L'absent le plus présent
En principe, il est le khalife désigné de la Tidjania sénégalaise à l'échelle des fils. Mais Serigne Cheikh Tidiane Sy assumera-t-il cette succession ? Là est le suspense après le décès de Serigne Mansour Sy.
Qui pour occuper la place laissée vacante par le khalife Serigne Mansour Sy, rappelé à Dieu, samedi aux environs de 23 heures ? Les informations qui nous reviennent laissent entendre que jusque tard dans la soirée, il n'avait pas fait signe de vie, alors que tout le monde est d'accord que c'est lui qui doit succéder à Serigne Mansour Sy, le système de transmission du pouvoir étant fondé sur l'âge, sur l'échelle des fils.
Natif de Saint-Louis, Serigne Cheikh Tidiane Sy est le troisième fils de Serigne Ababacar Sy, khalife des tidjanes de 1922 à 1957. Guide religieux atypique, érudit et d'une éloquence hors normes, il fait partie des fondateurs du Parti de la solidarité sénégalaise (PSS, opposition à Senghor), avec notamment Ibrahima Seydou Ndao. C'est fort de cette casquette qu'il est emprisonné en 1959, à la suite de la contestation de résultats électoraux jugés “tronqués” par le PSS et le Parti de l'indépendance et du travail (PAI).
Sa nomination comme ambassadeur au Caire dans les années 60, marque un début de réconciliation avec Senghor. Mais très vite, on le soupçonne de complot avec certains milieux islamistes. Serigne Cheikh, comme le nomment affectueusement ses fidèles, lance dans les 80 la Dahiratoul Moustarchidina Wal Moustarchidaty qui se signalera par son opposition frontale au régime socialiste, alors dirigé par Abdou Diouf. Le mouvement est surtout animé par son fils, Serigne Moustapha Sy, qui tire son charisme de son père. Le pic de la confrontation sera physique. Sous l’initiative de la Coordination des forces démocratiques (Cfd), le 16 février 1994, les Mouschtarchidines prennent la rue.
La marche à travers les grandes avenues de la capitale sénégalaise va dégénérer : sept personnes, dont six policiers, seront tuées à l'arme blanche, en plus des blessés du côté des manifestants. Plus de 150 membres du mouvement des Moustarchidines sont arrêtés ; de même que des membres des partis de l’opposition qui vont rejoindre leur leader en prison dont Serigne Moustapha Sy, arrêté le 30 octobre 93. Ces Moustarchidines et Moustarchidates seront incarcérés dans les prisons de Dakar et Rufisque où ils vont rester des mois avant de bénéficier d’un non-lieu.
L'arrivée de Me Wade au pouvoir ne marque pas la fin des hostilités. Si les Moustarchidines ne prennent plus la rue, ils alimentent, à travers des débats et conférences, l'adhésion à un courant réformiste de l'islam qui met en avant le travail et l'engagement. L'Université du ramadan organisée chaque année constitue le socle de cette idéologie.
Serigne Cheikh est depuis quelques années ''invisible''. Ses apparitions sont si rares que ses sorties sont très attendues. ''La méditation et la réflexion sont ses aliments'', confie un de ses proches. Cette discrétion légendaire est compensée par son fils qui ne rate pas les occasions de donner la position de son père sur les questions, même politiques.
De santé fragile, celui qui est adulé par ses proches, pourra-t-il assumer la charge qui lui est due ? Acceptera-il de l'assumer ? Saura-t-il unifier la famille divisée des Sy de Tivaouane ? Si personne ne conteste son leadership, lui seul décidera s'il prend le trône ou pas. Tout le suspense est là.
FATOU SY