Publié le 2 Oct 2013 - 04:00
SEGOGWANE SAM KOTANE, AMBASSADEUR D’AFRIQUE DU SUD AU SENEGAL

‘’Nos relations avec le Sénégal sont très bonnes, mais peuvent l’être davantage’’

 

 

Alors que le président Jacob Zuma arrive ce mardi à Dakar, Son Excellence Segogwane Sam  Kotane, ambassadeur d’Afrique du Sud au Sénégal, fait pour EnQuête le point historique et politique des relations entre les deux pays.

Quel est l’historique des relations diplomatiques entre l’Afrique du Sud et le Sénégal ?
Elles remontent à 1987 lorsque l’Anc (le Congrès national africain, parti au pouvoir) et un groupe de  progressistes «Blancs  Sud-Africains» se sont rencontrés sur l’île de Gorée pour faire avancer le processus d’abolition de l’Apartheid. Donc c’est le Sénégal qui avait accueilli cette rencontre. C’est à partir de là qu’il y a eu des relations informelles entre l’Anc et le Sénégal. Mais les relations diplomatiques  ont été officiellement établies en mai 1994. Et c'est en avril 2008 que les deux pays ont mis sur pied une commission bilatérale de coopération.
 

Quels sont les domaines concernés par cette coopération bilatérale ?
Ils sont très larges et comprennent l’agriculture, les arts, la culture, la défense, l’environnement, le tourisme, les mines, l’énergie, le commerce et l’industrie. Donc c’est une coopération très vaste qui couvre plusieurs domaines. Nous avons également conclu des accords bilatéraux et des protocoles d’entente entre les deux pays dans d'autres domaines : investissement, aviation civile, santé,  technologie et défense. En matière de défense, par exemple, nous avons entrepris des négociations entre l’armée sud-africaine et sénégalaise et avons déjà établi les termes de référence de ce protocole d’accord. Les relations entre Dakar et Pretoria s’étendent aussi au plan multilatéral : les deux pays appartiennent au mouvement des non-alignés, au Groupe des 66, au Forum Chine-Afrique. Récemment, la dernière édition de ce  forum  a porté sur le développement des infrastructures en Afrique et ça  a été un grand succès...
 

L’Afrique du Sud est la première puissance économique de l’Afrique. Comment le reste du continent bénéficie-t-il de cette posture ?
La politique étrangère de l’Afrique du Sud consiste à œuvrer à la construction d’une Afrique du Sud meilleure, d’une Afrique meilleure et d’un monde meilleur. Donc nous œuvrons pour améliorer les conditions socio-économiques de nos populations en Afrique du Sud, mais également celles des populations africaines et du monde en général. Nous faisons de notre mieux pour établir un monde égalitaire. Il est dans l’intérêt de l’Afrique du Sud de ne pas rester  un pays riche relativement et isolé dans un îlot, entouré de pays relativement pauvres. Nous pensons que le développement de l’Afrique du Sud doit être couplé au développement du reste du continent. Et dans toutes nos interactions, nous faisons en sorte que le développement socio-économique de notre continent puisse être une réalité. Ce développement socio-économique implique le développement des infrastructures ainsi que d’autres secteurs économiques. Notre stratégie pour réaliser le développement du continent se base sur celle de la commission de l’Union africaine. Nous pensons qu’il faut passer par le développement des communautés économiques régionales existantes pour arriver à un développement d’ensemble du continent. En Afrique de l’Ouest, on a la CEDEAO, en Afrique australe, la SADC, la COMESA (englobant l’Afrique australe et orientale). Le développement des infrastructures est la base du développement de notre continent. La difficulté du commerce intra-africain est due principalement au manque d’infrastructures adéquates. En développant les infrastructures, nous renforcerons le commerce entre les différents pays du continent.
 

L'Afrique du Sud est le seul pays africain du G-20. Est-ce un handicap dans la prise de décision en faveur du continent ?
Comme vous le savez, le G-20 est le premier Forum pour le renforcement de la coopération économique et internationale. Ce groupe a été fondé sur le modèle du G-7 qui est le groupe des 7 puissances économiques mondiales. Les principaux domaines d’intervention du G-20 sont le renforcement de la croissance, le processus de régulation de la finance internationale et la réforme du système monétaire international. Rappelez-vous ce qui s’est passé aux Etats- Unis en 2008 avec la crise ! Donc au sein du G-20, nous sommes en train de nous battre pour que ces réformes puissent se faire. Nous pensons que, dans l'avenir, elles vont bénéficier à l’Afrique. Cela veut dire que le G-20 nous offre, en Afrique du Sud, un espace pour apporter une certaine influence qui va impacter sur les réformes dans l’intérêt du continent africain. Au sein du G-20, nous ne défendons pas uniquement les intérêts sud-africains, mais ceux de tout un continent. Dans ce cadre, l'Afrique du Sud s’efforce de mettre en exergue les questions régionales et continentales même si elle n’a pas mandat pour cela...  
 

Après un long processus, Mme Dlamini Zuma a été élue à la tête de Commission de l’Union africaine. Que peut-elle apporter à cette institution ?
Lorsque Mme Dlamini Zuma présentait sa candidature, ce n’était pas la candidature de l’Afrique du Sud, mais celle de l’Afrique Australe car elle avait été désignée par la SADC (Communauté de développement de l’Afrique australe) pour deux raisons principales. La première est que  l’Afrique australe et l’Afrique du nord n’avaient jamais présenté de candidat à ce poste. La deuxième raison, c’est que Mme Zuma a capitalisé beaucoup d’expérience au plan national et international. Elle a été ministre de la Santé et ministre des Affaires étrangères (1999-2009). Elle était ministre de l’Intérieur au moment même de son élection comme présidente de la commission de l’Ua. Nous pensons qu'elle va apporter des idées nouvelles ainsi qu’un dynamisme certain au sein de l’Union africaine.
 

Va-t-elle remettre en cause la démarche de ses prédécesseurs ou s’inscrire dans la continuité ?
Elle a déjà dit qu'elle ne va pas commencer son travail à partir du néant. Elle va se baser sur ce qui a été déjà accompli par ses prédécesseurs, sur les recommandations faites lors du sommet de l’UA à Accra au cours duquel il a été question d’évaluer les communautés économiques régionales. Elle est en train d’œuvrer pour faire en sorte que ces communautés économiques régionales aient beaucoup plus d’interaction, ce qui est primordial pour l’intégration économique et le développement du continent. Dans la même veine, elle a promis de renforcer le partenariat entre l’Union africaine et la Commission économique des Nations-Unies (CEA) pour l’Afrique, ainsi que le partenariat avec la Banque africaine de développement (BAD). Pour les autres questions, elle va continuer à étudier le développement des infrastructures sur le continent, notamment les infrastructures routières, l’énergie, l’assainissement, l’eau l’agriculture, la sécurité alimentaire. Dans son agenda, il y aussi la  réforme des institutions internationales, de la gouvernance internationale avec, en particulier, la réforme du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Vous savez que l’Union africaine a une position très claire sur cette question, notamment la réforme de la finance internationale, des institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale), l’OMC...

Comment appréciez-vous la situation au nord Mali et quelle est la contribution de votre pays ?
La situation au nord  Mali nous montre que nos Etats et notre démocratie sont vulnérables. Nous avons quelques lacunes au niveau de l’Union africaine (UA) sur ce plan. Si nous nous référons à l’acte constitutif de l’UA, notamment le mécanisme d’évaluation des pairs, le nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), ainsi qu'aux autres programmes que nous avons établis au niveau du continent visant à renforcer la démocratie sur le continent, je pense que nous avons de réels défis  à relever dans ce domaine. Le  coup d’Etat du 22 mars 2012  à Bamako a été essentiellement guidé par des intérêts égoïstes. Ce n’était pas un putsch visant à développer la bonne gouvernance ou à améliorer les conditions de vie des populations maliennes. Le vide qui a ainsi été créé a occasionné la situation que nous connaissons avec un pays divisé en deux entre le nord et le sud. Cela a favorisé  l’avancée de ces groupes armés qui menaçaient même la capitale Bamako. C’est pourquoi le Mali a fait appel à l'intervention militaire française. Mais il faut savoir que l’intervention de la France ne veut pas dire que la CEDEAO et l’UA n’ont pas réagi à cette crise.

Ne trouvez-vous pas que les pays africains ont perdu trop de temps à réagir ?
Rappelez-vous que la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) avait appelé au retour à l’ordre constitutionnel. Le Burkina Faso avait été désigné comme médiateur dans ce conflit. La force en attente de la CEDEAO avait été également activée pour intervenir. Mais malheureusement, pour des raisons liées aux ressources financières et des ressources matérielles, cela a trainé jusqu’à ce que la France  intervienne. Le Nord du Mali est menacé par l’intégrisme, on risquait d’avoir un pays divisé en deux, le nord et le sud. Ce qui va à l’encontre des textes de l’Union africaine qui prônent l’intégrité territoriale de ses pays membres. Lors du récent sommet de l’UA, les pays ont pris des engagements en matière d’assistance financière pour aider le Mali à  résoudre sa situation. Pour sa part, l'Afrique du Sud s’est engagée pour un montant de 10 millions de dollars US en faveur de la force africaine en attente au Mali, en plus des 50 millions de dollars que l’Union africaine s’est engagée à verser. Nous avons également pris l’engagement de donner 10 millions d’euros à titre d’aide humanitaire au Mali.

Combien  de temps avez-vous passé au Sénégal et que retenez-vous de votre séjour ?
Après trois ans et demi au Sénégal, je trouve que c’est un merveilleux pays. Je suis vraiment impressionné par l’amitié des Sénégalais, mais aussi par la paix et la démocratie qui y prévalent. C’est un pays qui n’a jamais connu de coup d’Etat depuis son indépendance en 1960, ce qui est considérable. Mais il y a également la tolérance religieuse même si la population est à prédominance musulmane. Sur un autre plan, il est évident que c’est un pays qui a beaucoup de défis à relever comme tout autre pays, mais les efforts sont en train d’être faits notamment dans le domaine des infrastructures. Nous pensons que cela va contribuer à aider ce pays à régler un certain nombre de questions.

 

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