Publié le 17 Apr 2014 - 08:10
DENSIFICATION DU RESEAU DES STATIONS-SERVICES

Dakar attise toutes les convoitises

 

Faire 0,3% du territoire national et abriter près de 70% des ventes de carburant du pays. C’est ce paradoxe que Dakar offre. De ce fait, les besoins en stations-services est largement supérieur à ce que l’assiette foncière peut permettre. Ce qui laisse la voie à une course sans répit, avec de nombreuses entorses aux lois et règlements. D’où le conflit grandissant entre la mairie de Dakar et les sociétés de distribution des hydrocarbures.

 

Dans cette boulimie foncière qui a pour finalité d’élargir le réseau terre de chaque compagnie, les moindres assiettes deviennent des cibles. Aujourd’hui, nos différents interlocuteurs sont unanimes pour dire que tout endroit à Dakar est presque stratégique, compte tenu de la population qui y est concentrée et du développement de la ville.

Cependant, la corniche, la Vdn, la route de l’aéroport et son prolongement jusqu’aux Almadies sont les lieux les plus prisés. Si avoir des stations à Dakar est aussi important, c’est parce que 70% du carburant est vendu dans la capitale, si l’on en croit le directeur de Maack Petrolium, Ameth Guissé, ancien de Shell et Elton. Il s’y ajoute qu’une station bien placée fait jusqu’à 150 millions de chiffre d’affaires par mois.

Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, Vivo Energy (Shell) est loin d’être la seule société à vouloir ériger une station sur la corniche, elle qui avait voulu avoir une station dans le quartier de Fann Résidence, dans cet espace située entre l’Université Cheikh Anta Diop, l’ambassade du Mali et la résidence du Cardinal.

Un interlocuteur ne veut pas citer de nom, mais il fait savoir qu’une autre société à tenté elle aussi d’y implanter une station, précisément à la sortie du tunnel, en face de la station Total. Elle aussi à été stoppée par le refus du maire de Dakar, Khalifa Sall. La corniche reste aujourd’hui très convoitée parce que n’abritant pas de station.

S’agissant de la voie de dégagement nord (Vdn), il y a déjà six stations-services entre l'entrée du pont de Fann et le Cices. N’empêche, avec la rumeur d’un possible prolongement de cette voie jusqu'à à Cambérène, Guédiawaye et Keur Massar, chacun veut renforcer sa position. Total est sans doute la compagnie qui est allée le plus loin dans ce domaine.

Car, elle a demandé à construire plusieurs stations-services sur l’espace vert, c’est-à-dire le terre-plein central de la Vdn. Toujours dans son souci de trouver un équilibre pour la ville, explique Abdou Diop, un conseiller du maire de la ville, Khalifa Sall a rejeté la demande, estimant qu’elle doit rester un axe de circulation rapide. M. Diop affirme que l’avenue Cheikh Ahmadou Bamba est aussi très convoitée. Il n’est pas démenti par le récent bail accordé à Total dans l'antre de la maison du Ps.

Sens de l’aller versus sens du retour

Pourtant, le secrétaire général des gérants de station Ibrahima Fall conteste cette vision. Il explique qu’une station est rentable si elle est dans le sens de l’aller pour le transport interurbain et dans le sens du retour pour le transport urbain. ''Ce sont les véhicules de transport en commun comme les minibus Tata, les 'cars rapides', les ‘Ndiaga ndiaye’ et les taxis qui sont les gros clients.

Les particuliers achètent généralement entre 3000 et 5000 F CFA. Or, la plupart des chauffeurs de transport en commun habitent la banlieue et font le plein en rentrant pour démarrer la journée sans arrêt'', révèle-t-il. Ce qui lui fait dire qu’une station bien placée à Pikine ou à Guédiawaye n’a rien à envier à une autre construite sur les endroits précédemment cités dans Dakar ville.

Quoi qu’il en soit, la vision des responsables des sociétés semble tout autre. Et dans  leur recherche effrénée de lieux d’implantation de stations-services, ils sont en perpétuel conflit avec la mairie de Dakar. En fait, dans une demande d’autorisation de construction, explique Abdou Diop, le dernier mot revient au maire de Dakar. Une station-service étant un établissement classé, sa demande est soumise à une procédure spéciale.

''Ça requiert une étude préalable de la Division de l’environnement et des établissements classés. Un certificat de conformité est exigé. On demande aussi au requérant de faire une étude d’impact environnemental par le biais d’un cabinet agréé par l’État ou bien une analyse, si le projet n’est pas d’envergure.

Puisque c’est un aménagement sur la voie publique, il faut également un avis technique de Ageroute pour voir si ça n’impacte pas sur la circulation. Il y a aussi la sécurité civile, pour les incendies et contre-incendies, un document attestant que le terrain appartient au requérant, un extrait de plan cadastral en plus des plans architecturaux. Tout cela adressé au maire de Dakar''.

La mairie, dernier rempart

Une précision est importante à ce niveau. Le ministère de l’Urbanisme instruit pour le compte du maire qui en est le commanditaire. Si d’aventure celui-ci refuse de délivrer une autorisation, il n’y a pas possibilité de construire, sauf si la justice donne un avis contraire. Or, justement, depuis l’avènement de Khalifa Sall qui cherche à imposer les conditions d’une ville moderne, il y a un contrôle plus serré.

Ainsi, de plus en plus, assure Abdou Diop, des demandes sont rejetées. Même s’il ne donne pas de chiffres ni de pourcentage des dossiers rejetés, il affirme que les demandes non approuvées sont devenues très importantes et ne cessent d'augmenter. Les raisons principales sont la pollution sonore et olfactive, mais aussi et surtout la sécurité des riverains et la fluidité de la circulation.

Cette multiplication des refus fait suite à une instruction du maire demandant à ses services techniques de ne pas soumettre à sa signature n’importe quel type de dossier. ''Un combat pour lequel il n’a pas l’appui de l’État'', précise-t-il. Cette absence de soutien de l’État se voit à travers les lieux d’implantation de certaines stations. Beaucoup de terrains qui, par le passé, étaient destinés à l’habitat se transforment du jour au lendemain en station, donc érigée dans un quartier résidentiel.

Ageroute liste les axes saturés

C’est parce qu’''l y a des gens qui font tout pour avoir des passe-droits afin de passer entre les mailles du filet'', constate impuissant M. Diop. Actuellement, fait savoir notre interlocuteur, la Division des services techniques dans laquelle il travaille est vue d’un mauvais œil, parce qu’il arrive qu’un dossier soit approuvé à tous les paliers qu’une demande doit suivre et se voit être bloqué à la municipalité. ''Généralement, c’est nous qui faisons la partie la plus difficile, c’est –à-dire les rejets. On nous fait porter le bonnet d’âne, mais on assume'', confie-t-il.

Présentement, le conseiller de Khalifa Sall est d’avis que la ville est saturée. Il estime même qu’on n’a pas besoin d’être un expert pour le constater. ''La ville de Dakar fait 78 km2 avec 1,5 million d’habitants et tout ce qu’il y a dans la zone industrielle, plus le port et les activités économiques. A-t-on le droit de croiser les bras pour ne rien faire ?'', se demande-t-il.

Et comme pour lui donner raison, l’Ageroute a sorti une directive pour déterminer les endroits sur lesquels il ne faut plus autoriser l’implantation d’une station-service. Il s’agit de l’autoroute, de Malick Sy à l’aéroport, l’avenue Cheikh Anta Diop, la corniche, la Vdn, l’ancienne route de Rufisque, etc.

Seulement, le collaborateur du maire est convaincu qu’avec cet acte III de la décentralisation qui dépouille la ville de certaines de ses prérogatives, leur combat peut être voué à l’échec si les compagnies doivent avoir comme interlocuteurs les communes d’arrondissement, plus éclatées, ayant besoin de plus de ressources et moins préparées sur certaines questions. 

BABACAR WILLANE

 
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