‘’La musique sénégalaise est morte…’’
Sous les feux de l’actualité grâce à la sortie d’un double album, Sidy Samb s’est entretenu avec EnQuête pour présenter son projet. Une production qui nous fait découvrir l’artiste sous un nouveau jour. En vrai panafricain, tel qu’il se réclame, le fils de Daro Mbaye fait voyager les mélomanes du Congo au Mali, en passant par le Sénégal et la Guinée.
Vous venez de sortir un nouvel album et vous vous apprêtez à en sortir un autre au courant de ce mois. Pouvez-vous nous parler de ces deux productions ?
Ce sont deux productions inédites. La première, je l’ai appelée ‘’sunu’’. C’est un voyage à travers l’Afrique que j’y effectue musicalement. Je suis retourné aux sources même du continent noir. Je propose des sonorités du Congo, du Mali, de la Guinée, du Sénégal à travers des rythmes du sud et du nord. Revisiter quelques musiques africaines est la base de cet album mis actuellement en vente. L’autre qui doit sortir, c’est du mbalax pur et dur et il est intitulé ‘’adaa yi’’. C’est un retour à ma tradition griotte sénégalaise. Les gens vont me découvrir avec cet opus dans un nouveau registre.
Qu’est ce qui explique tous ces changements dans vos compositions musicales ?
Cela s’explique par le fait que ma carrière est fondée sur des concepts. Chacun de mes albums est un projet musical. C’est ainsi que je travaille depuis le début de ma carrière. Ce projet là me tient à cœur. Je suis un Panafricain et je pense que tout ce que je fais doit avoir une touche africaine. C’est ce que je revendique d’ailleurs partout où j’ai pu me rendre. Je suis un Noir et un Sénégalais, c’est un drapeau que je porte et que je compte représenter dignement. Pour le deuxième album, je suis né dans une famille griotte. Chez nous, soit on est danseur, soit batteur de tam-tam, soit chanteur. La tradition griotte est dans mon sang. La revendiquer est mon droit.
Est-ce la rupture d’avec le flamenco ?
Vous savez, même quand mes albums étaient colorés flamenco, c’était quand même très varié. C’était parfois du flamenco celte, parfois fusion, etc. Alors changer les couleurs aujourd’hui ne signifie par une rupture avec ce genre musical. Ce que je fais là représente une étape de ma carrière. Un artiste se doit de diversifier son répertoire. On ne doit pas se cantonner à un seul genre. Je ne suis pas de ceux qui disent que tel est un mbalaxman, tel autre un rappeur, etc. Quand on se dit artiste on doit faire des recherches et explorer des horizons nouveaux pour enrichir sa musique. Comme je le dis souvent, je ne me considère pas comme un musicien sénégalais mais comme un Sénégalais qui fait de la musique. Cette philosophie me permet d’être plus ouvert. Je ne me fixe pas de limites. Je fais de la musique, c’est ce que je me dis.
Une partie du public sénégalais n’est pas très ouvert aux musiques africaines, est ce pour leur faire plaisir que vous avez, en partie, penser sortir un produit purement mbalax ?
Qui connait Sidy Samb sait qu’il est partagé entre deux mondes. J’ai un public au niveau international. Alors ce n’est pas parce que j’ai décidé de m’installer au Sénégal que je vais l’abandonner. Aussi, ces deux albums peuvent se vendre partout. C’est vrai qu’il est difficile de vendre la musique mbalax à l’étranger, mais il existe quand même un petit circuit exploitable. Et pour l’album ‘’sunu’’, les premiers retours sont rassurants. On retrouve beaucoup de sonorités dans cet album, et celles mandingues y sont dominantes. On a mélangé des instruments modernes comme la guitare basse, la batterie, la guitare électrique à des instruments traditionnels tels que le ‘’ngoni’’, le xalam, etc. Des instrumentistes étrangers ont été mis à contribution. Parce que pour la justesse de certaines notes, il me fallait cela. Et il y a de grands instrumentistes comme Mao Otayeck, l’Ivoirien Djibril Diabaté ou encore Numukunda Cissokho, qui ont participé à la conception de cet album.
Faire cet album a requis combien de temps et avez-vous vraiment été dans ces pays dont vous avez emprunté la musique ?
J’ai pris cinq années pour réaliser cet album. J’avoue que je n’y ai pas travaillé tous les jours pendant toute cette période. Mais je peux quand même dire que c’est le temps que cela m’a pris. Je suis aussi allé dans différents pays à la recherche de nouvelles sonorités. Et cela a été très enrichissant pour moi.
Vous sortez un double album à un moment où l’on dit que le marché du disque est en crise. Pensez-vous recouvrer ce que vous avez dépensé ?
En ce moment, la musique n’est pas un investissement gagnant ici au Sénégal. La musique est morte maintenant. Comme je le dis tout le temps, la musique est commerciale. Il n’y a plus de producteurs. Il n’y a plus de distributeurs. C’est l’artiste lui-même qui finance sa propre production, va vers le public pour la vendre et le convaincre d’acheter. C’est dommage que cela se passe ainsi.
Mais d’où tirez-vous alors les ressources pour la production, le montage d’un studio etc ?
Cet argent vient de la musique. Je suis un artiste international. Je me bats et j’y crois. Ce sont mes ventes à l’étranger qui me permettent de m’en sortir. Je me suis battu pour m’imposer et les gens me connaissent. C’est cela ma chance. J’ai aujourd’hui un studio je le dois à la musique. Tout ce que j’ai, c’est grâce à la musique. On a plus d’opportunités en Europe quand on est musicien. Les cachets sont plus élevés. Mais, après 20 ans passés là bas, je me suis dit qu’il fallait rentrer et faire partie de ceux qui bâtissent ce pays. Donc, j’aurais du être soutenu rien que pour ça. On est Sénégalais et fier de l’être. Quand on rentre pour investir dans son pays, on doit être soutenu.
Revenir au Sénégal n’a pas été bénéfique pour vous ?
Je suis aujourd’hui auprès de ma maman, ma famille, mes amis et rien ne vaut cela. Sur le plan professionnel, musicalement ce n’est pas bénéfique pour moi. En Europe, on a la possibilité d’échanger et d’enrichir sa musique. Je peux dire juste que m’installer au Sénégal m’a permis de conquérir un public sénégalais.
Où en êtes-vous avec l’organisation du festival afro-flamenco ?
C’est un projet qu’on avait initié avec plaisir et enthousiasme. On l’a arrêté actuellement. Cependant, on compte le relancer avec d’autres projets. Il est vrai que cela fait bientôt cinq ans que je m’étais un tout petit retiré de la scène musicale nationale pour me consacrer sur l’international. L’évolution du show-business ne me rassurait pas. Là j’ai envie de relancer les projets. Je pense à pas mal de choses qui pourraient faire revivre la musique. Au moment opportun j’en parlerai. Je veux d’abord rencontrer les autorités avant d’en faire étalage.
Votre mère, Adja Daro Mbaye a beaucoup participé au rayonnement de la culture au Sénégal. Pensez-vous qu’aujourd’hui l’Etat lui a rendu la monnaie de sa pièce ?
Que cela soit ma mère ou les autres cantatrices de Sorano, elles sont des bibliothèques. On ne doit pas attendre leur mort pour leur rendre hommage. Chaque année au moins on doit leur rendre hommage. Elles sont les gardiennes de la culture sénégalaise. Et pourtant, personne ne parle d’elles. Avec la Francophonie, on les a regroupées pour faire une chanson. Mais ce n’est pas cela qu’il faut faire. Il ne faut pas attendre qu’il y ait des rencontres de cette envergure pour se souvenir d’elles.
Quels sont vos projets immédiats mise à part la sortie de l’album ‘’aada yi’’ ?
On prépare des concerts. La présentation de l’album se fera à Louga, ma ville natale. Il y a d’ailleurs un titre en hommage à cette région et intitulée ‘’ndiambour’’. Il est prévu également une caravane pour présenter l’album. ‘’Aada yi’’ va sortir avant le magal de Touba ou après. On est en train de voir. Mais le projet qui me tient le plus à cœur est un projet humanitaire. L’artiste doit œuvrer dans le social et aider son prochain. On doit user de notre carnet d’adresses pour aider. J’ai toujours fait cela en douce, mais là on veut ratisser large et chercher des partenaires pour mieux soutenir nos compatriotes en difficulté.
BIGUE BOB