Publié le 30 Apr 2012 - 09:34
ZULU MBAYE – PEINTRE

''Ce FESMAN 3, un triste spectacle''

 

Vieux de la vieille, Zulu Mbaye a promené ses pinceaux à travers le monde sans jamais cesser d'incarner l'identité Sénégalaise. Réservé bien qu'ayant la réputation d'être d'un grand franc-parler, il jette un regard très critique sur la peinture sénégalaise et ses acteurs d'aujourd'hui. Mais l'artiste plasticien fonde beaucoup d'espoir dans la nomination de Youssou Ndour à la tête du ministère de la Culture.

 

On vous qualifie souvent de ''peintre atypique''. Dans quel courant classer votre peinture ?

 

(Il hésite) J’aurais du mal à répondre à cela. Je pourrais, mais ce serait comme entrer dans un carcan, ce que je répugne de faire. Qualifier l’art, c’est utiliser des mots tellement galvaudés qu’on en perd leurs significations, leurs limites. Où commence l’un et où s’arrête l’autre ? Je me méfie un peu de ces concepts. Tant qu’à faire, je m’estimerai à cheval entre l’abstrait et le figuratif…

 

 

Quel regard portez-vous sur la peinture sénégalaise, puisque vous êtes l’un des témoins de son évolution ?

 

Et bien nous en sommes à un état dérisoire. Je pense que depuis les années 60, cette nouvelle peinture, alors inconnue du monde, porteuse de tout notre sens pictural, est née et que des gens influents de l’époque ont su la booster, lui donnant cette dynamique qui lui a fait traverser tant de frontières. On peut dire, à présent, que l’art sénégalais (et africain) a su se faire sa niche en Occident, bien que sur le marché de l’art, ça reste à revoir pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons. La biennale et compagnie, bref, toutes ces plateforme qui devaient être des espaces de marché pour nos artistes sont quelque peu tombées à mi-chemin.

 

 

Pourquoi ?

 

Tout simplement pour des raisons personnelles, pour savoir sur qui ou sur quoi retomberaient le plus de prestige. Ceux qui sont au cœur de ces initiatives sont plus contentés de tirer la couverture chacun vers soi plutôt que de réaliser des choses concrètes et réelles.

 

 

Les artistes eux-mêmes sont-ils au cœur du problème ?

 

Dans un sens, oui. Puisqu’ils ne croient pas assez en eux-mêmes. La preuve, vous n’avez qu’à regarder les œuvres des peintres d’aujourd’hui, on y retrouve une sorte de mimétisme au lieu d’un foisonnement d’originalités. Tout cela parce qu’ils veulent vendre et produisent donc ce qu’ils pensent se vendre le mieux : c’est-à-dire un art tourné vers le loin, l’extérieur, au lieu d’être concentré sur le local et, par extension, sur eux-mêmes. C’est triste car cela fait perdre à la peinture sénégalaise tout ce qui la caractérisait, sa force et sa liberté. On brûle les étapes et passe par des raccourcis, tout cela pour arriver à une sorte ''d’art conceptuel'' qui, finalement, ne se rapporte à rien. Ce sont des idées et non des émotions qui sont véhiculé par ce nouvel art sénégalais, ce qui est regrettable.

 

 

On vous sait très actif dans le milieu des artistes plasticiens locaux. De part votre carrière et du fait que vous avez été président de l’association nationale des artistes de 1985 à 2009. Quels sont actuellement vos chantiers artistiques ou autres ?

 

Ils sont d’ordre social, avant tout, puisque - ne nous voilons pas la face - les artistes n’ont pas de statut dans ce pays. Le drame, c’est surtout que, sachant cela, nous-mêmes ne profitons pas des possibilités - quoique limitées - qui s’offrent à nous. Ne serait-ce que du point de vue des Tics. Par exemple, ici, pour parler des peintres au village des arts, nous sommes bien une cinquantaine de pensionnaires et nous n’avons pas de site [web]. De la visibilité ne serait pas de trop, pourtant. Mais rien à faire, c’est comme si, chez les plasticiens, la notion d’organisation était quasi-inexistante. On ne fait rien, c’est le statu quo et on se complaît dans la médiocrité alors qu’on est assis sur une véritable mine d’or. Ce ne sont pas les individualités qui vont faire bouger les choses, cependant.

 

 

Pensez-vous qu'une ligue des artistes peintres serait l'idéal pour la défense de leurs intérêts?

 

 

Précisément. Qu’on mettre en place une association digne de ce nom, pour commencer. Ça apportera un élan nouveau, un élan de changement. Je ne crois pas spécialement aux professeurs d’art, mais une association pourrait être un cadre où les jeunes peintre trouveront d’autres artistes plus expérimentés et capables de rediriger leurs prédispositions vers quelque chose d’authentique. Je le dis parce que j’ai l’intime conviction que les œuvres d’aujourd’hui sont complètement démarquées de ce qu’elles devraient être, et que cette situation a été encouragée par les gérants de la culture, plus preneurs de médiocrité et de conformisme que d’originalité en art.

 

 

A propos justement des ''gérants'' de la culture, qu’attendez-vous de Youssou Ndour, le nouveau ministre de tutelle ?

 

Énormément de choses, compte tenu de ce que sa nomination représente. Avant d’être ministre, Youssou Ndour est un acteur culturel. Les artistes se retrouvent tous un peu dans lui, moi sans exception. Qui voudrait d’un technocrate quand on peut avoir l’un des nôtres ? Le voir là où il est arrivé, je prends cela comme une perche tendue aux acteurs culturels. Il faut maintenant réfléchir à la meilleur manière, pour nous, de l’accompagner vers des résultats positifs pour le milieu. L’amour de la paperasse ou l’envie de se positionner n’auraient certainement pas suffit à lui faire accepter le poste. Je pense que ce qu’il veut, c’est proposer une vision pour l’art sénégalais et les démarches pour le booster. C’est à lui, maintenant, de devenir l’artiste qu’on attend qu’il soit… celui qui, de part son aura planétaire, arrivera à nous ''vendre'' à travers le monde. Voir Youssou Ndour élevé au rang de ministre est, au fond, une fierté pour ses paires. La balle est à présent dans son camp…

 

 

Concrètement, qu’est-ce qu’il faudrait faire pour changer les choses ?

 

Pas mal de choses. Déjà retravailler le fonds d’aide à la culture, qui existe en théorie mais dont aucun artiste au Sénégal ne peut se vanter d’avoir reçu un kopeck, donner des outils et du matériel digne de ce nom aux artistes aussi. Dans le cas du village des arts, pourquoi pas nous aider à organiser des expositions où les plasticiens entreront en contact avec un public susceptible d’acheter leurs œuvres à des prix décents ? Pourquoi ne pas, tant qu'à faire, recruter parmi eux ceux qui sont assez éprouvés pour faire office de consultants ? Il faut aussi arrêter de faire des bureaux du ministère [de la culture] un espace de ''Samba mbayane'' (louangeur). J’insiste sur cela parce qu’il faudra vraiment appréhender la gestion de l’art autrement, en commençant par renvoyer tout ceux qui sont là juste pour faire de la figuration ou parce qu’on les a pistonnés. L’art sénégalais n’a pas besoin de gens qui n’ont rien de créatif, parce qu’ils ne peuvent ni comprendre les acteurs, ni leur offrir l’innovation qu’ils demandent. Il y a vraiment eu, par le passé, un moment où les artistes avaient dépassé ceux qui les gèrent et on ne veut plus de cela. Il faut que ça bouge !

 

 

Vous voulez parler de la culture sous le régime Wade ?

 

(Rires) Parlons-en justement. Ce 3e FESMAN (Festival mondial des arts nègres), pour avoir assisté à celui de 66, je peux affirmer que ce fut un bien triste spectacle. Il ne faut pas, je le répète, se voiler la face, nous n’avons plus d’hommes de culture, d’artistes d’envergure dans ce pays. Quant aux intellectuels, que font-ils ? On parle d’une 4e édition mais avec un précédent pareil, il faut réellement se demander si c’est pertinent de continuer. Wade a eu quelques bonnes idées, il ne faut pas lui nier cela. Ses 7 merveilles en étaient une, mais il s’est trompé de pays et d’espace-temps. Le Sénégal n’avait pas les moyens de financer ces grandes infrastructures. Youssou Ndour pourra aider peut-être en s’impliquant dans ces projets pour attirer les bailleurs qui concrétiseront les rêves démesurés de Me Wade.

 

 

Vous avez à nouveau espoir dans le futur immédiat de l’art au Sénégal ?

 

Absolument. Pour la bonne et simple raison que c’est l’un de nous qui tient les rênes. Cette implication politique des artistes est une bonne chose, que ce soit Youssou Ndour ou, par exemple, les jeunes de Y’en a marre. Ils ont pleinement joué leur rôle d’artiste ; l’art est une attitude, un comportement. Ce sont leurs actions qui ont, parmi d’autres, montré au pouvoir sortant (et au monde) que les Sénégalais ne sont pas un peuple de fanfarons. Il faut que le changement vienne dans les trois mois prochains, que notre ministre s’affirme parce que c’est cette prise de conscience, ce sursaut, qu’on attend de voir étendu dans le domaine culturel. Pas le blabla politique !

 

SOPHIANE BENGELOUN

 

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