Lettre à un jeune et/ou nouvel enseignant !
La formation terminée ou le choix à peine opté, te voila en route pour ton lieu de service ; je veux parler de ton premier poste d’affectation. En charrette, à pied, en pirogue ou en voiture, tu dois t’y rendre, affrontant la nature pour la première fois.
Cherche un matelas, paie une bonbonne de gaz, un poste radio, trois types de chaussures différentes, un petit matériel d’effets de toilette, un bon sac de voyage et rends–toi le plus vite possible avec ton ordre de service au lieu de travail.
Loin des quotidiens, procure-toi des hebdos, des mensuels et/ou même des journaux archives, car tu auras largement le temps et le calme pour lire. Une lampe torche est indispensable. Aie un comportement vestimentaire circonstanciel car au village, l’habillement est significatif voire édifiant.
Abandonne tes caprices, tes exigences, oublie le confort si confort existait pour te mettre en confiance dans une mission oh ! Combien noble ! Un devoir sublime. Une fois chez le chef de village, sois humble. Ne te laisse pas dévoiler très tôt. Sois le plus naturel possible, pas trop bavard ni trop publicitaire.
Que les personnes te découvrent elles mêmes et ne vas pas trop vite en besogne, laisse le temps au temps car chassé, le naturel revient au galop. Partage les choses emportées et montre ton altruisme. Ne sois pas trop radin. Sache que l’accueil et l’hospitalité valent mieux que les objets aux prix marqués.
A ton tuteur ou dans une vie de groupe, ne manifeste jamais publiquement tes préférences jusqu’à t’affliger devant un mets que tu n’apprécies pas. Sois sage, respectueux et humble car la vie en groupe demande beaucoup de concessions.
Ne néglige jamais les innombrables efforts que ne cessent de fournir les modestes familles pour ta cause. Sache que les petits cadeaux offerts après chaque retour de voyage sont très importants et très pédagogiques.
Tu verras des filles ou des jeunes femmes dans la maison de ton logeur, éloigne-toi d'elles. Sois franc, sincère et considère les comme tes propres sœurs quelles que soient les tentations. Calme–toi, maîtrise tes passions et fais très attention à la facilité. (…)
Quand une diablesse se présente à toi, te séduit ouvertement, éloigne–toi et surtout ne te vois pas en beau gars ou en gentleman. Méfie-toi. Celles qui accueillent ne sont pas généralement celles qui raccompagnent. La crème est ailleurs mais cher collègue, ne te laisse pas dominer par tes passions. Reviens sur terre. La vie est ailleurs car l’on ne vit pas que de désirs charnels.
Une fois plongée dans cette marée haute, tu risques de quitter le village la tête basse. Les enfants, les élèves aiment de leur maître parler de leur vie privée, de leurs douteuses relations. Écarte-toi, certains regards sont très lourds à supporter. Une fois dans ta classe pour les premiers contacts, ne te laisse pas dominer par les élèves.
Ils t’intimideront, te testeront, mais maîtrise leurs ardeurs et sois ce que tu es et ne triche pas. Sois branché sur l’actualité, c’est important. Si l’inspiration t’habite, confie les idées, les pensées, les réflexions dans un cahier à conserver jalousement. Revisite tes lectures ou à défaut, lis les œuvres saines et pour ta carrière et pour ta culture générale.
Les «blediens» ne sont pas tous les mêmes. Certains en veulent méchamment à tes prédécesseurs qui ont laissé de mauvais souvenirs et d’autres sont hostiles, tout simplement, aux enseignants. Limite tes fréquentations, filtre tes visites, écoute le silence et essaie de décoder le regard pesant des villageois. Garde tes intimités et éloigne-toi des leurs.
Ne sois pas trop facilement emporté par le chant des sirènes et méfie toi des loups. Joue avec l’innocence et la naïveté dans un esprit sain et serein. Au terrain d’entraînement, étudie le comportement de certains jeunes. Tu es chargé d’école, assume tes responsabilités. Ailleurs, respecte ton supérieur et ne vise pas sa propre vie. Fais ce qu’il te dit avec conscience.
Que vos rapports soient fondés sur le socle de la sincérité, de la franchise et surtout de la confiance. Il est toujours ton conseil même si tu le trouves mouillé jusqu’au nombril, ton collègue avec qui tu pourras collaborer étroitement avec responsabilité.
Dans l’ équipe pédagogique, il n'y a que tes collègues frères et sœurs, pour tout dire une famille de circonstance. Ne les méprise pas à première vue. Approche toi d'eux et ne rentre pas dans des querelles insignifiantes que tu ne maîtrises pas. Méfie-toi et si cela vaut la peine, vérifie les sources. Les discussions constructives et pédagogiques sont plus utiles que les pollutions sonores. Ne t’enferme pas dans des idées, en ermitage ou en Pacha. Ouvre toi à tes camarades mais avec, s’il le faut, des limites.
Médisance, mensonge, délation, espionnage, stigmatisation sont à éviter. Vivez en parfaite harmonie et alors l'âge ne sera ni handicap, ni facteur bloquant. Evitez les sept péchés capitaux que sont : l'avarice la colère, l'envie, la gourmandise, la luxure, la paresse et l’orgueil. Le village est juge. Accomplissez correctement votre mission et vivez pleinement votre foi...
Comme tout être est responsable devant le Seigneur, n’imite pas certains qui verront en toi un vrai patriote par péjoration si tu fais bien ton travail. Le non respect du quantum horaire est source de salaire mal acquis. Tu verras des anciens enseignants appelés des «dizards, quinzards ou vingtards» pour la simple raison qu’ils éprouvent du mal à joindre les intervalles du mois ; un grand paradoxe qui ne peut s’expliquer que par des salaires mal acquis.
Rappelle-toi souvent de Mariama Ba qui dit que là où le docteur tue une vie s’il se trompe, l’enseignant, lui, sacrifie toute une génération. À défaut d’un problème majeur ou d’un manque d’encadrement professionnel, ne demande jamais une affectation fantaisiste.
Cependant, une fois parti, ne sois pas ingrat et sache que le monde est petit et que seules les montagnes ne se rencontrent jamais. Arme-toi de patience car tu entres dans un métier noble mais hélas difficile. La mission est auguste, la fonction valorisante socialement. Sache que, enseignant, on ne l‘est pas, on le devient.
Bienvenue, mon désormais cher collègue et bonne année scolaire.
Amicalement
Ousmane Guèye, instituteur