''Pourquoi Karim Wade doit être jugé''
Depuis une décennie, Malal Almamy Talla dit Fou malade s’est fait un nom dans le mouvement hip hop sénégalais avec un style sans langue de bois. Membre influent du mouvement Y'en a marre, il a reçu EnQuête dans les locaux de son bureau de président du centre de réinsertion Guédiawaye Hip hop. Cet espace à vocation culturelle et sociale est érigé dans le quartier Wakhinane-Nimzat au profit de la banlieue dakaroise.
Pourquoi le centre Guédiawaye Hip hop ?
Le G Hip Hop, entendez par là Guédiawaye Hip hop est un centre de réinsertion et de formation des jeunes aux métiers du Hip Hop. Ce site nous permet de soutenir ces nombreux jeunes artistes talentueux du rap qui quittent l’école très tôt. Il est important pour nous de les aider à mieux s’outiller pour pratiquer leur art.
De quelles formations bénéficient ces jeunes dans ce centre ?
Nous avons créé ce centre pour former ces jeunes à l’écriture, au graffiti, au break dance, au disc-jockeys, etc. Nous avons aussi des séances de projection de films qui sont toujours suivis de débats. Notre objectif est de faire de ce centre le socle des événements socio-économiques et culturels pour les populations de Guédiawaye. C’est un moyen pour nous de lutter contre l’enclavement culturel. Parce qu’il n’y a pas assez d’espaces pour abriter des manifestations. Nous étions le plus souvent obligés de nous retrouver au centre culturel Blaise Senghor et sur d’autres sites pour nos activités. En partenariat avec le groupe Eiffage, l’association des acteurs du Hip hop de Guédiawaye a contribué à la réalisation de ce centre.
Quels sont les différents volets du G Hip Hop ?
Nous avons un volet réinsertion. Parce que nous voulons que ce centre soit le pont entre la prison et le Hip hop. Depuis 2005, nous avons commencé à donner des formations aux jeunes dans le milieu carcéral. C’est ce qui nous a permis d’accueillir de nombreux jeunes qui, ayant fini de purger leur peine, continuent la formation aux métiers du Hip hop ici. Nous avons un volet de documentation avec des livres, des CD audio et des vidéos. Il y a un studio d’enregistrement, un restaurant et une salle informatique pour tout ce qui concerne la formation au multimédia et aux nouvelles technologies de l’information. Nous avons une administration qui fait fonctionner le centre. Le G Hip hop est un espace d’épanouissement et d’ouverture qui permet aux passionnés du hip hop de se retrouver, de se documenter et de se divertir, parce que nous organisons de grands concerts de hip hop. Il y a également une clinique juridique qui est composée de conseillers juridiques et de personnes repenties et reconverties qui étaient dans le milieu du banditisme pour sensibiliser les jeunes et lutter contre la délinquance juvénile.
Quelle est votre place dans ce dispositif ?
Je suis le Président de l’association Guédiawaye Hip hop et je vous reçois dans mon bureau. Il y a d’autres groupes de rap tels que Diwaan X, Bad ghetto, Mauvais Esprit, The Governor. Plusieurs rappeurs qui habitent Wakhinane Nimzat à Guédiawaye et la banlieue font partie de l’association G Hip hop.
Et si vous nous parlez de ''Résistants'', le nouvel album de Bat’haillons Blindés ?
C’est un album de seize titres qui, comme son nom l’indique, rend hommage aux illustres résistants africains que sont Thomas Sankara, Patrice Lumumba, Kwamé Nkrumah, Cheikh Anta Diop, Amilcar Cabral. C’est pour cette même raison que nous sommes habillés à l’image de certains d’entre eux sur la pochette de l’album. Nous voulons juste rappeler au monde entier qu’ils ne sont certes plus là, mais leur combat se perpétue à travers le mouvement hip hop dont nous faisons partie.
En effet, le visiteur est frappé par les portraits géants de certains résistants dont vous parlez. Pourquoi ?
Nous avons le portrait de Thomas Sankara que les politiques ont éliminé comme Sékou Touré. Nous avons Cheikh Anta Diop dont les Sénégalais auraient reconnu la valeur s’il n’était pas l’adversaire de Senghor. Alors, il est important de dire la vérité à la jeunesse. Parce que le jour où cette jeunesse découvrira seule la vérité, elle prendra ses initiatives. En fait, il faut impliquer les jeunes en les responsabilisant au lieu de leur promettre des emplois.
Le G Hip hop est-il prêt à accueillir des jeunes d’autres pays africains ?
Nous avons faits ces portraits exprès pour rappeler que ce sont ces gens-là qui nous inspirent dans notre combat quotidien. Quand vous voyez Cheikh Anta Diop, Amilcar Cabral, Kwamé Nkrumah, Thomas Sankara, Sékou Touré aux côtés de Nelson Mandela, cela est un message fort pour l’unité africaine.
Est-ce que cet album a été conçu par rapport à une situation précise ?
Cet album est un message de veille et d’alerte. Parce que nous avons vécu une période extrêmement tendue à la veille de la dernière élection présidentielle. L’album a été enregistré entre 2011 et 2012. Nous avons vécu durant une année une situation politique assez instable avec son lot de mouvements, de problèmes, de morts et d’emprisonnements comme l’illustre la journée du 23 juin. A travers le mouvement Y’en marre, le hip hop a joué un rôle essentiel pour défendre les intérêts du peuple sénégalais. Cet album parle du rappel des troupes, de Dëgëntaan, la philosophie du groupe. Nous évoquons dans ce même opus l’engagement personnel, la politique, l’argent et dénonçons le laxisme et le fatalisme du Sénégalais face au non respect des institutions. Nous avons également profité de cet album pour aborder la question des longues détentions préventives.
Justement quel message porte le titre ''Peenou guinar'' ?
''Peenou guinar'' est un duo que j’ai fait avec Fakhman, un membre du groupe Bat’haillons Blindés. A travers cette chanson, nous parlons des longues détentions préventives, des conditions de détention, de l’équité de la justice. Nous demandons à ce que Karim Wade soit jugé. Il doit purger sa peine. Maintenant, il y a des jeunes de la banlieue qui, une fois avoir échoué à l’école, sont récupérés par la rue. Et la plupart d’entre eux, ayant des problèmes avec la justice, se retrouvent avec des peines allant de quinze à vingt ans, etc. Je ne défends pas ces jeunes gens à partir du moment où ils sont cités dans des histoires de braquages, de crimes... Mais il faut que tout le monde soit au même pied d’égalité devant la justice. Donc à travers ''Peenou guinar'', nous disons qu’il faut que Karim Wade soit jugé comme ces jeunes de la banlieue qui sont oubliés en détention préventive depuis plus de dix ans.
Pourquoi Karim Wade ?
Parce qu’il s’agit de l’argent du contribuable sénégalais. C’est normal que les personnes en charge de la gestion des deniers publics rendent compte au peuple. C’est un signal fort à l’endroit de toutes les autorités sénégalaises et à toutes ces personnes qui aspirent à devenir Président, Ministre, Directeur général et à occuper de hautes fonctions. Il faut qu’on ait l’habitude de rendre compte. Parce que pour développer un pays, il est important de protéger les biens publics. Et si on ne prend pas l’habitude de protéger les biens publics, on se retrouvera toujours avec des problèmes dans l’éducation, une santé dégradée et des difficultés pour l’emploi des jeunes. Dans ces conditions, les jeunes qui ne travaillent pas seront obligés de commettre des forfaits pour survivre. L’emploi des jeunes est une demande importante. En tant qu’artistes et leaders d’opinions, nous sommes là pour surveiller le président de la République par rapport au programme pour lequel il a été élu. Autant on peut lui demander de baisser le coût de la vie avec les denrées de première nécessité et l’électricité qui coûtent cher, autant on doit lui demander de punir les voleurs. C’est vraiment important. On demande à ce que la justice fasse son travail.
On a l’impression que vous vous battez contre un système ?
En tant qu’artistes et leaders d’opinions, nous sommes là pour observer, veiller, alerter. Bien avant que des artistes prennent part à des mouvements citoyens comme Y’en a marre, les rappeurs ont toujours adopté le statut de sentinelles avec l’alerte comme message. Et les politiques ont toujours fait exprès de prêter une oreille sourde aux messages que nous véhiculons. Parce que le discours qui se trouve dans le rap n’arrange aucun système. Il faut s’en débarrasser. Ils préfèrent s’intéresser aux soirées de gala et aux combats de lutte qui ne véhiculent aucun message. Le rap est important parce que le peuple en a besoin. Autant on peut demander au peuple de faire ceci ou cela, autant ce peuple a aussi le droit d’exiger et de demander à l’État. Si je prends l’exemple de ce centre où nous sommes, ce sont des jeunes qui se sont battus, qui l’ont construit avec l’aide d’un partenaire.
N’avez-vous donc pas bénéficié du soutien de l’État ?
Non. On n’a bénéficié d’aucun soutien de la part de l’État.
Et les autorités municipales ?
Les autorités municipales de Guédiawaye nous ont permis d’occuper l’espace. Mais il nous appartenait en tant que jeunes de prouver que nous pouvons trouver des partenaires dans ce pays pour atteindre un objectif précis.
Quelle lecture faites-vous de l'action du Président Macky Sall, notamment quand il se met à distribuer de l’argent comme son prédécesseur ?
Aucun président de la République n’a le droit de distribuer de l’argent comme il veut alors qu’il y a des urgences comme le coût élevé de la vie, les coupures d’électricité qui préoccupent les populations. C’est vrai que le Président Macky Sall a eu le courage de mettre en prison le fils d’un ancien chef de l’État, ce qui est une première en Afrique ; mais il faut éviter les contradictions.
Par Almami CAMARA
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