Publié le 5 Jul 2013 - 07:53
La Chronique de Magum Kër

Le Profil d’Hissène Habré

 

Madame Fatima Habré, dans son entretien avec la Radiotélévision Wal-fadjri, a soutenu que c’est le profil d’Hissène Habré qui lui vaut ses déboires actuels. La pertinence de toutes ces charges déclinées par une juridiction dite «chambre africaine» de notre pays est pulvérisée par les actes majeurs posés par l’ancien président tchadien, depuis qu’il s’est engagé en politique dans la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) jusqu’à sa prise du pouvoir. Sa geste relève du combat global de la jeunesse africaine contre la domination étrangère, ce concept  recouvrant, en des périodes déterminées, la notion de colonialisme et de néocolonialisme, de nos jours diluée dans celle équivoque et visqueuse de «Françafrique». Le vécu d’Habré, né en 1936, embrasse ces trois étapes historiques et opère une rupture, à son retour de France, en rejoignant le Front national de libération du Tchad (Frolinat) en 1972, soit plus de six ans après sa fondation en 1966 par Ibrahima Abatcha et le Docteur Abba Seddick.

Après deux années d’affrontement armé entre les rebelles et les forces gouvernementales, le conflit tchadien dévoile son caractère néocolonial avec l’intervention militaire directe de la France en février 1968 pour soulager le régime Tombalbaye. L’armée française n’avait quitté le Tchad, indépendant en 1959, qu’en 1965 pour cause de maintien d’ordre au prix d’un bilan officiel d’une centaine de morts pour le seul mois de septembre 1963 quand commencent les révoltes populaires contre le régime de parti unique, le Parti populaire tchadien (PPT). Ces révoltes populaires sont fédérées par la création de l’organisation politico-militaire, le Frolinat. A la fin de l’intervention française en 1972, le bilan officiel est de 39 militaires français, 200 militaires tchadiens et 2000 rebelles tués, les pertes civiles s’élevant à 400 morts. Dans ce bilan ne figure pas Outel Bono, opposant non armé, tué à Paris par les services spéciaux franco-tchadiens en août, occasionnant des heurts qui font plus de 140 morts. 

Le haut fonctionnaire de l’administration territoriale Hissène Habré, qui rejoint les maquis du Frolinat après cette ère d’hécatombes, n’est ni le précurseur ni l’auteur, mais certainement le produit de la guerre civile tchadienne avec son lot inhérent de massacres, de boucheries et de fosses communes. Ce fut attesté par la chronique quotidienne universelle : l’encyclopédie des guerres irrégulières décèlera difficilement un chef de guerre plus résolu, plus tenace et plus accompli que ce jeune homme qui prend le commandement de la deuxième armée du Frolinat qu’il va réorganiser en Conseil de commandement des forces armées du Nord (CCFAN) avec des combattants de sa génération. Le désaccord entre lui et son commandant en second Goukouni Oueddei sur la question de l’hégémonisme libyen va scissionner les Forces armées du Nord et disloquer la coordination militaire du Frolinat en plusieurs tendances rivales dont les succès militaires sont remportés aussi bien contre le régime de Ndjamena que contre les anciens camarades.

C’est dans ce contexte trouble où les organisations de la gauche sénégalaise mégotaient leur soutien à la révolution tchadienne et surtout à Hissène Habré, parce que le président Senghor ne lui était pas opposé, que je l’ai rencontré lors d’un point de presse qu’il avait organisé et après lequel je lui avais demandé un entretien privé. L’objet de cette entrevue serait de disposer des documents politiques de son organisation. A l’époque, j’étais de la Ligue démocratique, dont la politique d’alliance était tatillonne et dont certains cadres m’avaient déclaré être plus confiants envers le Docteur Abba Seddik pour moi qui n’aimait pas les directions extérieures, «un planqué d’Alger ». Comme Hissène Habré s’était levé sans rien me dire, je le suivis, mais sa garde rapprochée, jusque là discrète, s’interposa. Je compris que je devais attendre. C’est là que je connus Michel Froud, un des membres du CCFAN qui m’apporta un jeu de documents dans une chemise : divers textes fondamentaux dont le programme du Frolinat adopté au Congrès de Nyala au Soudan et l’historique de la lutte révolutionnaire.

Ce fut mon contact. Je perdis sa trace, à l’intersection du Boulevard de la Gueule Tapée et de l’Avenue Blaise Diagne, au cœur de la nuit, devant l’étal d’un marchand de fruits, alors que je retournais à la Cité universitaire. C’était ma dernière année à l’Université de Dakar et je partais à l’étranger avec la conviction que le CCFAN est décidément chez lui dans notre pays. La perception que l’on a de l’Afrique change avec la distance et je suivais la guerre civile tchadienne avec la répulsion née de la logique que sa poursuite ne profiterait qu’aux intérêts étrangers, alors que les alliances se nouent et se dénouent entre groupes politico-militaires. Même l’Armée tchadienne remet en cause la suzeraineté française par un coup d’Etat. 

Face aux rites du Yondo auxquels Tombalbaye avait voulu initier de force les chrétiens du sud et à la sujétion à l’hégémonie libyenne de certaines franges arabisantes du Frolinat, Hissène Habré incarne la juste mesure et l’équilibre d’une république moderne. Il accède au poste de Premier ministre d’un gouvernement dit de réconciliation nationale sous la présidence du général Malloum. Un autre accord de paix aboutit la nomination de Goukouni à la présidence d’un Conseil d’Etat provisoire. Il s’appuie sur la Libye pour venir à bout de Habré qu’il avait démis. L’intervention libyenne occasionne plus de dix mille morts et promet la fusion des deux pays que rejettent une douzaine de pays africains. Galvanisées par cette réprobation unanime, les Forces armées du nord de Habré prennent contrôle des 2/3 du pays puis de la capitale en juin 1982. L’opération Manta de la France se heurte à une vive résistance de la Libye appuyée par des forces cubaines et des pays du pacte de Varsovie.

Les batailles les plus meurtrières sont ponctuées de tentatives de retrouvailles jusqu’à ce que  Habré,  après avoir repoussé les Libyens en 1987, attaque leur principale base Maten-Es-Sahara et leur inflige des pertes importantes, 1713 morts et des dommages matériels, 22 avions détruits. La riposte de Kadhafi, l’attaque de Ndjamena et d’Abéché par des bombardiers Tupolev 22, est un chant du cygne puisqu’il se déclare désormais neutre dans le conflit tchadien et renoue les relations diplomatiques avec le Tchad. Le président Habré, au fait de sa gloire, incarne le combattant suprême dont rêvent tous les peuples dominés et que toutes les jeunesses anti-impérialistes aspirèrent à incarner. C’est de cela dont parle sa dame en invoquant «son profil». Mais il n’y a pas de bonheur complet. La tentative de putsch en avril 1969 d’Hassan Jamouss, commandant en chef des Forces armées du Nord, annonçait son éviction par Idriss Déby. Sur les centaines de milliers de cette guerre civile, seules les victimes qui peuvent ester en justice auront la satisfaction de faire payer Hissène Habré, sur plusieurs dizaines de chefs de guerre. Pourquoi et pour qui ?     

 
 
 

 

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