Les leçons de vie du professeur Meiway
Des rondeurs féminines aux blessures sociétales causées par la guerre civile dans son pays, le chanteur ivoirien Meiway utilise son zoblazo prêt-à-danser pour toutes sortes de sujets abordés sur son nouvel album Professeur. Interview avec RFI Musique.
RFI Musique : Votre musique, très festive par nature, est-elle restée imperméable au contexte douloureux qui a prévalu récemment en Côte d’Ivoire ou bien l’a-t-il influencée ?
Meiway : C’est clair que la crise ivoirienne m’a inspirée pour cet album, pas dans le registre musical mais pour les paroles. Quand on aime son pays, on est dans l’obligation de s’inspirer de ce qui s’est passé pour non seulement dénoncer des choses, mais pour sensibiliser, conscientiser et demander à ceux qui nous écoutent de ne plus commettre la même erreur.
Avec une chanson comme Koukoumele, par exemple ?
ça veut dire "plier les genoux". Parce qu’aujourd’hui, on a beau crier sur tous les toits, revendiquer, la situation peine à s’améliorer. Et on n’a que Dieu pour garder espoir. En l’occurrence, en se mettant à genoux devant lui, on l’implore de nous venir en secours. On a connu des atrocités. Celui qui a vu cela sous ses yeux et qui est concerné par un parent qui a été exécuté, il ne pardonnera jamais. La réconciliation, dans un premier temps, doit être mise en retrait. Pour moi, le meilleur discours possible, c’est prôner la paix.
Aviez-vous le cerveau disponible pour faire de la musique dans une telle situation ?
Mon imagination n’a jamais été aussi fertile que dans la douleur. C’est dans ces cas que tout ressort en soi. Pour cet album, Professeur, j’ai fait un tour d’horizon de toutes les musiques que j’aime, de tous les thèmes d’actualité qui font la difficulté de notre continent.
Qu’enseigne ce professeur ?
Nous, les adultes, en Côte d’Ivoire, avons joué notre partition mais elle est ratée, au vu de ce qu’on a connu. Il faut tout de suite en tirer les enseignements pour amener notre progéniture vers le droit chemin. Pour ce faire, il faut les instruire, leur apprendre le savoir vivre, le bien-être, comment se conduire dans la vie de tous les jours. Ça passe par l’école, les maîtres, les instituteurs : les professeurs.
On parle souvent de vos paroles incisives, pour qui a la chance de les comprendre. Que dit le texte du premier morceau, Rouler moutou, par exemple ?
Quand on roule les moutou, on s’éloigne de la sensibilisation et on se rapproche de l’obscénité ! Le moutou, chez nous, c’est le postérieur. Je suis un chanteur qui aime les sujets insolites : j’ai écrit sur les strings, les lolos… Aujourd’hui, l’Occident nous impose des femmes maigrelettes. Mais on s’éloigne de nos vraies valeurs. C’est ma façon à moi de protéger nos traditions, nos femmes typées et de leur dire de rester telles qu’elles sont parce qu’il y a encore des personnes qui les aiment. Et je l’affirme de plus belle sur Rouler moutou pour dire à toutes les femmes de bouger leur derrière parce que ça nous fait beaucoup de bien !
Vous reconnaissez-vous des liens de cousinage avec des chanteurs congolais tels que Koffi Olomide, Felix Wazekwa… ?
Plus que des cousins, ce sont des frères. Au-delà d’être compatriotes africains, on fait dans la musique d’ambiance, la musique chaude, pour divertir, faire la fête ! On mène le même combat, et à part quelques différences sur le plan de l’orchestration, toutes ces musiques viennent d’une même source : les tam tam, les percussions.
Votre "cousin" ou "frère" guinéen Sekouba Bambino vous a invité à Conakry pour célébrer ses 20 ans de carrière ? Vous le connaissez depuis longtemps ?
Depuis plus de quinze ans. On s’était rencontré au festival Couleur Café en Belgique. Nous sommes restés très solidaires parce que la Guinée a aussi connu des moments très difficiles en même temps que la Côte d’Ivoire. Sur cet album, on n’était pas très loin de travailler ensemble. Il y a un titre qui s’appelle Assetou. C’est une demoiselle de la région mandingue – d’où vient Sekouba Bambino – qui a tendance à être marginalisée parce qu’elle est restée noir d’ébène alors que la mode chez la plupart des femmes là-bas, c’est se décaper la peau, s’éclaircir pour paraître plus belle. Sur ce titre chanté en malinké, qui est la langue de Sekouba, j’aurais bien voulu partager le micro avec lui. Mais au dernier moment, j’ai hésité : utiliser son guitariste ou lui-même ? J’ai fini par choisir le guitariste.
Pour quelles raisons ?
J’ai pensé que ce serait plus charmant que ce soit chanté par quelqu’un comme moi qui ne parle pas malinké. Il y a ce côté exotique, original, insolite, qui peut plaire. Il fallait que je gagne ce défi. Il fallait que j’arrive à interpréter avec l’accent, faire le travail. Ça ma pris plus de douze mois pour travailler sur l’accentuation, prendre les mots justes pour ne pas choquer.
Avez-vous besoin de conditions spécifiques pour être concentré sur votre musique ?
J’ai tendance à écrire vraiment au pied du mur : quand je dois entrer en studio, je m’exile dans mon bois sacré et puis j’écris. Je pars au village, voir les vieux, les écouter, m’en inspirer. Quand on aborde des sujets proches de la tradition comme dans Mariage, Agogo Dance, Attie Oye, ou encore Pepe Soupe, il est très important pour nous les Africains de nous rapprocher des sages. Pour ne pas profaner ce qui est sacré.
RFI