Publié le 26 Aug 2014 - 03:10
LE SENEGAL FERME LA FRONTIERE AVEC LA GUINEE CONAKRY

Mandat-Douane entre amertume et compréhension 

 

Situé à 56 km de Tambacounda, la ville de Mandat-Douane fait figure de zone frontalière avec la Guinée-Conakry. Les ressortissants de ce pays voisin qui transitent par cette localité sont mécontents de la décision prise par l’Etat du Sénégal de fermer ses frontières terrestres avec la République de Guinée-Conakry. Contrairement aux Sénégalais qui trouvent la mesure  salutaire. (Reportage)

 

Mandat-Douane, l’escale guinéenne en terre sénégalaise grouille de monde en cette matinée du vendredi 22 août. Transporteurs, usagers, vendeurs comme passagers prennent le temps de tâter le pouls de la localité. Cette ville carrefour vit au rythme de l’informel. Divers produits de la Gambie, de la Guinée Conakry, deux pays voisins, proposés aux éventuels acheteurs. De l’autre côté, des voitures de transport débarquent de nombreux passagers. Les cars, minicars et autres  ‘’7 places’’ se disputent la chaussée rendue très exiguë par leur présence. Les vendeurs rétrécissent également la chaussée. Les effluves des aliments mêlés à la fumée d’échappement de vieux véhicules vous coupent le souffle.

Ces véhicules enjolivent le décor et créent des bouchons. Les ‘’coxeurs’’ (rabatteurs) appellent à diverses destinations pour les clients qui débarquent. Tamba, Kolda, Dakar sont les destinations les plus sollicitées et démontrent à souhait le rôle de carrefour de Mandat-Douane, une ville qui ne cesse de s’agrandir.

A quelques mètres du carrefour, centre de gravité des activités de la ville, le ‘’ garage Conakry’’. Une juxtaposition de taxis-brousse, les fameux ‘’ 7 places ‘’, s’est vidé de son public. Que se passe-t-il ?, s’interrogent quelques passagers qui ne sont pas au courant de la nouvelle.

Une décision jugée nulle par les ressortissants guinéens

Depuis l’annonce de cette nouvelle mesure, les chauffeurs guinéens ne savent plus à quel saint se vouer. Pour eux, cette décision doit être revue afin de permettre aux uns et aux autres de pouvoir vaquer à leurs occupations. ‘’C’est ici notre lieu de travail. Même si la fermeture de la frontière est effective, nous n’avons pas le choix. Mais quand même nous trouvons que cette décision n’est pas une bonne chose. C’est avec le transport que nous parvenons à subvenir à nos besoins et à ceux de nos familles’’, se désole Mamadou Dian Ba, chauffeur de son état.

La mine triste, il se dit victime malgré lui du virus Ebola. Cette maladie qui fait des ravages dans le pays d’Alpha Condé oblige l’Etat du Sénégal à fermer la frontière. La situation irrite certains ressortissants guinéens. Visages renfrognés, l’air mécontent, ces ils ne savent plus où donner de la tête. ‘’ Cette mesure est dramatique pour nous. Parce que nous sommes entre frères. Et comme dit l’adage, on reconnait son frère quand on est dans des difficultés. Donc le Sénégal ne devrait pas fermer la frontière sous prétexte que le peuple de Guinée souffre du virus Ebola’’, se désolent-ils.

Pour Mamadou Diallo, commerçant, cette décision est ridicule et n’a pas de sens. Car, selon ses certitudes, si Dieu dit que le virus va se propager au Sénégal, rien ne pourra freiner cette volonté divine. ‘’ Cela peut se faire avec la porosité de la frontière ‘’, a-t-il ajouté. Son compatriote Binta Ba, commerçante, s’interroge sur le retour de ses enfants qui sont allés en Guinée pour des vacances. ‘’ Si cette décision continue jusqu’à l’ouverture des classes, comment mes enfants pourront-ils poursuivre leurs études ? Vraiment, depuis la tombée de la nouvelle, je ne parviens plus à dormir’’, explique-t- elle, le regard avenant, la mine triste.

La même amertume est aussi notée chez le jeune Alphadio Diallo. Pour ce dernier, la mesure n’est pas à saluer. Parce que, dit-il, de nombreuses familles sont cloués ici. ‘’ Elles ne peuvent pas partir en Guinée, elles sont obligées de trouver place chez leurs parents jusqu’à l’ouverture de la frontière, afin de pouvoir retrouver leur familles. Ce qui n’est pas normal ‘’, a-t-il dénoncé avec beaucoup d’amertume.

Une décision salutaire selon les Sénégalais

 Cependant, du côté des Sénégalais, la mesure de la fermeture des frontières est jugée salutaire. Ainsi, pour El Hadji Omar Seydi, qui a passé onze ans dans cette localité, la mesure prise par l’Etat du Sénégal est venue à son heure. ‘’Pour lutter contre la maladie Ebola, l’Etat doit obligatoirement fermer les frontières. Ce qui permettra d’éviter la propagation du virus’’. 

 Le département de Vélingara a une seule porte d’entrée officielle. Il s’agit de la route CEDEAO qui passe par Mandat-Douane, Médina Gounass, Kalifourou, Goulountou, Boundou Fourdou et Guinée Conakry. C’est la seule voie qui est goudronnée.

Moussa Ndiaye, un habitant de la cité, abonde dans le même sens. Pour lui, le Sénégal a tardé à prendre des mesures pour fermer la frontière. ‘’Les autorités étatiques ont bien fait de fermer cette frontière. Nous avons toujours peur quand on voit tous les jours les gens qui viennent de la Guinée. On se pose la question de savoir si parmi eux certains ne portent pas le virus Ebola, malgré les dispositions prises par les autorités sanitaires aux frontières. Donc si aujourd’hui, le Sénégal a décidé de fermer la frontière avec la  région de Kolda (frontalier avec quatre pays : Guinée Conakry, Guinée Bissau, Gambie et Mali) pour empêcher la propagation rapide de Ebola, cela nous réconforte’’, a-t-il martelé.

La porosité des frontières inquiète plus d’un

Même si certains applaudissent des deux mains à la fermeture de la frontière, d’autres, par contre, affichent leurs  inquiétudes de la porosité des frontières. C’est le cas de Babacar Demba Sy, enseignant, rencontré à travers les artères de la ville. Pour lui, il ne faut pas crier victoire. Car, même si l’Etat du Sénégal a fermé la frontière, il faut noter qu’il y a mille autres pistes de production à partir desquelles des populations peuvent venir au Sénégal ou aller en Guinée Conakry. ‘’Voilà des voies qui peuvent être des voies de transmission du virus Ebola. Parce que l’Etat ne pourra pas mettre des policiers sur chaque piste. Ce n’est pas possible. L’Etat n’a pas cet effectif là’’, a-t-il regretté.

L’autre fait marquant, c’est que la plupart des élèves et étudiants  sont allés en Guinée Conakry pour rendre visite à leurs parents et ‘’leur retour peut nous être fatal. Ces élèves et étudiants sont de potentiels porteurs du virus Ebola’’, s’inquiète Ibrahima Guissé, notable de la ville. ‘’Donc, pour éviter la contamination, il va falloir que l’Etat prenne des mesures à la frontière pour, dès la rentrée des classes, que ces gens là soient contrôlés minutieusement à la frontière’’, a-t-il conclu.

Mandat-Douanes, la ville frontière et carrefour, continue de croiser les doigts et prie pour que cette situation de torpeur dans laquelle elle se trouve, du fait de la fermeture de la frontière avec la Guinée, soit vite dépassée. Au grand bonheur de ses populations qui maudissent de toutes leurs forces le virus Ebola.

EMMANUEL BOUBA YANGA (KOLDA)

 

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