire élu à un poste de responsabilité politique, la Grande-Bretagne exige une neutralité totale à ses fonctionnaires :  avant de faire acte de candidature à un mandat électif, le fonctionnaire britannique doit présenter sa démission du service public.

En outre, les hauts fonctionnaires, les juges, les ambassadeurs, les membres des forces armées et des forces de police, les membres rémunérés des conseils d'administration d'entreprises nationales, les membres des conseils d'administration d'entreprises privées nommés par le gouvernement, ainsi que les membres du conseil de la Banque d'Angleterre sont inéligibles au pays de Sa Gracieuse Majesté.

Cette mesure vise aussi à limiter l’effet de caste, car il est difficile à un fonctionnaire nommé à un poste de responsabilités de prendre des mesures contre son corps d’origine.

Droit de réserve contre l’impartialité totale des fonctionnaires

Quant à la question de la surreprésentation des fonctionnaires des impôts et des domaines dans le jeu politique jusqu’à parler de ‘’République des impôts et des domaines’’, cet ancien énarque explique que leur forte présence s’explique par l’effet d’imitation des collègues ayant réussi en politique, Amadou Ba et Ousmane Sonko surtout. ‘’La politique est un ascenseur à grande vitesse pour de grandes promotions de carrières administratives et un bouclier potentiel contre le glaive de la loi et de la justice. Enfin, par le fait que les hauts fonctionnaires des impôts et des domaines, et des régies financières, si vous cumulez leurs revenus et avantages légaux liés à leurs fonctions, sont incontestablement les agents les plus nantis dans la Fonction publique. Pour faire de la politique aujourd’hui, il faut certes avoir une ambition, des idées, de l’influence, mais il faut aussi avoir des moyens financiers’’, indique Youssou Diallo. 

Lui emboitant le pas, Moundiaye Cissé souligne que la fin des idéologies a changé la donne avec l’éclosion des fonctionnaires qui sont dans la régie financière : Impôts et Domaines et Finances. On peut en citer plusieurs Amadou Ba, Abdoulaye Daouda Diallo, Boun Dionne, Mame Boye Diao (pouvoir) et Ousmane Sonko, Boubacar Camara, Diomaye Faye (opposition). ‘’Des fonctionnaires riches qui décident de faire de la politique pour préserver leurs postes et leurs avantages ou qui basent leur engagement sur la lutte contre les injustices au sein de l’Administration avec des nominations basées non pas sur la méritocratie, mais sur les affinités politiques. Ces fonctionnaires qui, connaissant la bonne marche de notre État, s’engagent, soit pour bénéficier de privilèges, soit pour contester le mode de fonctionnement d’un État qu’ils considèrent comme incompétent. Il faut rétablir la méritocratie, en faisant un appel à candidatures pour la nomination de certains postes dans la haute administration’’, conclut-il.

Mamadou Makhfouse NGOM

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