“Mon problème avec la F24...”
Il est membre fondateur du mouvement Y en a marre qui est affilié aujourd’hui de la F24. Simon Kouka est témoin de l’histoire et a peur que la F24 commette les mêmes erreurs que celles du M23 en 2011-2012.
Que pensez-vous de la situation actuelle du pays ?
Je m’incline avant tout devant la mémoire de toutes ces personnes qui ont perdu la vie, en majorité des jeunes. Je prie pour le repos de leur âme et j’ai aussi une pensée pour leurs familles qui traversent des moments très difficiles. La situation du pays, malheureusement, on l’a vu venir. On a appelé un peu partout pour prévenir les gens sur la tension qu’il y a eu dans le pays, prévenir par rapport à toutes ces arrestations d’activistes, de journalistes, d’artistes rappeurs, etc. On a dit qu’il fallait faire baisser cette tension. Lors de notre dernière rencontre avec le président, avant la tenue du Show Taaru Galsen, on lui a fait part de notre ressenti par rapport à ce qui se passe dans ce pays. On lui a dit qu’il y a énormément de tension et qu'il faut libérer ces gens qui, sur Facebook, ont fait des posts et ont été arrêtés. Il fallait dégonfler cette tension.
C’est la raison pour laquelle à l’époque, on lui avait parlé de Karim Xrum Xax, de Pape Alé Niang, de Cheikh Oumar Diagne, de Papito Kara, de Pape Ndiaye Walf, d’Amy Dia, de Fadilou Keita, de toutes ces personnes qui sont retenues dans les geôles pour une pensée politique qu’ils avaient émise. Certains ont été relâchés et quelque temps après, on en a arrêté d’autres comme Nitdoff, Hannibal Djim. Cheikh Oumar Diagne est retourné en prison tout comme Karim Xrum Xax. Cela a participé à exacerber la situation. Cette jeunesse est à bout. Ils ne savent plus où donner de la tête.
En plus de tout cela, il y a cette incertitude autour d’une troisième candidature. La tension couvait et l’on savait que tôt ou tard, les choses dégénéreraient. Malheureusement, c’est ce qu’on a vu aujourd’hui avec une vingtaine de morts qui aurait pu être évitée. Pour moi, la seule et unique personne qui peut aider à apaiser la tension est le président Macky Sall. Il est le président des gens de l’opposition, des jeunes de la rue, des femmes, de ceux qui sont en prison. C’est la personne qui peut mettre balle à terre. Il peut commencer par lever ce doute sur sa troisième candidature. Ce dialogue doit être sincère.
Par conséquent, on ne devrait pas hésiter à aller vers ceux qui refusent de se mettre autour de la table. Car ce sont les fils de ce pays qui sont en train de perdre la vie, de saccager. Je suis actuellement à Paris, à l’Unesco, pour les besoins de la Semaine africaine et je rencontre beaucoup d’Africains qui me disent tous que le Sénégal est une vitrine pour l’Afrique et de faire en sorte que la paix revienne. Ce pays est connu pour sa stabilité.
On ne peut avoir qu'une vingtaine de morts et que le président reste aphone. Quand il y a eu l’affaire ‘’Charlie Hebdo’’, le président s’est déplacé jusqu’en France pour la mémoire des personnes qui ont perdu la vie lors des fusillades. Il pourrait parler pour au moins ces familles de victimes.
Pensez-vous que le combat actuel mené peut être comparé à celui mené en 2011 par Y en a marre, sachant que votre combat fut de principe. Or, aujourd’hui, on a l’impression que c’est plutôt personnel ?
Il y a énormément de différences, mais il y a des similitudes aussi. Aujourd’hui, il y a une confiscation des libertés. En 2012, il faut reconnaître que le président Abdoulaye Wade était démocrate. Il laissait les gens marcher, exprimer leurs opinions. Mais aujourd’hui, juste pour une opinion sur Facebook, on peut se faire arrêter. Même pour cette interview que je fais avec vous, à mon retour au Sénégal, je peux me faire arrêter. Ce n’était pas le cas en 2012. On n’exilait pas des opposants à l’image de ce qui est arrivé à Karim Wade. On n’emprisonnait pas des hommes comme Khalifa Sall pour l’empêcher à se présenter à la Présidentielle.
On ne fomentait pas des complots pour ensuite venir dire qu’il n’y avait pas de viol, mais qu’il y a eu une corruption de la jeunesse. Leur nouvelle façon de faire est assez sale. Mais on a l’impression que c’est un film qui revient sur pourquoi à chaque élection on doit parler de troisième mandat, se demander s’il va le faire ou pas. Le président maintient le suspense en ne disant ni oui ni non. Ce n’est pas le discours que le président Wade avait en 2012. Le discours était que Wade n’avait pas droit à un troisième mandat. Lui non plus, n’a pas ce droit. Ça n'avait pas lieu d’être avec ce référendum. Donc, il y a une très grande différence. La plupart des gens qui descendent dans la rue le font parce qu’ils en ont ras le bol des confiscations de libertés, des arrestations de politiques. Les gens qui descendent dans la rue sont des partisans de leaders politiques qui ne sont pas d’accord avec la manière dont leur leader politique est traité. Ils l’expriment ; bien ou mal est un autre débat.
En 2012, il n’y avait pas cette confiscation de libertés, ni d’arrestations d’opposants. Il y avait de la violence, mais pas au niveau noté actuellement. En 2012, on parlait d’une dizaine de morts, mais aujourd’hui c’est une vingtaine de morts et ce n’est pas encore fini. Donc, il faut mettre un frein à tout cela. Comme je l’ai dit à l’entame de mes propos, la seule personne qui peut mettre un terme à tout ça, c’est le président Macky Sall.
Aujourd’hui, il y a beaucoup d’appels à la paix. Y en a marre s’inscrit-il dans cette dynamique ?
Il y a beaucoup d'appels à la paix, mais l’ennemi de la paix, c’est l’injustice. On ne peut pas prendre un peuple et lui parler n’importe comment. Regardez comment nos ministres, sur les plateaux télé, avec l’arrogance et l’assurance avec laquelle ils parlent… Tout ça, beaucoup de jeunes le voient comme un manque de respect et cela engendre de la violence. On est tous d’accord pour un appel à la paix, mais il faut aussi de la justice. Quoi qu’on dise actuellement au Sénégal, on est en train de vivre énormément d’injustice.
C’est la raison pour laquelle il faut mettre un frein à tout cela. On veut tous la paix et pour beaucoup d’entre nous qui avons fait des pays de la sous-région, on sait que cette situation n’arrange personne. Cela porte un coup à l’économie et à la croissance. Aujourd’hui, la scolarité de nos enfants, de nos petits frères est en danger. On est en train de vivre ce qu’on vivait en 1988. L’économie ne marche pas et les jeunes ne travaillent pas. On a bloqué le pays pour de la politique. Il faut montrer qu’on veut la paix et il faut que l’État donne ce signal en autorisant les candidatures de Khalifa Sall, de Karim Wade, d’Ousmane Sonko, etc., dire qu’il ne briguera pas un troisième mandat. Macky Sall peut rentrer dans l’histoire en faisant cela. Si on veut la paix, il faut vraiment coordonner certaines actions et faire montre de bonne foi.
La F24 a appelé à des manifestations vendredi et samedi. Qu'en pensez-vous ?
Par principe, puisque le mouvement Y en a marre participe et est partie prenante de la F24 et son coordinateur assure la coordination de ce mouvement, on soutient cet appel, d’autant plus que c’est une manifestation pacifique. Il n’empêche, j’ai un problème avec la F24.
J’ai l’impression que c’est un M23 bis. J’ai l’impression que les politiques sont encore là pour la forme. Il y a la société civile, des mouvements citoyens, des associations au sein de la F24. Il faut que tout le monde se batte. Il ne faut pas juste être là pour marquer sa présence en espérant avoir des postes après les élections. C’est qui me dérange avec cette F24. Comment l’un des coordinateurs de F24 puisse être arrêté, on fait une conférence de presse pour sa libération et on n’a pas vu un seul leader de parti politique y prendre part. Comment peut-on appeler ça ? C’est-à-dire que chacun prêche pour sa chapelle politique, ses intérêts. Ce n’est pas normal. C’est mon problème aujourd’hui avec la F24.
Pour moi, il faudrait que tous les leaders politiques signent une charte, fassent des déclarations pour que l’on puisse avoir des archives. Sur la charte, on pourrait mettre par exemple qu’il ne sera plus autorisé de tirer des balles réelles sur des manifestants. Les politiques qui l’acceptent s’engageront à appliquer la réforme institutionnelle dès son élection. Il y a des manifestations un peu partout dans le monde, mais on voit rarement des gens tirer à balles réelles sur des manifestants dans les pays démocratiquement avancés. Ils ne sont pas plus intelligents et civilisés que nous. Il faut que ces dirigeants politiques qui veulent être élus nous assurent de respecter au moins les conclusions des assises nationales, les réformes institutionnelles du professeur Amadou Moctar Mbow. On ne veut pas commettre les mêmes erreurs qu’avec le M23 qui, aujourd’hui, a amené le président Macky Sall au pouvoir et le voir faire ce qu’il fait.
Cette conférence de presse sans les leaders politiques m’a choqué. C’est une honte. On a l’impression qu’ils sont là pour amener du monde, d’être avec la société civile comme en 2012. J’appelle malgré tout à participer à la manifestation. Ce n’est pas normal ce qui se passe actuellement au Sénégal, il faut que l’État sache que le pouvoir, c’est le peuple et il faut que ce peuple, à travers ces manifestations, montre sa force.
KHOUDIA DIENG (STAGIAIRE)