Publié le 7 Aug 2013 - 23:20
TRANSPORT PUBLIC

 Le Ramadan houleux des receveurs de bus

 

Des querelles, des débats houleux, des disputes ou tout simplement des scènes de bagarres sont courants dans les moyens de transport public. Le phénomène est exacerbé durant le Ramadan où, la faim et la chaleur aidant, les nerfs s'échauffent vite. Certaines bagarres atterrissent à la police. EnQuête a essayé de comprendre pourquoi les uns et les autres font autant preuve d'intolérance.

 

 

Ils sont des milliers d'usagers de la route à transiter tous les jours par la gare routière Lat Dior, en cars ou en bus, pour se rendre à leurs lieux de travail, pour se rendre au centre-ville ou tout simplement pour rentrer chez eux.

14 heures. L'endroit est calme. Sont stationnés bus Tata, Dakar Dem Dikk, Ndiaga Ndiaye et Cars rapides. Chacun se protège comme il peut du soleil. Quelques clients se dépêchent de quitter les lieux avant le grand rush de 17h. Même les marchands ambulants cèdent à la torpeur ambiante et se prélassent sous les abris dressés pour les clients.

 

La monnaie, le nœud du problème

Près d'un bus Tata, Fatou Mboup fait ses ablutions. Elle est receveur sur la Ligne 34. Elle prend le temps de faire sa prière, avant de nous entretenir de son quotidien dans le bus. Elle se lève à 5 h du matin tous les jours et rentre du travail vers 21 heures ; ''parfois on quitte au-delà de cette heure''. Elle en a des anecdotes à raconter. Dans sa robe wax multicolore, un foulard sur la tête et un chapelet à la main, cette jeune célibataire au teint noir assure en voir de toutes les couleurs. À l'origine des conflits, ''un problème de monnaie'' et souvent ''de demande d’arrêt''. Les clients leur reprochent la cherté des billets. ''Je fais tout pour ne pas répondre à la provocation. Mais, il faut remarquer que les clients sont solidaires entre eux. Lorsque tu t’adresses à quelqu’un, les autres s’en mêlent'', souligne-t-elle. Navrée par l’attitude de certains clients, elle raconte une anecdote qu’elle a du mal à oublier. Le client avait acheté un ticket de 300 F Cfa. En cours de route, il a voulu changer de destination et descendre. ''Il m'a demandé de lui remettre 100 F Cfa, parce qu’il devait descendre. Je lui fais savoir que ça ne se passe pas comme ça''. Pour ne pas envenimer la situation, poursuit la dame, un autre client a proposé de lui donner les 100 F. ''Mais il a catégoriquement refusé et a continué à réclamer sa monnaie, alors qu’il n’en avait pas le droit''. Une cliente, raconte Fatou Mboup,  a fait la même chose. ''Elle a insulté ma mère. Je me suis bagarrée avec elle''.

La jeune dame ne comprend pas que les clients les minimisent, alors qu’ils s'échinent à gagner honnêtement leur vie. Fatou fait savoir qu’un vieux l’a insultée, parce qu’il refusait de payer un ticket à 250 F Cfa, après ne lui avoir remis que 200 F.

Elle estime plutôt que ce sont les clients qui sont malhonnêtes, en ''oubliant'' d'acheter le ticket, en gardant d'anciens tickets ou ne payant pas le bon ticket. En ce qui concerne le monnaie qui constitue la pomme de discorde entre usagers et receveurs, elle signale qu'elle leur revient si elle n'est pas rendue à un client. Par contre, si le contraire se produit, le receveur est obligé de payer.

 

‘’Manque de considération des clients vis-à-vis des receveurs’’

Cheikh Marone doit partir, car le chauffeur de son bus a mis le contact. Il fait également partie du personnel de la ligne 34. Il tient toutefois à donner son avis. Les clients, selon lui, ne font pas preuve de patience et de discipline. ''Certains clients te demandent de leur vendre un ticket, même s'ils trouvent que des usagers sont là avant eux. Ils font des histoires pour cela.'' Comme sa consœur Fatou, Cheikh indique que les clients ne connaissent pas la réglementation pour les arrêts de bus. ''Pour descendre là où bon leur semble, ils sont capables de t’insulter. Ils doivent savoir que nous sommes ensemble.'' La faim, dans tout cela ? Cheikh botte en touche et déclare que c'est le comportement habituel des clients. ''Je pense que c’est un manque de considération. Il suffit qu’ils te voient derrière le guichet assis sur un petit coussin, pour qu'ils se croient permis de tout dire'', argumente le receveur.

 

Sonnerie

 

Sira Dramé, assise dans un bus, accepte de partager son vécu quotidien. Elle est receveur de bus dans la ligne 34. ''Ce n’est pas seulement le ramadan, c'est tous les jours. Si les clients s'adressaient à nous de manière correcte, il n'y aurait pas de problème. Mais les Sénégalais en général n’ont pas la culture de respecter les transporteurs et c’est regrettable. Ils doivent nous considérer comme leur sœur ou épouse'', dit-elle avec amertume. En tant que mère de famille, Sira sait se faire respecter. ''Nous sommes de braves femmes. Car, nous nous réveillons à 4 heures du matin et nous savons que nous laissons une famille derrière nous. Une femme paresseuse qui aime la facilité ne peut pas faire notre boulot'', dit-elle. Elle a fait six ans dans le métier. ''On a tout vu. Des gens te font comprendre qu’ils ont des connaissances dans la police, pour un petit problème''. Les insultes indisposent Sira qui se targue d'être une pure Socé. ''Un vieux m’a insulté, un jour. J’allais faire une gaffe, n'eût été l'intervention d'un autre vieux'', raconte- t-elle.

 

Les receveurs femmes ne se laissent pas faire

Aïda Ndiaye vient de descendre du bus. Elle est stagiaire receveur. Jean bleu et body blanc, la jeune dame raconte la fois où elle a giflé une fille. ''La fille voulait descendre avant l'arrêt bus. Je lui ai dit d'attendre. Elle a insisté. Lorsque j’ai refusé, elle m’a insultée. Je suis sortie du guichet et je l’ai giflée. Après, elle a fui la bagarre, en déclarant qu’elle ne se bat pas dans la rue''. Par contre, Abdoulaye Dione a cessé de se disputer avec les clients. Même lorsque le client l’insulte, il ne réagit plus. Par le passé, à deux reprises, il s'est battu dans le bus, il ne compte plus recommencer.

Le constat dans tous les bus Tata et King Long est l'absence de sonnerie. Seule celle du receveur est fonctionnelle. ''Certains clients nous tapent sur les nerfs, en appuyant sans relâche sur les sonnettes''.

 

Le calme olympien des agents de Dakar Dem Dikk

 

Non loin se trouve le terminus de la ligne 11 de Dakar Dem Dikk. Chauffeurs et receveurs devisent tranquillement, en attendant leur tour de partir. Pape Dieng, l'un d'eux, a un avis tranché sur la question. Si les disputes sont nombreuses dans les moyens de transport, c'est à cause de la pauvreté ambiante. ''Quand les poches sont vides, chacun s’énerve facilement. Si tous les problèmes sont réglés, les gens n’auront pas le temps de se bagarrer'', déclare le receveur dans la quarantaine.

Abdou Karim, également receveur de Dakar Dem Dikk  affirme que les problèmes découlent en général des monnaies. ''Hier, j’ai eu un affrontement avec une femme qui m’a remis un billet de 500 F Cfa, alors que je n’avais pas la monnaie. Je lui ai demandé de descendre chercher la monnaie, elle a refusé. Cela m’a fait rire. Finalement quelqu’un lui a fait la monnaie dans le bus''. Les consignes stipulent que lorsque le client n’a pas la monnaie, il descend. Il considèrent que ces règles sont méconnues.

Du côté des clients, les avis sont partagés. El hadji Sall Tall, la soixantaine, estime qu'il revient aux clients de chercher la monnaie avant de monter dans un car. Habillé en ‘’Jellaba’’ blanc, le vieil homme en partance pour Keur Massar indique qu'il s'agit là d'un geste de bon citoyen. L'ancien soldat fonde sa conviction dans le fait que les receveurs de bus, contrairement aux apprentis des cars ''Ndiaga Ndiaye'', ne peuvent pas trouver la monnaie en cours de route. Un bon citoyen doit avoir du civisme. Il prend exemple sur les asiatiques qui ont une jeunesse disciplinée et qui font la queue pour remplir leur devoir de citoyen. A l’entendre, le respect doit être réciproque et débute chez soi.

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