Le rabatteur avait promis la liberté à un dealer moyennant 75 000 francs
Pour avoir promis la liberté à un dealer, moyennant la somme de 75 000 francs Cfa, un rabatteur au Palais de justice Lat Dior a été condamné hier à deux mois de prison ferme pour escroquerie.
La tête baissée, le visage enfoui dans ses mains, Moussa Sow s’est fait tout petit hier. La honte et la gêne se lisaient dans ses yeux embués de larmes. Assis face à la barre de la salle 5 où s'est tenue l’audience de la deuxième composition du tribunal régional statuant en matière de flagrants, il n’a pu affronter le regard des juges. Parce que l’homme sert souvent d’interprète aux prévenus Pulaar qui ne s’expriment pas en wolof ou français. Moussa Sow aide également les juges à transporter leurs dossiers et fait même la police d’audience.
Depuis jeudi dernier, ce bénévole est tombé de son piédestal pour une affaire d’escroquerie. Il avait promis la liberté à un prisonnier condamné à deux ans pour offre et cession de drogue. ‘’Il m’a joint au téléphone pour me dire qu’il a étudié le dossier de mon grand frère. Ensuite, il m’a réclamé la somme de 75 000 francs, en échange de la liberté de mon grand frère’’, a confié hier Mor Ngom. Selon lui, le rabatteur l'a fait courir pendant neuf mois, alors que son frère continue de purger sa peine, sans qu’il puisse bénéficier d’un jugement en appel. Il a fini par lui mettre la main dessus. ‘’Je lui ai tendu un piège pour pouvoir l’arrêter’’, a-t-il révélé. Le prévenu lui avait même fait signer une reconnaissance de dette. Dans ladite reconnaissance, Moussa Sow a poussé la partie civile à s’engager à lui verser la somme reliquataire de 25 000 francs.
''J’ai tout reversé à l’avocat’’
Entendu, Moussa Sow a reconnu avoir encaissé l’argent de la partie civile, pour trouver un avocat au plaignant. Il a allégué avoir remis l’acompte de 50 000 francs versé par Mor Ngom à un avocat. ‘’Sa seule erreur, a-t-il dit, c’est d’avoir encaissé l’argent. Mais, a-t-il ajouté, je n’en ai pris aucun rond, car j’ai tout reversé à l’avocat’’. Assez pour que l’un des assesseurs du président de l’audience parle d’un acte dangereux. Profitant de cette brèche, le président a demandé au prévenu qui l’a embauché au tribunal. ‘’Personne. J’étais chauffeur. Comme je ne travaille plus, depuis trois ans, je fréquente le tribunal et j’apporte mon aide pour la tenue des audiences’’, a confié Moussa Sow, avant de se confondre en excuses, tout en promettant de ne plus mettre les pieds au tribunal.
‘’Vous mettez tout le monde mal à l’aise, car tant soit peu, vous avez servi d’interprète à l’un d’entre nous ou tenu ses bagages’’, lui a lancéle substitut du procureur. Malgré cette reconnaissance exprimée à l’endroit du prévenu, le parquetier n’a pas hésité à requérir une peine ferme de trois mois. Aux yeux du juge Adama Ndiaye, c’est la seule façon de mettre fin à certaines pratiques. La défense a tiré sur la fibre sentimentale et demandé aux juges d’être cléments en faveur de leur ‘’collaborateur’’. Mes Sadio Diaw, Abdoulaye Seck et Abou Abdoul Daff ont sollicité une peine assortie du sursis, mais le prévenu a écopé de deux mois ferme. Le rabatteur n’a pas écopé de sanction pécuniaire, car il a désintéressé la partie civile à la barre, en lui remboursant la somme de 50 000 francs.
La faillite du système pointée du doigt
En plaidant pour leur client, les avocats de la défense ne se sont pas limités aux faits. Ils ont posé le problème des rabatteurs, avec en toile de fond les failles de l’administration au Palais de justice Lat Dior. ‘’Personnel d’appoint au service d’ordre’’, il arrive que ces individus se transforment en huissier audiencier pour alerter de l’arrivée du tribunal, sans compter qu’il leur arrive d’expulser des personnes qui commettent la maladresse de laisser leur téléphone sonner en salle d’audience. Cette proximité aidant, certains n’hésitent pas à franchir le Rubicon en s’octroyant le pouvoir des juges. Au regard de tous ces éléments, Me Abou Abdoul Daff n’a pas mis de gants pour fustiger un certain laxisme. ‘’Cette affaire pose certaines inquiétudes.
Si Moussa Sow comparait pour escroquerie, la question qu’il faut se poser c’est combien de Moussa Sow il y a dans cette salle, dans ce tribunal ?’’, a martelé le jeune Me Daff, avocat. Devant l’acquiescement de ses confrères, il a asséné : ‘’D’autres dans le même panier que lui tomberont.’’ Parce que, dira-t-il, ‘’cela veut dire que le système a failli’’. Poursuivant son argumentaire, la robe a considéré comme grave que des gens qui ne sont ni fonctionnaires, ni contractuels, ni bénévoles puissent ‘’manipuler’’ les dossiers des justiciables. ‘’
Nous condamnons avec la dernière énergie le comportement de Moussa Sow qui n’honore pas la justice, mais nous pensons que si le système fonctionnait comme il faut, il n’aurait pas accès à des dossiers’’, a conclu le conseil.
FATOU SY