La voie à suivre au cœur des débats des Assemblées annuelles de la Bad
Des réformes internes audacieuses, des infrastructures socio-économiques productives, renforcer l’efficacité des investissements publics, la mobilisation des ressources internes, un soutien international efficient pour relancer les économies africaines et éviter le surendettement, etc. Ce sont, entre autres, les solutions préconisées, hier, par les différents orateurs pour régler la question de la dette africaine, lors d’un panel sur le sujet, à l’occasion de l’édition 2021 des Assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (Bad) qui se tiennent du 23 au 25 juin.
La résolution de la dette publique africaine reste primordiale, dans ce contexte de crise sanitaire et de rareté des ressources. Ainsi, les responsables de la Banque africaine de développement (Bad) ont mis l’accent sur la question, à l’occasion du premier jour de leurs Assemblées annuelles 2021 qui se tiennent du 23 au 25 juin. Ceci, à travers leur panel intitulé ‘’Du règlement de la dette à la croissance : la voie à suivre pour l’Afrique’’.
‘’L’Afrique ne cherche pas un joker. La résolution de la dette doit être renforcée par une plus forte gouvernance économique. (…) Utilisons la dette pour financer des infrastructures socio-économiques productives. Nous devons renforcer l’efficacité des investissements publics. Nous devons accorder plus d’attention à la mobilisation des ressources nationales, lutter contre la corruption, mettre en place des institutions fortes pour la gestion des dépenses publiques. Il nous faut une responsabilité financière et une meilleure gestion de la dette’’, affirme le président de la Bad lors de son allocution.
Le Dr Akinwumi Adesina a souligné que son institution entreprend des actions pour gérer la question de la dette en Afrique. ‘’Nous avons un plan d’action de gestion de la dette et une nouvelle stratégie pour la gouvernance économique en Afrique. Ces deux éléments viendront appuyer les pays pour la gestion de la dette et se lancer dans des réformes de gouvernance économique plus audacieuses pour prévenir une crise de la dette. Nous félicitons les efforts positifs qui ont été faits par le Fonds monétaire international (FMI) et le G20 pour aborder cette situation de la dette y compris des initiatives telles que celle de la suspension du service de la dette et le cadre commun du G20. Nous disposons désormais d’une réelle opportunité de résoudre les défis africains liés à la dette de manière plus décisive, avec la décision récente du FMI d’émettre 650 milliards de dollars au titre des Droits de tirage spéciaux (DTS). Cent milliards de ces DTS devraient être fournis en appui à l’Afrique’’, dit-il.
Pour utiliser ces DTS, le patron de la Bad indique que les pays africains ont besoin de nouvelles perspectives, de nouvelles approches, puisqu’ils connaissent des périodes ‘’extraordinaires’’. ‘’Ces DTS devront également être utilisés pour un financement direct de l’Afrique, par le biais de la Bad, pour les rétrocéder aux banques de développement publiques africaines pour appuyer une reprise verte, climato-résilience, inclusive et pour la stabilité des économies.
‘’Il apparaît manifestement que sans restructuration de la dette, bien plus de pays africains feront face à une situation de surendettement. Le plus grand défi pour nous est de trouver les ressources et de réduire le niveau d’endettement’’, admet-il. Le but étant d’éviter absolument que l’Afrique ne perde une autre décennie, comme cela été le cas lors des restructurations antérieures de la dette qui a pris huit à dix ans et n’ont pas produit de désendettement conséquent.
Prendre en compte les chocs extérieurs dans les stratégies
De son côté, la directrice de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Dr Ngozi Okonjo-Iweala, a souligné que les stratégies de gestion de la dette africaine devraient prendre en compte les chocs extérieurs. Car ces derniers limitent l’espace budgétaire et ont un important impact sur l’endettement. ‘’En fin de compte, on ne va pas aller dans des cycles de dette, de restructuration et de redressement ; ceci est mauvais pour la croissance à long terme et les conditions de vie. Pour de nombreux pays, la charge du service de la dette empêche les capacités de redressement et de croissance future. La restructuration de la dette revient au programme. Et nous savons, à partir de nos expériences, qu’il faudrait agir rapidement afin d’améliorer la situation pour les emprunteurs et les créanciers’’, note-t-elle.
La patronne de l’OMC a aussi relevé que la participation des créanciers privés reste ‘’essentielle’’, sachant que la dette publique, quant à elle, domine toujours. Elle a connu une hausse de 28 à 29 % pour certains pays. ‘’Il est maintenant temps de penser à mettre en place un mécanisme de restructuration de la dette souveraine. Il est important d’assurer une bonne gestion des politiques économiques. Il est aussi nécessaire d’utiliser des plateformes technologiques pour la collecte des recettes et minimiser les fuites de capitaux. Il faut aussi prendre en compte les coûts du commerce, les mouvements entre les usines et les consommateurs, pour améliorer les capacités des économies africaines et pour réduire le service de la dette, améliorer le développement des valeurs régionales, notre compétitivité, notamment pour nos économies et pour le continent’’, renchérit le Dr Ngozi.
De toute évidence, la directrice générale du FMI a signalé que la ‘’meilleure façon’’ de gérer la dette est que les économies se développent. ‘’Ce n'est pas une tâche facile pendant la pandémie, car les gouvernements sont confrontés à des revenus réduits et à une augmentation des dépenses consacrées aux mesures de crise. Mais cette crise est l'occasion de réformes transformatrices pour améliorer la Fonction publique’’, ajoute Kristalina Georgieva.
Expliquant que le FMI envisageait d’augmenter ses capacités de prêts à taux zéro, Mme Kristalina a fait savoir que ‘’l'Afrique peut compter sur le FMI’’ pour mettre en œuvre ses efforts de redressement et de réformes transformatrices.
En plus du débat officiel, il faut noter que dans deux panels distincts animés par des ministres en charge des Finances et du Plan, des gouverneurs de banque centrale et des gouverneurs à la Bad. Ces derniers ont estimé qu’il était nécessaire, pour les pays africains, de renforcer la mobilisation des ressources domestiques, de gérer les finances publiques et la dette de manière transparente et productive. Mais, surtout, d’assurer une transparence totale sur la dette détenue par les entreprises publiques non-membres du Club de Paris, notamment les prêts garantis auprès des créanciers bilatéraux.
‘’Il faudrait aussi lutter davantage contre la corruption, travailler à l’efficacité de la dépense, avoir une discipline budgétaire, mettre en place des institutions fortes pour les dépenses publiques, freiner les flux financiers illicites, avoir une meilleure gestion financière et renforcer les liens entre dette, croissance et gouvernance. Il faudrait aussi développer la numérisation du circuit de la collecte et de la dépense afin de réduire les déperditions. Les pays doivent faire un meilleur usage de la dette, en mettant l’accent sur le financement d’infrastructures sociales et économiques productives. Grâce à des capacités institutionnelles plus fortes, il est possible de renforcer l’efficacité des investissements publics financés par la dette’’, rapporte le communiqué de la Bad publié à cette occasion.
Rappelant que la gestion de la dette dépend aussi de la santé des banques centrales, le gouverneur de la Banque d’Égypte et gouverneur de son pays à la Bad, Tarek Amer, a rappelé que ‘’la politique monétaire, de change, la politique budgétaire, de taux de change, tout cela doit rester indépendant et les pouvoirs publics doivent veiller à créer les emplois, assurer la stabilité des prix, grâce à des réformes structurelle afin que la croissance économique et le développement du secteur privé puissent aider à réduire la dette’’.
Les chiffres de la dette africaine
Il est aussi rappelé dans le document de la Bad qu’en mai 2021, 17 pays africains sur 38, pour lesquels une analyse de la viabilité était disponible, étaient en situation de surendettement. Douze pays faisaient face à un risque modéré de surendettement et six autres étaient déjà en situation de surendettement. ‘’La structure de la composition de la dette africaine a connu des mutations importantes au fil du temps, passant de source traditionnelle telles que les prêteurs multilatéraux et le Club de Paris à celle de créanciers privés et non membres du Club de Paris. En 2000, les créanciers bilatéraux, notamment les membres du Club de Paris, détenaient 57 % de la dette des pays africains. Cette part a chuté à 27 % en 2019’’, lit-on dans le texte.
De plus, la part de la dette détenue par les créanciers privés a été plus que multipliée par deux, passant de 17 à 40 % en 2019. L’encours total de la dette africaine de 841,9 milliards de dollars en fin 2019, représente aujourd’hui plus de deux fois les recettes annuelles des gouvernements africains de 501 milliards de dollars. L'année dernière, les paiements d'intérêts de la dette du continent ont atteint 20 % des recettes fiscales des pays africains et dépassé le tiers des recettes dans certains pays. De même, la dette publique en Afrique du Nord a augmenté d'environ 12 points de pourcentage pour atteindre une moyenne de 88 % du PIB l'année dernière.
MARIAMA DIEME