Les impairs du projet de révision de la loi constitutionnelle proposée !
Dans la présentation d’un projet ou d’une proposition de loi, il y a toujours deux composantes, l’exposé des motifs et les dispositions de la loi. Cela est donc valable pour le projet de révision de la loi constitutionnelle soumis au référendum du 20 mars prochain et qui est adossé du décret n°2016 – 306 du 29 février 2016.
En écoutant la communication des autorités du pouvoir, il y a une certaine confusion qui est entretenue. Et, on a l’impression pour le référendum que le peuple va se prononcer sur les 15 points de la réforme. Alors que ce n’est pas le cas ! II faudrait bien qu’on précise, ces 15 points figurent dans l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle. Les choses ne sont pas les mêmes, l’exposé des motifs a une fonction explicative mais les dispositions de la loi constituent la partie la plus essentielle dans un texte législatif.
Ce sont les dispositions de la loi qui feront l’objet du vote au prochain référendum consultatif, non les 15 points évoqués dans l’exposé de motif. Elles sont donc composées de 5 articles déclinés comme suit :
- Article premier, il porte sur la révision de 18 points déjà existants dans la Constitution de 2001, notamment les articles (4, 6,26,27,28,58,59,60,62,71,78,81, 85,86,89,92,102 et 103).
- Article 2 : modification des titres II et XI de la Constitution.
- Article 3 : il est ajouté à l’article 25 de la Constitution (25-1,25-2 et 25-3).
- Article 4 : il est ajouté à l’article 66 de la Constitution, un titre VI bis « DU HAUT CONSEIL DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ».
- Article 5 : abrogation des dispositions transitoires concernant les articles 104 à 108 de la Constitution de 2001.
L’autre aspect important qui mérite d’être souligné, c’est surtout de reconnaitre que la loi constitutionnelle soumise au référendum est un recul démocratique et une redondance ! Pour preuve, on peut citer certaines dispositions indiquées ci-dessous :
1° L’article 4 (version proposée au référendum) concernant les partis politiques, il renferme 6 paragraphes et il y a le paragraphe 4 qui fait une entorse grave au respect du principe démocratique. Voilà ce qui est dit : « les partis politiques sont également tenus de respecter strictement les règles de bonne gouvernance associatives sous peine de sanctions susceptibles de conduire à la suspension et à la dissolution ». Qu'est-ce que c'est la règle de bonne gouvernance associative ?
* remarque : cela va être un fourre tout, à l’instar de l’article 80 qui met en prison tout adversaire du président de la république. Si le oui l’emporte, le régime en place aura toutes les armes pour abattre les partis politiques qui seront certainement plus sévère dans la critique en son endroit !
L’autre faiblesse notée toujours dans l’article 4 (version proposée au référendum), c’est au paragraphe 1, auquel il est rappelé la mission des partis politiques en ces termes : « ils œuvrent à la formation des citoyens, à la promotion de leur participation à la vie nationale et la gestion des affaires publiques ».
* remarque : Là aussi, c’est une redondance ! Et, il suffit de relire attentivement les lois ordinaires n° 81-17 du 6 mai 1981 et 89-36 du 12 octobre 1989 relatives à la création de parti politique, pour se convaincre que c’est une copie collée. Pratiquement, l’esprit de ces deux lois précitées est le même que celui apparu dans la formulation de l’article 4 du projet de révision constitutionnelle!
2° Sur l’article 66 (version proposée au référendum) se rapportant au titre VI bis « DU HAUT CONSEIL DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ». Il faut également faire une lecture croisée de cette nouvelle disposition par rapport à la loi organique n° 2012-28 du 28 décembre 2012 sur le Conseil économique, social et environnemental. Ces deux institutions sont reconnues par les lois indiquées ci-dessus comme étant des assemblées consultatives (voir art.66-1 version référendum et art.1 LO 2012-28 sur le CESE). La formulation des phases est la même, il n’y a pas différence !
Et, pour la cohésion territoriale évoquée à l’article 7 LO 2012-28 du CESE, les élus locaux (AMS et APD) sont représentés au niveau de cette institution. Mieux encore, le CESE dispose dans son fonctionnement interne d’une commission de la décentralisation.
* remarque : Notre pays n’a pas besoin de se payer le luxe de deux institutions ayant en commun une fonction consultative ; c’est-à-dire le Conseil économique, social et environnemental et le Haut conseil des collectivités territoriales ! La création d’une institution dans un Etat, ne doit pas être tributaire d’un passe-droit, encore moins d’une complaisance. Et puis, il n'y a pas de plus cruelle tyrannie que celle que l'on exerce à l'ombre des lois !
3° L’article 89 (version proposée au référendum) concernant l’augmentation des membres du Conseil constitutionnel et la désignation par le Président de l’Assemblée nationale des 2 sur 7 membres, il est écrit au paragraphe 3 « le Président de la République nomme les membres du Conseil constitutionnel dont deux sur une liste de quatre personnalités proposées par le Président de l’Assemblée nationale ».
* remarque : c’est du tape à l’œil de soutenir qu’il y a une avancée faite en faveur au Président de l’Assemblée nationale pour choisir des deux membres du Conseil constitutionnel. Le texte est clair, il propose une liste de quatre(4) personnalités et le dernier mot revient au Président de la République pour désigner les deux(2) membres. C’est comme s’il a offert une chose par la main droite pour la récupérer par la main gauche. Et, vous conviendrez au finish que le Président de la République est le seul maître à bord et il choisit tous les membres du Conseil constitutionnel.
* remarque : Ceci est donc un recul démocratique ! Et d’ailleurs, tout proche de notre pays, le Mali est beaucoup plus en avance sur cette question. IL dispose depuis 2002 d’une Cour constitutionnelle qui est composée de neuf (9) membres dont trois(3) choisis par le Président de la République, trois (3) par le Président de l’Assemblée nationale et trois (3) par le Conseil de la Magistrature.
D’autres exemples peuvent également être cités dans le texte de révision constitutionnelle soumis au référendum. Mais pour l’instant on s’en tient cela pour ainsi dire que notre pays ne doit pas être la risée des Etats progressistes. La grandeur d’un peuple se mesure par la portée de sa Constitution.
Certes, le référendum est un outil de démocratie directe mais on ne doit pas en abuser. Les pays réputés de grandes démocraties s’en servent que dans un contexte d’opportunité. La France, après son référendum de 1793 pour l’adoption de sa première Constitution, est restée jusqu’à 1945 (152 ans après) pour tenir son second référendum marqué des changements de régime politique. Le général de Gaulle l’a réintroduit en 1958 pour changer dans la Constitution française le nom du référendum par la « consultation populaire ».
En quarante ans le régime socialiste Senghor/Diouf n’a organisé que deux fois le référendum dans notre pays (1963-1971). C’est bien après que le Président Wade a utilisé le même procédé pour l’adoption de la nouvelle Constitution du 22 janvier 2001.
Pour une simple révision d’une vingtaine d’articles de la Constitution, l’actuel pouvoir fait du forcing et cherche à tout prix à organiser le référendum du 20 mars prochain. Il y a donc anguille sous roche et les motivations réelles ne sont pas révélées. Mais, si pour le président Macky Sall, l’effet recherché c’est de marquer son nom au sceau d’une réforme historique pour le pays, cette entreprise est déjà vouée à l’échec.
On ne gère pas un pays en mettant en avant l’égo ou les caprices. Et puis, il y a un phénomène dangereux si on ne prend pas garde, chaque président élu va chercher à avoir son référendum! Tout cela pour être au panthéon des illustres hommes de la nation. C’est des dérives !
L’enjeu du référendum pour le peuple, ce n’est pas d’ergoter sur un projet de révision constitutionnelle bidon. Mais plutôt, c’est de sanctionner la culture du mensonge et d’envoyer un signal fort aux dirigeants politiques pour qu’ils respectent désormais leurs engagements électoraux.
Les autorités politiques devraient méditer la sourate 61 versets 2 et 3 du coran, je cite : « Ô vous qui avez cru ! Pourquoi dites-vous ce que vous ne faites pas ? C’est une grande abomination pour Allah de dire ce que vous ne faites pas ».
Alioune Souaré
Ancien député – Rufisque