Dianatoul Mahwa, entre tristesse et défi
Pour une première depuis 1994, début de la célébration du Magal de Touba par Cheikh Béthio Thioune, les disciples devront faire sans leur guide spirituel incarcéré depuis plusieurs mois. Mais à Dianatoul Mahwa, partagé entre tristesse et défi, s'échappe déjà la puissance d'action et d'organisation du mouvement thiantacoune.
Cheikh Béthio Thioune ne sera pas à Touba pour la 118e édition du Magal. A son QG de Dianatoul Mahwa, même le sable fin et rouge semble afficher sa tristesse. Tout comme ces fidèles qui vont et viennent tout le long de la muraille entourant sa demeure. En ce début de matinée, le vent souffle et la poussière s’élève, embrouillant ce fief incontestable et incontesté du Cheikh. En face de la bâtisse, de curieux badauds contemplent un gros cheptel parqué dans un enclos sans limites. De gracieux bœufs partagent l’endroit avec des chameaux qui surplombent les humains. Juste devant, une grosse tente est en train d’être érigée pour abriter la cérémonie officielle qui aura lieu demain, jour du Magal.
Le portail de la résidence franchi, des sacs d’oignon et de riz forment des dunes au fond du bâtiment. Talkies-walkies en main, les coordonnateurs sont à pied d’œuvre. Tenant par l’autre main des fiches, ils organisent la distribution du cheptel et des condiments dans les 45 localités cibles dénommées ‘’Santiane’’ et jouxtant la sainte ville. Le visage sérieux, c’est difficilement qu’ils cachent leur tristesse : ‘’Pour une première fois depuis 18 ans, nous allons célébrer l'événement sans le Cheikh qui, pour nous, est en mission spirituelle’’, disent-ils presque tous avec sérénité.
Pour son fils Serigne Saliou Thioune, Cheikh Béthio n’a jamais raté le grand Magal de Touba depuis 1946 alors qu’il n’avait que 7 ans. Sur les éventuels changements qui pourraient découler de l’absence de leur guide, les Thiantacounes répliquent ferme : ‘’rien ne va changer, au contraire nous souhaitons doubler le cheptel destiné aux pèlerins cette année’’. Un cheptel qui n’a cessé d’augmenter depuis 1994, date marquant le début de la célébration du Magal à Dianatoul Mahwa avec 25 bœufs. En 1995, le chiffre est fortement revu à la hausse avec 125 bœufs. En l’an 2000, le cap des 500 bœufs a été dépassé et en 2011, Cheikh Béthio avait mis 1000 bœufs au service des fidèles mourides, confie Youssou Mboup coordonnateur des ‘’Santiane’’.
Objectif du Magal 2012 : rapatrier 2000 bœufs à Touba
L’incarcération de leur guide semble les galvaniser. Les Thiantacounes souhaitent pérenniser à la face du monde l’œuvre de leur cheikh. C’est un défi qu'ils jurent de relever. Pour cette année, l'objectif est d'égorger 2000 bœufs, une pléthore de chameaux, d’ovins et de caprins. ‘’Nous atteindrons cet objectif conformément aux vœux du Cheikh qui, à lui seul, s’est déjà payé 1033 bœufs à Darah Djolof ‘’, renseigne le coordonnateur des ‘’Santianes’’. A cela, il faut ajouter les 57 bœufs achetés par le Daara Touba-Sacré-cœur. Au total, les 425 Daaras présents au Sénégal participeront à cet effort, nonobstant les efforts individuels appelés ‘’raids solitaires’’.
La diaspora ne sera pas en reste et, de l’avis du médecin et chef d’entreprise officiant à Bordeaux en France, Limamou Guèye, tout sera doublé cette année pour magnifier l’œuvre de Cheikh Béthio. Au total, confie le coordonnateur, chacun des 45 ‘’Santianes’’, recevra 5 bœufs, 300 miches de pains, 350 kg de couscous, 100 litres d’huile, 80 kg de petits poids, 70 kg de pâtes Macaroni, 9 sacs d’oignons etc. L’idée des ‘’Santianes’’ a été développée pour la première fois par le défunt khalife général, Serigne Saliou Mbacké ; une manière de venir en aide aux démunis vivant dans les localités environnantes de Touba. Aujourd’hui, Cheikh Béthio a matérialisé cette vision et va bien au-delà, en distribuant des victuailles le jour du Magal à l’intérieur et aux alentours de la grande mosquée de Touba. Il faut ajouter à cela la distribution d’une vache et des condiments qui vont avec à plus d’une centaine d’autorités religieuses de la sainte ville.
Les ‘’crocs en jambe’’ de l’État n’altèrent en rien leurs ardeurs
Le ministère de l’Environnement a souvent délivré des permis aux ‘’Thiantacounes‘’ pour le découpage du bois de chauffe lors de chaque Magal. Un privilège que le nouveau régime a levé avec une ‘’rétention’’ faite cette année sur les permis. ‘’Cela ne peut en rien altérer notre ambition à aller de l’avant’’, dit avec véhémence Idrissa Mbaye, tout de noir vêtu et assis devant son ordinateur portable. Cet auditeur de profession confie que les ‘’Thiantacounes’’ ont pour cette année acheté le chargement en bois de 80 camions à raison d’1 million de franc l’unité. Suffisant, pour que le médecin Thiantacoune Limamou Guèye soutienne : ‘’ Cette absence du Cheikh ne fait que pérenniser son œuvre. Je perçois dans son absence une manière de faire de nous des gens capables d’œuvrer avec ou sans sa présence physique’’.
Par rapport aux mariages et baptêmes que scellait le guide, le jour du Magal, les talibés diront que tous ses fils sont là de même que ses épouses et cela pourrait bien avoir lieu cette année. Limamou Guèye de poursuivre que le défi à relever par les talibés du Cheikh n’est plus d’ordre national mais plutôt international. Demain fera jour, le Magal battra son plein et les Thiantacounes feront face à leur destin... Paroles de talibés dans l'antre de Dianatoul Mahwa.
AMADOU NDIAYE (ENVOYÉ SPÉCIAL)
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