La statue (re) bouge
Un vieux laboureur d’opinions, sentant sa fin politique prochaine, appela ses enfants légitimes et illégitimes, et leur parla sans témoins : « gardez-vous », leur dit-il, « de penser qu’une vie sera possible après moi ! » Il en est ainsi de certains hommes ; ils estiment qu’ils doivent emporter plusieurs êtres avec eux. Comme ces pharaons qui jugeaient nécessaires de se faire enterrer avec des éphèbes, pensant trouver quelque motif de satisfaction avec la proximité dans la douleur et la peine de jeunes qui ont un avenir.
La tension politique, tension sociale, tension de la rue, notée ces derniers jours est bien la résultante de la volonté du jusque toujours premier responsable du Pds de faire monter le mercure dans le thermomètre. Deux questions arrivent. La première a trait à ce qui a poussé Me Wade à subitement se radicaliser. La seconde concerne ces personnalités qui le suivent benoîtement, oubliant qu’ils ont eux-mêmes leur carrière à parfaire. Dans tous les cas, l’opinion globale qui se dégage dans le pays est que c’est le seul dossier « Karim Wade » qui justifie cette ruade dans les brancards de la rue.
Portés par le courant d’un nouveau pouvoir qui n’a pas d’appareil, les libéraux avançaient depuis trois ans comme ces pirogues muettes sur les fleuves, portées par des percheurs, avec la régularité de l’ample mouvement qui tord les muscles des brasseurs d’eau et d’argent, et que seuls trahissent leurs saillies dans la presse, sans quoi on les eût pris pour des statues. Cette eau, cette pirogue, ces piroguiers ne sont personne d’autre que le Pds et son fondateur. Constatant que ses ouailles n’étaient pas à son niveau, il a décidé de porter, comme une dernière offensive, l’ultime combat.
Flairant la mauvaise atmosphère au sein de la majorité présidentielle, ayant eu vent des contradictions qui minent l’Afp de Moustapha Niasse et la guerre de succession au Ps, sans parler des leaderships affaiblis au sein de l’Apr, un homme – un génial politicien- comme Me Abdoulaye Wade ne pouvait pas laisser passer une telle opportunité. Comme à ses habitudes, il a chauffé et il est parti.
La rue, il la connaît. C’est sa maison. La presse, il sait comment l’avoir avec soi. D’emblée, il a créé l’attraction en évoquant un dialogue, comme à son habitude, en appelant carrément à l’insurrection. Il a même franchi la ligne rouge en convoquant l’armée dans ses diatribes.
Beaucoup ont souri à l’évocation de ce qui reste le ciment de la Nation, quand il a menacé de faire appel à « la grande muette » pour le départager avec Macky Sall. Me Wade n’en est pas à sa première. Lors de la crise sénégalo-mauritanienne de 1989, il avait juré d’envoyer des parachutistes sur Sélibaby s’il avait été à la place du président Diouf. Pour ensuite entrer dans le gouvernement de majorité présidentielle élargie. Cette volonté de sabrer les institutions, cette stratégie de créer le chaos, pour ensuite appeler à la négociation ne datent pas d’aujourd’hui.
Le patron du Pds n’appelle au dialogue que s’il est aux abois. Il ne négocie que quand la conjoncture lui est défavorable. Il l’a fait avec le président Senghor pour créer le Pds en 1974 ; et il l’a refait aux heures les plus sombres du régime socialiste. Alors au pouvoir, lui-même ne l’a jamais accepté, si ce n’est vers la fin de son règne, quand il a torpillé la carrière politique de son ancien fils spirituel, Idrissa Seck. Sinon, il n’a jamais dialogué quand il était aux manettes. Beaucoup ne voient dans ses attitudes de ces derniers jours qu’une volonté de « politiser » la traque des biens mal acquis fleurie par le procès de son fils, l’ancien ministre d’Etat Karim Wade. C’est là mal connaître l’homme : il ne se sent bien que seul sur scène.