Publié le 25 Nov 2020 - 03:29
ZAHRA IYANE THIAM (MINISTRE DE LA MICROFINANCE ET DE L’ECONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE)

‘’L’économie sociale et solidaire est une réponse pour l’emploi des jeunes’’

 

L’économie sociale et solidaire peut être un modèle, une alternative, une solution pour l’émigration clandestine et une réponse pour l’emploi et l’employabilité des jeunes. C’est la conviction de la ministre de tutelle, Zahra Iyane Thiam, qui a accordé une interview à ‘’EnQuête’’, à l’occasion de la célébration du ‘’Mois de l’économie sociale et solidaire’’.

 

Le 23 novembre marque le ‘’Mois de l’économie sociale et solidaire’’. Au Sénégal, vous êtes la ministre en charge de ce département, mais aussi de la Microfinance. D’abord, existe-t-il une différence entre la microfinance et l’économie sociale et solidaire ?

On ne parlera pas de différence entre l’économie sociale et solidaire et la microfinance, mais plutôt de complémentarité. L’économie sociale et solidaire est une stratégie. C’est un modèle qui permet d’entreprendre une activité économique avec une incidence sociale, une activité qui est pratiquée par un groupe. C’est pourquoi il parle de solidaire. C’est un groupe de personnes, d’organisations qui s’activent autour d’une activité économique avec un impact social.

Maintenant, la microfinance, c’est un véhicule pour promouvoir, amplifier un modèle. C’est là le lien entre l’économie sociale et solidaire et la microfinance. Et il est heureux qu’au Sénégal, nous ayons pu avoir dans un seul secteur la microfinance et l’économie sociale et solidaire. Le président de la République Macky Sall en a fait la deuxième initiative nationale.

Après le PSE jeunes, c’est le PSE économie sociale et solidaire. Il a voulu donner tous les moyens au secteur, afin que nous puissions l’amplifier et surtout que les acteurs qui sont essentiellement les coopératives, les organisations mutualistes, les exploitations familiales, les associations, etc., pour ces acteurs puissent avoir tous les moyens à leur disposition pour mettre en œuvre ces activités-là.

L’économie sociale et solidaire promeut les produits du terroir, dans des circuits courts et invite à une solidarité entre producteurs et consommateurs. Que fait le ministère pour consolider ce volet ?

Notre action s’arrête, normalement, à la conception et à l’amorçage du modèle. Mais ce qui est intéressant avec l’économie sociale et solidaire, c’est, par exemple, si on prend le cas des coopératives, c’est une organisation qui intervient sur toute la chaine de valeur. Elles permettent d’entreprendre son activité, de l’encadrer, d’avoir à disposition l’information nécessaire pour avoir une activité de qualité. Si on prend l’exemple de l’agriculture, une fois qu’on a semé et récolté, c’est la coopérative elle-même qui prend en charge la commercialisation. Sur toute la chaine de valeur, l’importance même d’une coopérative, c’est de pouvoir intervenir dans les différents niveaux. Mais nous ne nous sommes pas arrêtés là, surtout que nous avons élaboré la loi d’orientation de l’économie sociale et solidaire pour permettre, sur toutes les questions évoquées, de la labellisation à l’activité, en passant par les différents canaux de commercialisation, d’avoir des avantages liés au statut d’acteur de l’économie sociale et solidaire ou d’entreprise sociale.

A travers le monde, nous voyons que l’économie sociale et solidaire est un levier économique extrêmement important. Dans certains pays, le secteur contribue à hauteur de 10 % du produit intérieur brut.

Aujourd’hui, notre difficulté première est de quantifier l’apport même du secteur quant à sa participation au PIB du pays. Et ce sont toutes ces questions-là que nous avons besoin d’encadrer, de formaliser, de réglementer, etc. C’est pourquoi la loi d’orientation de l’économie sociale et solidaire est importante. Il y a une convention en cours avec l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) pour qu’on ait une situation de référence de l’économie sociale et solidaire. En outre, dans le cadre du programme ‘’Promess’’, il y a la création d’une plateforme numérique dénommée ‘’Sen Label’’, qui sera une opportunité pour l’ensemble des acteurs, quel que soit le lieu où ils se trouvent, d’interagir en faisant des offres, des demandes, etc. Tout cela participera, certainement, à impacter sur toute la chaine de valeur, de la production à la commercialisation, en passant par l’encadrement et l’organisation.

Concernant la réglementation, quand sera votée la loi d’orientation du secteur ?

Le projet est terminé et il fera le tour normal pour son adoption. Nous espérons que, très prochainement, le projet de loi sera d’abord adopté en Conseil des ministres et ensuite présenté à l’Assemblée nationale. Aussi bien le projet de loi que son décret d’application. Déjà, nous sommes allés à la rencontre des acteurs. Nous voyons que c’est un modèle de réussite. La semaine dernière, j’étais à Toubab Dialaw, avec une population d’environ 30 000 habitants nourris grâce à une activité agricole. A Matam, Kédougou, Kaffrine, Tambacounda, on a des modèles réussis.

Et par rapport à l'émigration irrégulière qu'on note ces temps-ci, est-ce que l'économie sociale et solidaire peut être une solution pour le financement des projets des jeunes ?

Elle peut être un modèle, une alternative, une solution pas seulement pour l’émigration clandestine, mais c’est une réponse pour l’emploi, l’employabilité des jeunes. Elle prône le regroupement. Dès lors qu’on prône le regroupement, on peut avoir des coopératives avec 2 000 femmes. C’est un levier important pour capter l’entreprenariat.

Au-delà de cela également, la particularité, c’est que l’économie sociale et solidaire est un secteur transversal. Dans la pêche, c’est des acteurs de ce secteur, de même que celui du tourisme, de l’agriculture, de l’élevage, etc. Ce modèle-là, quelle que soit la catégorie, il suffit de l’appliquer pour mieux s’organiser, mieux entreprendre, en étant plus inclusif, plus solidaire. On met l’Homme au centre de l’activité économique. Il ne s’agit plus que d’avoir du profit, que du système capitaliste, mais c’est plutôt, de remettre l’Homme au centre de l’activité économique partant des principes, valeurs d’humanité, de solidarité, etc. C’est une tendance mondiale que nous voyons un peu partout.

A propos de son application, certains économistes pensent que dans la pratique, l'économie sociale et solidaire reste un challenge. Selon vous, quelles sont les difficultés auxquelles vous faites face pour le développement du secteur ?

Il n’y a pas de difficulté. La seule limite, c’est l’encadrement, l’organisation et la réglementation. Parce que pour savoir les acteurs de l’économie sociale et sociale, il faut d’abord pouvoir les identifier. C’est pourquoi le cadre juridique et réglementaire est important. Il permet d’avoir une identité, un statut. Et cela, nous envisageons de le faire à travers un agrément. Une fois qu’on est reconnu, on va dans la seconde phase de formalisation.  Parce qu’il faut bien que nous sachions, par rapport à toutes les politiques, toutes les mesures d’accompagnement qui sont données à ce secteur-là, quelle est sa part dans l’économie nationale. Ceci pour savoir ce qu’il faut améliorer, redresser. C’est une procédure. Nous sommes à la première étape et, pour la réussir, il fallait nécessairement la volonté politique. Et cela nous l’avons et une fois que cela est fait, le cadre réglementaire bien précis, les mécanismes mis en place, je ne vois pas pourquoi le secteur ne donnera pas la promesse des fleurs. C’est juste une organisation qu’il faut pour faire progresser ce modèle.

L'économie sociale et solidaire est aussi considérée comme un moyen pour impulser le développement à la base. A ce propos, est-ce que les collectivités territoriales sont assez impliquées pour vous permettre d’atteindre cet objectif ?

Oui. En tout cas, nous, au niveau du ministère, les collectivités territoriales font partie des socles prioritaires pour relayer ce modèle d’économie sociale et solidaire. D’ailleurs, le président de la République parle toujours de la territorialisation des politiques publiques. L’essence même de la territorialisation des politiques publiques, c’est de partir des potentialités des terroirs. Aujourd’hui, l’économie sociale et solidaire doit avoir comme principale porte d’entrée la collectivité territoriale, en intégrant d’abord, au niveau des gens, le développement local. Mais également, à travers une organisation autour des chaines de valeur.

Au niveau des communes, nous avons les mêmes activités qui se mènent. Il peut y avoir un problème, puisque l’offre sera supérieure à la demande. Mais si, aujourd’hui, nous devons partir des potentialités de chaque commune, par exemple, à Kaolack, c’est l’arachide et le sel. Booster l’activité par filière à partir de chaines de valeur, c’est d’une importance capitale. Et là, les collectivités territoriales l’ont bien compris. C’est pourquoi nous saluons la mise en place des réseaux. Nous avons, au niveau des communes financées par la ville de Dakar, le Réseau des acteurs et des collectivités territoriales, pour ce qui concerne l’économie sociale et solidaire. Mais on a aussi le Réseau des acteurs de l’économie sociale et solidaire qui est porté par le Conseil départemental de Kaolack. Nous envisageons nous-mêmes, dans la cadre de l’exécution du Programme de promotion de l’économie sociale et solidaire qu’on va démarrer en 2021, d’avoir comme un des piliers qui sous-tendront l’économie sociale et solidaire, les collectivités territoriales.

Mais les collectivités territoriales évoquent souvent un problème de ressources pour mener à bien leurs politiques sociales. Existe-t-il des mécanismes pour les appuyer ?

Il faut faire la différence entre mener des actions sociales et pratiquer l’économie sociale et solidaire, qui n’est pas une activité économique. Et le mot économie est très important dans l’entendement de l’économie sociale et solidaire. Si c’est pour exécuter des programmes sociaux, nous en avons. Il y a beaucoup de filets sociaux pour accompagner les populations. Justement, on ne peut pas rester dans un cycle éternel d’accompagnement social. Et c’est pour faire cette transition que le chef de l’Etat a mis en place ce modèle entrepreneurial de l’économie sociale et solidaire, qui permet, malgré les moyens faibles, les revenus faibles que les personnes prises individuellement possèdent, de mettre ensemble le peu de moyens qu’elles ont. A partir de ce regroupement solidaire, avec l’accompagnement de l’Etat, elles peuvent entreprendre.

D’abord, cela fait moins de contraintes, parce qu’on a un nombre. Et cela fait, également, moins de charges et moins de risques. Puisque tous les risques sont partagés par le groupe.

Maintenant, pour accompagner ces dynamiques-là, l’Etat a mis en place le Fonds d’appui à l’économie sociale et solidaire, qui est un fonds pour promouvoir l’entreprenariat. C’est un fonds d’investissement sous forme de subventions, qui accompagne la formation, l’encadrement, etc. C’est vraiment un fonds d’amorçage pour les populations au niveau local.

En plus de ce fonds, il existe des programmes à l’image de la Plateforme d’appui au secteur privé et à la valorisation de la diaspora sénégalaise en Italie (Plasepri) ou encore le Fonds d’impulsion de la microfinance, etc. Ce sont des mécanismes qui sont au niveau du ministère pour accompagner l’entreprenariat communautaire.

Rappelez-nous juste le montant du Fonds d’appui à l’économie sociale et solidaire…

Le fonds a bénéficié, pour l’année 2019, d’une dotation budgétaire d’un montant de 500 millions de francs CFA, initialement. Mais, avec la pandémie, nous avons pu, dans le cadre du Fonds d’appui à l’investissement des Sénégalais de l’extérieur (Faise), exécuter un programme d’appui sectoriel aussi bien pour le secteur de la microfinance que de l’économie sociale et solidaire, à hauteur d’un milliard.

Pour le budget de 2021, c’est un fonds qui va être porté à un peu plus de 600 millions, qui est complété par le Fonds national de la microfinance. Il est également un mécanisme sur lequel nous fondons beaucoup d’espoir pour non seulement l’harmonisation de toutes les interventions étatiques qui s’appuient sur le système financier décentralisé (SFD), les institutions de microfinance, pour exécuter des programmes, mais également, c’est un instrument sur lequel nous comptons nous appuyer pour améliorer la gouvernance du système financier décentralisé, mais aussi améliorer les conditions d’octroi de prêts, notamment par rapport à la baisse du taux d’intérêt, en mettant à la disposition des SFD des ressources longues et stables. Donc, indirectement, c’est également des mécanismes qui accompagneront les acteurs de l’économie sociale et solidaire.

Pouvez-vous faire l’état des lieux de l'économie sociale et solidaire, actuellement ?

Oui. L’économie sociale et solidaire est un modèle traditionnel chez nous. Quand on regarde la finance solidaire, on sait que de tout le temps, nous avons vécu comme des acteurs de ce secteur. Seulement que cela n’a jamais été formalisé. C’est pourquoi il est difficile, aujourd’hui, de pouvoir quantifier son apport qualitatif ou quantitatif dans l’économie. Mais ce qui est sûr, c’est que c’est un modèle qui est en marche. Les prérequis, pour mieux calculer son apport, sont mis en place, notamment avec cette situation de référence qui est en gestation, mais également cette loi d’orientation. Qui, lorsqu’elle sera adoptée, pourra encore pousser plus d’acteurs à avoir un statut de l’économie sociale.

Ensuite, nous attendrons encore, d’ici 2021, pour faire une première évaluation de ce secteur en profondeur. 

MARIAMA DIEME

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