Impressionnante exposition d’une céramiste ‘’méconnue’’
La galerie Kemboury accueille les œuvres de Séni Awa Camara. Le vernissage de l’exposition s’y est tenu jeudi. Une exposition dénommée ‘’Terre de lumière’’.
Séni Awa Camara était absente ce jeudi à Dakar, mais ses œuvres elles, étaient bien présentes à la galerie Kemboury. Elles y trônent majestueusement. C’est une manière pour la propriétaire de ladite galerie, Thérèse Turpin Diatta, de faire découvrir au public cet artiste ‘’méconnue’’. A Bignona où vit Séni Awa Camara, elle plonge les visiteurs dans un univers fantasmagorique. A travers ses œuvres, l’on peut voir des femmes enceintes, des ‘’généalogies parfois inversées’’. A la base, ‘’ce sont des figures titulaires et une famille qui s’agrège. Mais en bas des œuvres, au niveau des pieds, un personnage qui supporte tout cela. Le rapport à ce qui est verticale est transposé sur l’horizontale’’.
Cette approche de l’artiste est, selon le critique d’art Massamba Mbaye, ‘’assez étrange comme approche chez une femme qu’on ne soupçonne pas d’avoir autant de transcendance’’. Sur le plan technique et sur le plan plastique, ajoute-t-il, ‘’elle réalise des œuvres d’une rare finesse’’. Ce, parce que, selon lui, ‘’il est très difficile avec juste de la terre glaise de réussir des pièces composées de la sorte’’.
Dans ces œuvres d’une trentaine de pièces étalées dans cette galerie dans le cadre de la biennale, il y a aussi le sens de l’équilibre et de la finesse des traits quand il s’agit de dessiner des visages. Dans le deuxième couloir de cet espace, l’on remarque une sorte de bestialité qui accompagne le travail de Séni Camara et renvoie aux figures totémiques de l’Afrique. Elle accumule et par l’accumulation, elle fait ressortir des choses assez étranges, assez surprenantes. D’ailleurs, informe-t-on, ‘’quand elle a exposé ses premières pièces dans le marché, les gens ont fui littéralement parce que cela renvoyait à quelque chose de très fort sur le plan suggestif. Mais une évidence, si l’on sait que son inspiration est le fruit de son dialogue avec ces êtres qui peuplent ses nuits, son univers’’.
Un regard sur d’autres pièces bien teintées permet d’apercevoir le sens du nombre de l’artiste et de l’équilibre dans le nombre. Là, c’est le corps même de la figure tutélaire qui renvoie à cette démultiplication. ‘’Lorsqu’on fait de la poterie, on a une pièce de base et on ajoute des personnages et des formes. Mais lorsqu’on regarde le travail fini, on a l’impression que les personnages que l’on voit semblent sortir de l’intérieur’’, argumente le critique d’art. Chose assez étrange, vu qu’ailleurs, les poteries et le modelage procèdent par ajout. Et ici, l’ajout est tellement consubstantiel à la matière de base.
Pour autant, elle ne se répète pas. Ce sont des pièces impressionnantes sur le plan de la taille. Une d’entre elles, placée dans un coin mesure, 1m98 et vaut 5 millions de francs CFA. ‘’C’est une œuvre d’une originalité reconnue, d’une singulière beauté. Elle mérite d’être vue par tous les Africains, tous les amoureux de l’art’’, a soutenu le ministre de la Culture et de la Francophonie de la Côte d’Ivoire Maurice Kouakou Bandaman. Venu prendre part à cette exposition en compagnie de son homologue sénégalais Mbagnick Ndiaye, il dit avoir surtout été marqué par ‘’l’esthétique et le sens de l’équilibre de l’artiste’’.
‘’Des œuvres à l’image du vécu de l’artiste’’
Séni Awa Camara est, d’après le film fait sur elle : ‘’Donner naissance’’, de Fatou Kandé Senghor, une femme victime d’un mariage précoce. Mariée à l’âge de 15 ans et ayant subi 4 fausses couches, son inspiration émane de la frustration qu’elle a vécue. En liaison avec les esprits les plus profonds de la création, elle s’inspire également de ses rêves. Elle apparaît dans ce film qui retrace sa vie comme une femme meurtrie dans sa chair et qui transcrit son passé à travers ses œuvres. Très tôt, les touristes étrangers qui venaient au marché de Bignona l’ont découverte et très vite elle a été invitée à faire des expositions à l’international. Mais nul n’étant prophète chez soi comme dit l’adage, elle n’est pas autant connue au Sénégal. Et là, ‘’il faut que des structures comme les nôtres aident certains artistes à être prophète chez eux’’, plaide la propriétaire de la galerie Kemboury.
AMINATA FAYE