Un weekend pour effacer Faidherbe des mémoires
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De Saint-Louis à Lille, deux villes dont les municipalités revendiquent encore l’héritage du général Louis Faidherbe, figure du colonialisme français, des voix se sont élevées pour réclamer le déboulonnement des statues de celui qui est décrit comme ‘’violent’’ et ‘’raciste’’.
Dans la continuité des manifestations, partout dans le monde, contre le racisme, suite à la mort de George Floyd, des statues de figures de l’esclavage, du colonialisme et du racisme sont déboulonnées. Au Sénégal où cette question a déjà suscité beaucoup de divergences dans un passé récent, concernant la statue de Faidherbe dans l’ancienne capitale de l’Afrique occidentale française (AOF), le mouvement Black Lives Matter ravive une polémique qui, au-delà d’une simple statue, questionne sur l’histoire que le pays veut laisser à ses générations futures.
Vendredi dernier, c’est dans le sermon de l’imam de la grande mosquée de Saint-Louis, que s’est invitée la question du déboulonnement de la statue du général Louis Faidherbe (1818-1889), une des grandes figures du colonialisme français au Sénégal. Devant les fidèles, Cheikh Ahmed Tidiane Diallo a soutenu, dans une vidéo publiée par le blogueur saint-louisien Thierno Dicko, que ‘’prendre un étranger qui, en plus, a tué près de 20 000 Sénégalais en 8 mois, selon le professeur Iba Der Thiam (en référence à l’’Histoire générale du Sénégal’) et lui donner des noms de quartiers, statue…, cela fait mal’’. Samedi, trois activistes membres du collectif ‘’Faidherbe va tomber’’, avaient été arrêtés avant d’être libérés hier, après avoir tenu un point de presse pour le déboulonnement de la statue controversée de Faidherbe. Selon ndarinfos.com, Ils ont été poursuivis pour préparation d’une manifestation pouvant entraîner des troubles publics.
Au moment où les membres du collectif ‘’Faidherbe va tomber’’ se faisaient arrêter à Saint-Louis du Sénégal, entre 200 et 300 personnes manifestaient, ce 20 juin 2020, à Lille, en France, devant la statue du général Faidherbe, pour réclamer le ‘’retrait’’ ou ‘’au moins la contextualisation’’ de ce colon ‘’violent et raciste’’, rapporte l'AFP. ‘’Décolonisons l'histoire et la mémoire !’’, ‘’Qui veut (encore) célébrer le colonialisme ? 200 ans ça suffit !’’, lisait-on sur des banderoles ou entendait-on scander les manifestants.
Toujours au micro de de l'AFP, Jean-François Rabot, membre de l'association Survie, rappelait : Faidherbe a ‘’colonisé le Sénégal dans des conditions extrêmement violentes, en se targuant de brûler des villages, et a développé toutes sortes de théories racistes.’’
Sur les réseaux sociaux, le débat ne faiblit pas, non plus. Lors d’une discussion entre acteurs culturels, sur Facebook, Oumar Fall soutient qu’il faudrait ‘’que nous assumions toute notre histoire pour pouvoir relever nos défis du présent afin de léguer aux générations futures d'autres symboles et personnalités qui incarneront leur histoire’’. A cela, Gondy Seck répond que ‘’cette statue à Saint-Louis ne fait en aucun cas partie de notre patrimoine culturel, ni même de notre culture. Néanmoins, nous nous accorderons sur un point : nous devons enseigner tout ce qu'ils ont fait dans nos pays, durant cette période de notre histoire, dans toutes nos écoles afin que la vérité se sache. (…) Mais il n'est point question d'accepter, ni de favoriser chez nous la représentation de ces personnages qui auront fait tant de mal et/ou ont été la source de tant d'aliénation de nos peuples’’.
En septembre 2018, après de fortes pluies, la statue était tombée de son piédestal... et remise en l'état. "C'était l'occasion rêvée de s'en débarrasser une fois pour toute, mais la municipalité a décidé, contre toute attente, de la remettre, ce qui a soulevé beaucoup de colère", regrettait Khadim Ndiaye, membre du collectif, sur lepoint.fr. Et sur la page du même site d’informations, Abdoul Hadir Aïdara, historien et ex-directeur du Centre de recherche et de documentation de Saint-Louis (CRDS), rappelait que Faidherbe était ‘’un conquérant colonial, sabreur des populations civiles’’, qui ‘’a brûlé des villages, au Waalo et au Cayor (royaumes précoloniaux au Sénégal)’’. ‘’On lui a fait trop d'honneurs au Sénégal en lui donnant les noms d'un lycée, le pont et une place’’.
Il n’empêche, au Sénégal, une bonne partie des habitants de la ville tricentenaire continue à considérer l’ancien colonisateur comme un gouverneur bâtisseur, qui a permis le développement de projets d'infrastructures et d'équipements à l’origine d’un Etat du Sénégal moderne ou encore comme le libérateur des Noirs sénégalais face aux exactions des Maures mauritaniens.
Lamine Diouf