Publié le 9 Dec 2022 - 22:07
THÉÂTRE - ABSENCE DE POLITIQUE CULTURELLE, PROBLÈMES DE VISA...

Diagnostic des maux dans les pays arabes et africains 

 

Les difficultés rencontrées par les dramaturges africains et arabes pour diffuser leurs œuvres, en particulier en dehors des frontières de leur pays, ont été étalées lors d’un colloque organisé dans le cadre des Journées théâtrales de Carthage 2022.

 

En vue d’examiner les pistes de production et de distribution des théâtrales dans les pays arabes et africains, les Journées théâtrales de Carthage 2022 consacrent un symposium sur la question. Lors du colloque d’ouverture, les intervenants ont d’abord pointé du doigt l’absence d’une politique culturelle dans la plupart des pays. ‘’Il est important que nos gouvernements mettent en place des politiques culturelles, parce que la politique est le pont de ce monde.

Quand le monde se meurt avec toutes sortes de guerres, c'est dans des espaces comme ça (JTC) que les gens peuvent se rencontrer’’, déclare la comédienne sénégalaise Patricia Gomis. Elle regrette une léthargie du théâtre dans son pays. ‘’Le Sénégal a été un des pays phares du théâtre dans les années 1960. Nous avions des compagnies qui tournaient dans le monde entier. Aujourd’hui, le théâtre sénégalais est en train de mourir. Et c’est triste pour un pays qui a eu un président poète qui a défendu le théâtre dans le monde’’, dit-elle. ‘’Il faut qu’on se réveille et qu’on rouvre ces pages de la culture et du théâtre’’, poursuit-elle.

Hugues Serge Limbvani est le directeur du Festival international de théâtre-danse-cirque du Congo-Maloba. Il a abondé dans le même sens. ‘’Le théâtre africain vit aujourd'hui une période très compliquée. Parce qu’il y a une baisse drastique des moyens de financement qui nous permettent de renouveler ses formes et de se déployer dans le monde. Du coup, les formes sont changées. Il n’y a plus de rêve. On fait des spectacles réduits. C’est lié au manque de politique culturelle dans nos États’’, peste-t-il.

En effet, bien que certains pays aient connu quelques tentatives d’autonomie artistique et économique au niveau des structures théâtrales, celles-ci se limitent à des initiatives individuelles et ne sont pas en mesure d’opérer et créer des changements globaux et radicaux. L’activité théâtrale-production et distribution a une dépendance vis-à-vis de l’État. L’on assiste à une entrave du marché d’art permettant aux œuvres de rayonner dans le monde. Celles-ci souffrent d'un manque de représentation même dans leur pays et leur présence se limite à quelques festivals dans les pays arabes, ce qui réduit la durée de vie de l'œuvre, d’après le directeur du colloque, le professeur émérite Mohamed Messaoud Idriss. D’où la nécessité de créer un réseau arabe et africain qui s’engage dans la distribution et la coproduction.

Hugues Serge Limbvani appelle donc à la création de théâtres fonctionnels, c’est-à-dire liés au problème de la société pour créer l’engagement chez le public. ‘’Les Africains doivent se rendre compte qu’avant d’aller balayer chez l’autre, il faut d’abord balayer chez soi. Je pense que nous devons d’abord penser nos créations pour notre public. Une fois que ce dernier est conquis, nous pouvons penser à aller conquérir ailleurs. Il y a des spectacles qui sont créés chez nous pour le peuple européen. Ça veut dire que même  le contenu est modifié. Et comme le contenu ne parle plus au public, il ne vient plus au théâtre'', regrette-t-il.

Problème de visa

L’autre problème évoqué est lié au visa. Les intervenants plaident en faveur d’un mécanisme ou un programme de discussions avec surtout la partie européenne, pour changer son traitement des dossiers de créateurs, en créant un visa créatif. D’après eux, il est illogique de priver un créateur d’un voyage devant lui permettre de présenter sa production. Obtenir un visa, c’est un véritable casse-tête pour les artistes africains et arabes. Hugues Serge Limbvani en a fait les frais. ‘‘Je faisais mon spectacle à Montréal. Et j’ai une jeune comédienne congolaise qui devait quitter Brazzaville. Pour faire transition à Paris pour faire son visa de Canada parce qu’à  Brazzaville, on n’a pas d’ambassade de Canada, il faut aller à Kinshasa, mais ça prend deux mois. Or, quand on le fait à Paris, le visa sort le même jour. J’avais l'accord de l’ambassade de Canada, mais la France a refusé le visa de transit, alors que la personne ne devait même pas y rester pendant une journée’’, relate-t-il.

Ainsi, il a été obligé d’utiliser ses réseaux. Il a contacté des ministres français qui ont téléphoné à l’ambassade pour qu'elle délivre un visa d’urgence. ‘’On était tellement en retard qu’on a demandé à la personne d’aller à l’aéroport pour qu’on fasse un visa sans même qu’elle ait besoin de remplir des papiers’’, note-t-il.

Cette anecdote le pousse à dire que le talent ne suffit plus, qu’il y a d’autres éléments qui entrent en ligne de compte. ‘’Pour que la personne reçoive le visa, il faut qu’elle ait des attachés solides dans son pays, c'est-à-dire être marié, avoir des enfants. Mais on a vu même des femmes qui, une fois arrivées en Europe, ne sont pas revenues'', dit-il.

Déboussolés, les metteurs en scène ne savent plus à quel saint se vouer. Ainsi, ils sont obligés de prendre des Africains en Europe, pour se simplifier la tâche.

 Pour sa part, la directrice des JTC, Nissaf Ben Hafsiya, a rappelé que l’organisation de ce colloque s’inscrit dans la continuité avec d’autres ateliers, performances et spectacles, et dans le cœur d’une tradition instaurée par cette manifestation.

BABACAR SY SEYE (ENVOYE SPECIAL)

 

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