La France déroule, l’UMOA subit
Pendant que les pays de l’UMOA regardent comme des spectateurs, Emmanuel Macron, son gouvernement et sa majorité parlementaire continuent d’appuyer sur l’accélérateur pour donner corps au franc CFA new-look qu’ils veulent imposer aux pays concernés. Malgré la motion de rejet déposée par le Parti communiste, le projet a été adopté, hier, sans grande difficulté, par l’Assemblée nationale française.
Décembre 2019-décembre 2020. Voilà un an que le projet de réforme du franc CFA a été enclenché à Abidjan. Depuis lors, Paris accélère la cadence. Comme si elle était très pressée de finaliser cette réforme qui, selon nombre de spécialistes, n'est qu'un trompe-l'œil à destination des peuples français et ouest-africains.
Hier, un autre jalon très important a été posé par les autorités françaises. L’Assemblée nationale a voté le projet de réforme à une majorité de 57 voix pour, 8 voix contre et 8 abstentions. Au total, ils étaient donc 73 votants, rapporte sur son compte twitter Fanny Pigeaud, auteur avec l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla du livre ‘’L’arme invisible de la Françafrique, une histoire de franc CFA’’.
Auparavant, les communistes auront tout fait pour barrer la route à cette réforme qu'ils jugent ‘’cynique et trompeur’’. Hier, ils ont été jusqu’à déposer une motion de rejet préalable au projet de loi. Jean-Paul Lecoq a lu la motion. "C’est à regret, commence-t-il, que je me tiens ici pour défendre cette motion de rejet préalable du projet de loi autorisant la ratification de l’accord de coopération entre la France et les membres de l’Union monétaire ouest-africaine…". A en croire le député communiste, une réforme véritable du franc CFA aurait dû être l’occasion ‘’d’un débat approfondi avec tous les pays concernés et d’un changement en profondeur des relations économiques et politiques entre la France et les pays de l’Afrique de l’Ouest francophone’’.
Hélas, constate-t-il pour s’en désoler : rien ne s’est passé comme ça. "Sur le fond, commente le parlementaire, cette réforme n’a pas été faite pour changer quoi que ce soit. Sur la forme, la méthode qui a été utilisée confirme la condescendance de la France vis-à-vis de ces pays".
Remontant à l'annonce du projet de réforme le 21 décembre 2019 à Abidjan, Lecoq dénonce : "Seul son acolyte, ultralibéral, Alassane Ouattara, en avait connaissance. Lui qui est le champion, toutes catégories confondues, de la multinationale Afrique à fortes composantes françaises ; lui qui vient d’ailleurs de s’arroger un troisième mandat inconstitutionnel au moyen d’une répression implacable des opposants..." Suffisant pour que le parlementaire considère que cette réforme est celle de Paris, et non une réforme des Africains de l’UMOA. "Lorsqu’Emmanuel Macron annonçait, en décembre dernier, cette réforme, il a dit, je le cite : ‘J’ai… souhaité mettre à plat l’ensemble des sujets pour écrire une page nouvelle de notre histoire commune.’ Fin de citation. L’idée ne lui a donc pas été soufflée par les Etats de l’Union monétaire ouest-africaine (Umoa) comme on veut nous le faire croire ce matin. C’est encore et toujours Jupiter qui a décidé seul".
Or, insiste-t-il, ‘’un changement de monnaie, si l’on respecte un tant soit peu les peuples concernés, aurait dû être un chantier démocratique, transparent et ouvert. Quitte à être long".
Une France "hypocrite "
A ceux qui considèrent cette réforme comme un desserrement de l'étau autour des pays de l’UMOA, les communistes français invitent à déchanter. Selon leur motion, le nouveau CFA ne fait que les affaires des classes aisées et des multinationales. Pas des peuples. Jean-Paul Lecoq : ‘’Cette monnaie, assumez-le, correspond aux intérêts des classes supérieures africaines tournées vers l’extérieur et aux multinationales qui travaillent en euro. Pour les peuples et pour les PME africaines, cette monnaie peut être un véritable boulet. Votre majorité défend les classes aisées et des multinationales en toutes circonstances. Nous, députés communistes, nous nous opposons à cette réforme précisément, parce qu’en toutes circonstances et en tous lieux, nous défendons les plus précaires : les peuples.’’
Pour que celle-ci soit juste, il aurait fallu se poser la question de savoir : quel est l’intérêt des peuples ? A cette interrogation, il répond lui-même : ‘’A l’occasion de ce travail, nous n’avons rien trouvé. Cette réforme n’est pas faite pour les peuples. Pourtant, c’est eux qui vont souffrir de ses mauvais côtés. Cette hypocrisie n’a que trop duré. Il faut rejeter ce texte et repartir à zéro, en entamant un véritable projet de réforme démocratique… Ces pays sont indépendants. Et il est insultant de leur dicter leurs politiques monétaires économiques. Cela ne fait qu’alimenter le sentiment antifrançais. Avec cette réforme, nous sommes à mille lieues de ce qu’il faudrait faire pour réparer et construire des relations d’égal à égal entre nos pays et nos peuples.’’
Ce n’est pas tout. Chez les communistes, les questions se sont multipliées hier. Pourquoi la France est-elle le premier pays à ratifier cet accord ? Pourquoi, en toute logique, ne pas attendre la ratification par les autres pays directement concernés pour terminer par la France ? Ce qui aurait pu permettre au Parlement français de tenir compte des débats démocratiques des peuples ouest-africains. Mais l’Exécutif français et sa majorité en ont décidé autrement.
Pour M. Lecoq, c’est un manque de respect notoire. Il prend exemple sur la mise en place de l'euro. "En 1992, lorsque la Communauté européenne a choisi de devenir l’Union européenne et de passer à l’euro, il y a eu un référendum en France, qui posait bien l’enjeu du passage à la monnaie unique, sept ans plus tard, avec un calendrier précis. Peu importe ce que l’on pense du résultat. Mais force est de constater comment, sur la méthode, les choses étaient plus démocratiques". Et de s'interroger : "Ici, que nous propose-t-on ? La ratification d’un accord de coopération. Seulement. Même pas un calendrier de mise en place de l’Eco.’’
Ainsi, estiment les communistes, cette réforme est un non-sens complet. Et cela justifierait à elle seule le rejet du texte. ‘’N’oubliez pas que nous parlons d’une chose qui est absolument fondamentale. On parle de monnaie. C’est-à-dire d’une institution politique et économique. C’est la monnaie qui permet à une zone de déterminer et de piloter son économie pour obtenir des résultats de développement précis. Qu’en est-il de cette réforme du franc CFA ? Va-t-elle permettre de piloter ce taux de change pour permettre de favoriser ses exportations ou ses importations ? Va-t-elle laisser aux pays de la zone le choix de s’adosser à une monnaie plutôt qu’à une autre ? Va-t-elle permettre de piloter son inflation, ses taux d’intérêt, le poids de sa dette et j’en passe ? Eh bien non. Rien ne changera’’.
Le grand leurre
Selon les communistes français, avec cette réforme, le lien ombilical du franc CFA avec la zone euro va perdurer. Les trois choses qui vont changer sont : le nom ; la capacité pour la BCEAO de déposer ses réserves de change ailleurs qu’au Trésor français ; l’absence de Français dans la gouvernance de la zone monétaire. L’essence de cette dépendance relatent-ils est relative à la parité arrimée uniquement à l’euro, la liberté des transactions et la convertibilité illimitée entre les deux monnaies. ‘’Ce triple lien permet à toute multinationale qui fait du commerce dans cette zone de bénéficier d’une sécurisation de ses investissements sur le long terme, de convertir ses profits réalisés en franc CFA, puis de répartir ensuite ces capitaux vers la zone euro’’, soutiennent-ils, en démontant un par un l’argumentaire du gouvernement français.
Pour la parité fixe, cela va juste favoriser ceux qui travaillent en euro, au détriment des secteurs entiers qui travaillent en dollars. ‘’L’AFD, rappelle le rapporteur, avait tiré la sonnette d’alarme il y a quelques années en indiquant que la parité fixe est ‘un des principaux facteurs de l’effondrement du coton au Burkina Faso. Il pourrait donc être plus bénéfique pour certains secteurs de s’arrimer à d’autres monnaies. Le franc CFA favorise donc le lien entre zone euro et zone CFA. Cela le commerce les membres de l’UMOA et avec la CEDEAO’’. C’est ce qui explique que plus de 50 ans après les indépendances, l’Europe soit encore le premier partenaire commercial de la plupart de ces pays. Pendant ce temps, le commerce à l’intérieur de ces pays représente moins de 15 % au total. Ceci est un véritable échec du franc CFA et justifierait sa remise au placard de l’histoire.
Les non-dits de la réforme
Si les Etats africains continuent de regarder, passifs, la France dérouler, cette dernière sait bien où elle veut aller. Avec la réforme, elle peut même se glorifier de faire d’une pierre deux coups. En plus de donner l’air de vouloir couper le lien ombilical, les communistes révèlent : ‘’L’étude d’impact a dit clairement que ‘la fin de l’obligation de déposer les réserves ne change rien dans la tutelle monétaire. Par contre, cette disposition coûtera moins cher à la France.’ Il n’y aura plus à rémunérer les avoirs déposés sur des comptes dédiés. Voilà qui en dit long d’ailleurs sur l’état d’esprit de ses auteurs.’’
Quant à l’absence de Français dans les instances de décision, elle est à nuancer, si on lit l’article 4 du traité. Lequel dispose : ‘’Au sein du Comité de politique monétaire de la BCEAO, une personnalité indépendante et qualifiée sera nommée par les ministres de l’UMOA en concertation avec la France.’’ Ainsi, la France sort par la porte pour mieux revenir par la fenêtre. L’objectif de la France vis-à-vis de l’UMOA est clair. Faire taire les critiques populaires sur le franc CFA par une réforme plus que minimaliste.
Enfin, pour ce qui est du nom de cette nouvelle monnaie, le membre de la commission des affaires étrangères peste : ‘’C’est une tartufferie. Comme j’en ai rarement vu. Eco qui est d’ailleurs le nom d’un projet de monnaie unique de la CEDEAO ou Ecowas en anglais. Cette instance avait choisi le diminutif de son nom pour le donner à sa future monnaie. Nous avons ici affaire à une OPA hostile sur l’Eco de la CEDEAO. L’objectif de la France vis-à-vis de la CEDEAO est clair. Couper l’herbe sous le pied du projet monétaire de cette zone. Et imposer son Eco comme un fait accompli pour étendre l’influence de sa monnaie à tous les Etats membres de la CEDEAO.’’
Cet objectif, expliquent les tenants de la motion, est clairement énoncé dans le rapport de la commission des Affaires étrangères. Jean-Paul Lecoq précise : ‘’C’est à la page 22, je cite : ‘Le changement de monnaie… est susceptible de générer une dynamique politique. Il peut permettre à d’autres pays aujourd’hui extérieurs à l’UMOA de rejoindre l’Eco.’ Cet objectif n’a pas été apprécié par les pays concernés. Le Nigeria a invoqué l’implosion de cette zone si la réforme du franc CFA était mise en place. Plusieurs Etats ont condamné cette initiative très officiellement.’’
L’omerta des Parlements africains déplorée Pendant que la France accélère la cadence, les parlementaires africains semblent être des spectateurs sur cette question qui les concerne au premier chef. Guy Marius Sagna regrette : ‘’Le silence des députés et des conseils des ministres africains montre, s’il en était encore besoin, que c'est la France qui contrôle le franc CFA et que les changements qu'on nous fait miroiter sont un leurre. On a entendu le Conseil des ministres français et maintenant l'Assemblée nationale française. Mais, du côté africain, c'est silence et bouche cousue’’, déplore l’activiste. Selon lui, cela avait été le cas aussi avec les APE ; les accords de pêche qui ont été soumis au Parlement européen, mais pas à leurs homologues sénégalais. Aussi, constate le leader de France dégage pour le regretter : ‘’Cela montre que le Législatif n'est pas un pouvoir au Sénégal, ni dans les autres pays africains de la zone franc CFA. L'Assemblée nationale n'est qu'une caisse de résonance ou une chambre d'enregistrement des commandes de l'Exécutif, plus précisément du monarque républicain.’’ |
MOR AMAR