Publié le 30 Jan 2014 - 14:28
SUPPRESSION DES RÉGIONS

 Macky Sall à l’épreuve d’une réforme

 

Le débat fait rage au sujet de l'Acte 3 de la décentralisation. Entre une bonne partie de la mouvance présidentielle qui a fini de se faire une solide religion sur les bienfaits du nouveau Code général des collectivités locales, et de nombreux secteurs de la société civile et de la classe politique qui voient, à travers les actes posés par le pouvoir, une volonté cachée de tirer profit des élections locales du 29 juin 2014.

 

Le combat autour de l’Acte 3 de la décentralisation est parti pour être âpre. Autant le pouvoir est déterminé à mettre en œuvre le nouveau Code général des collectivités locales, autant l’opposition - soutenue par des personnalités du régime comme Moustapha Cissé Lo - se dit prête à en découdre  pour préserver  les régions qui devraient disparaître au profit de pôles de développement.

Ce que refuse Babacar Gaye. ‘’Si on fait une communalisation intégrale, cela signifie qu’on va saucissonner Dakar pour enlever au futur maire tous les pouvoirs et les transférer aux maires de plein exercice qui seront à la tête des communes d’arrondissement», avertit le porte-parole de l’Association des régions du Sénégal (ARS), avant-hier au cours d’une conférence de presse.

Abondant dans le même sens, son collègue de Kolda, Fabouly Gaye, relève l’«inopérationnalité’’ d’une telle décision prise ‘’sans concertation notamment avec les présidents de région et les autres conseillers locaux’’. Dans un entretien accordé à EnQuête, le président du conseil régional de Kolda s’étonne : «Lors de l’audience que le Président nous a accordée, il n’a pas été question de supprimer les régions.

Pourquoi subitement on nous annonce la nouvelle à travers un communiqué?‘’ De plus, Fabouly Gaye pense que ‘’l’Etat n’a pas su mesurer l’importance de ces régions dans le processus de développement économique et social local’’ en les supprimant. Dans la mesure où ‘’les régions mobilisent environ 23 milliards par an’’ grâce à la coopération internationale alors qu'elles reçoivent annuellement des dotations à hauteur de 6 milliards de francs Cfa’’ de la part de l’Etat.

Adama Diouf, (Directeur de l’ADL) : ‘’Les conseillers régionaux  étaient éloignés des populations’’

Un avis que ne partage pas Adama Diouf, porte-parole du ministère des Collectivités locales et directeur de l’Appui au développement local (ADL), au regard  du ‘’diagnostic’’ fait par la tutelle. ’’Nous nous sommes rendu compte que les questions de développement économique que les régions se sont fixées n’ont pas été atteintes. Les programmes de lutte contre la pauvreté, les programmes de population dans le cadre de leur formulation ont atteint leurs limites objectives dans l’action des conseils régionaux’’, explique M. Diouf.

En d’autres termes, ‘’les conseillers régionaux étaient éloignés des populations’’ ; ce qui fait que les populations de Kaffrine, Louga, Linguère ‘’ne reconnaissent pas le travail fait par les conseillers régionaux en termes de promotion et d’appui au développement local’’, constate la voix du ministère de tutelle.

Autant d'éléments qui ont poussé l’Etat à supprimer les 14 régions pour mettre ‘’en lieu et place des échelons de gouvernance des régions de proximité’’, appelé départements. Sa mission : faire du ‘’lobbying intense’ et ‘’la promotion active pour le développement à la base’’, indique Adama Diouf. Précision de taille de la part du directeur de l’Adl : «Il s’agit des régions en tant que collectivités locales et non en tant que circonscriptions’’ qui restent sous ‘’l’autorité des gouverneurs, préfets et sous-préfets’’.

Mais quid du sort des travailleurs des conseils régionaux ? Le PCR de Kolda ne cache pas ses inquiétudes lui qui dit avoir sous sa responsabilité «plus de 200 agents répartis entre les écoles et les services techniques de l’Etat’’. ‘’On transfère les mêmes attributions dévolues jusque-là aux régions sauf le recrutement et la gestion du personnel qui avait comme outil de travail, la région. Comment le gérer?’’, se demande Fabouly Gaye.

«Il n'y a pas de souci à de faire’’, rassure le porte-parole du Ministère des Collectivités locales. ‘’Les travailleurs des régions ne vont pas perdre leur emploi pour la bonne et simple  raison que  dans chaque région, il y a au moins 3 à 4 départementaux. On va élire les conseils départementaux qui ont besoin d’une administration. C’est une assiette assez élargie où ils vont trouver de l’emploi’’, explique M. Diouf.      

‘’Cette décision aura forcément des conséquences sur les locales’’

Mais le président du Conseil  régional de Kaffrine, Babacar Gaye, est loin d’être convaincu. Il voit à travers cette décision des ‘’relents politiques’’. ‘’Si l’APR ne peut pas présenter quelqu’un contre le maire socialiste de Dakar (Khalifa Sall) par solidarité au moins ou pour retourner l’ascenseur, la meilleure façon, c’est de lui couper les ressources’’, déclare le porte-parole du Parti démocratique sénégalais.

‘’C’est un faux débat’’, rétorque Adama Diouf. ’’Khalifa Sall appartient au Parti socialiste, membre de la mouvance présidentielle Benno Bokk Yaakaar. Son secrétaire général, Ousmane Tanor Dieng, a pris part à toutes les concertations au Palais. Donc, le PS est en phase avec l’Acte 3 de la décentralisation.’’

M. Diouf accuse les PCR de mettre ‘’en avant leurs intérêts personnels’’ au détriment de l’intérêt général. Il les invite à se ‘’focaliser sur les questions majeures de développement’’ car ’’le défi aujourd’hui, c’est construire le Sénégal à partir de territoires, à travers des projets de développement  formulés par les populations’’.

Mais cela devrait passer par des concertations avec tous les acteurs concernés, quitte à reporter de nouveau les élections locales. ’’Jusqu’à présent, beaucoup de Sénégalais ignorent ce qui est contenu dans l’Acte 3 de la décentralisation. Comment voulez-vous qu’on aille aux élections ? s’interroge-t-il. Cette décision aura forcément  des conséquences sur les élections locales’’

Cheikh Dia (expert) : ‘’Les régions développent des réponses locales au détriment des questions d’intérêt national’’

Cheikh Abdoul Dia, expert en décentralisation, approuve la suppression des régions pour des rasions d’efficience. ‘’Depuis 1996 (date de l’Acte 1 de la décentralisation), dit-il, ces régions n’ont pas atteint les missions qui leur ont été assignées.’’ A l’origine de cet échec, ’’la méconnaissance quasi systématique des textes relatifs à la gestion administrative, l’inexistence de texte de référence, l’absence de formation’’, liste ce spécialiste en gouvernance décentralisée.

Pour étayer ses propos, M. Dia dit avoir mené ses ‘’propres enquêtes’’ à Saint-Louis, Thiès et Matam qui lui ont permis de constater que ‘’les régions développent des réponses locales au détriment des questions d’intérêt national’’. Cela explique qu’elles ‘’tardent à décoller’’. D’où la nécessité pour elles ‘’de s’auto-évaluer et de porter un regard critique sur leur propre situation’’.

DAOUDA GBAYA

 

 

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