Publié le 26 Mar 2015 - 14:41
SOULEYMANE NDENE NDIAYE, ANCIEN PREMIER MINISTRE, MEMBRE DU BUREAU POLITIQUE DU PDS

‘’Le Congrès a été une mascarade…’’

 

Il est le dernier de la série des Premiers ministres du régime de Me Abdoulaye Wade. Membre du Bureau politique du Parti démocratique sénégalais (Pds), Souleymane Ndéné Ndiaye conteste le choix porté sur Karim Meïssa Wade, comme candidat à la présidentielle de 2017, à l’issue d’un congrès qu’il a boycotté. Il critique le mécanisme par lequel le détenu le plus célèbre du Sénégal a pu engranger 257 voix. Pour lui, c’est une ‘’mascarade’’. Souleymane Ndéné Ndiaye n’en estime pas moins que dans le dossier judiciaire qui vaut à Karim Wade une peine d’emprisonnement de 6 ans ferme et une amende de 138 milliards de francs Cfa, n’est pas solide. Souleymane Ndéné Ndiaye sur deux tons, assène ses vérités. Et évoque son avenir au Pds.

 

Karim Wade vient d’être condamné à une peine d’emprisonnement de 6 ans  ferme et à 138 milliards de francs Cfa d’amende. Quels  commentaires en faites-vous ?

Ce que je retiens au terme de ce procès, c’est qu’aucune preuve de la participation dans le capital de sociétés listées comme faisant partie du patrimoine de Karim Wade n’a été rapportée, durant tout le temps qu’a duré ce processus d’enquête, d’instruction et du procès en tant que tel. Aucune preuve ni pour Dubaï Port World Sénégal, ni pour la société Aviation Handling Services (AHS) ou des autres sociétés listées comme étant le patrimoine de Karim Meïssa Wade. Il n’a jamais été rapporté que Karim Wade est propriétaire des actions des sociétés dont la propriété lui a été imputée. On a présenté des gens comme des prête-noms sans être en mesure de le prouver.

Un autre point, s’agissant de la maison du Point E, Karim Wade a rappelé que dans le cadre d’un partage d’ascendant, le Président Abdoulaye Wade et sa femme Viviane Wade, avant de quitter ici-bas, ont décidé de répartir leurs biens immobiliers à leurs deux enfants. Et dans ce cadre-là, Karim Wade a été affectataire de la maison du Point E, Mme Sindiély Wade la maison qui se trouve en France. Au moment d’identifier les biens de M. Karim Meissa Wade, la maison du Point E a été ciblée. Et Me Abdoulaye Wade mis au courant avait pris soin d’éclairer la lanterne des juges de la CREI en rappelant ce partage qu’il avait fait avec sa femme pour répartir leurs biens.

Le juge n’a pas tenu compte de ces éléments-là. S’agissant des véhicules, M. Karim Wade avait clairement fait savoir aux juges que certains des véhicules dont la carte grise portait son nom étaient des véhicules de M. Abdoulaye Wade qui sont arrivés à Dakar au cours de la campagne électorale de 2012 et en ce moment-là, Me Wade étant absent de Dakar. C’est Karim Wade présent à Dakar qui a procédé aux formalités d’immatriculation. Et les véhicules ont été mis à son nom, comme du reste Me Wade nous avait demandé à nous tous, au cas où nous serions à Dakar pendant que les véhicules étaient là, de procéder aux formalités d’immatriculation. Donc, certains véhicules qui sont au nom de Karim Wade, sont en réalité des véhicules de Me Abdoulaye Wade. Pour les autres véhicules, Karim Meissa Wade avait clairement expliqué que des Chefs d’Etats étrangers lui en avaient fait don. Il s’agit, je crois bien, de la Porsche Cayenne et d’autres voitures. Le juge n’a pas tenu compte de tout cela.

Parlant de dons, il y a d’autres éléments du dossier sur lesquels le juge s’est fondé, comme ce compte de Monaco où on a trouvé de l’argent et que M. Karim Wade justifie comme un don de son père…

Pour Monaco, il ne s’agit pas de don. S’agissant du compte de Monaco, le Président Wade a expliqué dans quelles circonstances M. Karim Wade est intervenu dans le cadre de cette affaire de Monaco. Le Président Wade avait reçu du roi d’Arabie Saoudite un don en numéraires. Sachant qu’à la fin de son magistère, certains pouvaient être amenés à fouiller et à découvrir un compte bancaire au nom de Me Abdoulaye Wade où il y avait un solde créditeur de milliards, ces personnes pourraient peut-être salir la réputation de Me Wade et le traîner dans la boue.

Donc, au moment du don, il a demandé au conseiller financier du roi de se mettre en relation avec M. Karim Meissa Wade pour que ce dernier puisse s’occuper du transfert de l’argent. Ce qui a été fait. M. Karim Meissa Wade a pris l’argent et l’a mis dans un compte bancaire. Cet argent-là aussi a été ciblé comme faisant partie du patrimoine de M. Karim Meissa Wade. Il y a aussi les comptes bancaires de la CBEAO et de la SGBS. Là aussi, M. Karim Meissa Wade ainsi que les deux témoins, les deux Victor, Kantoussan et Tendeng, ont clairement expliqué que par moments, il est arrivé que le Président Wade leur demande d’aller verser de l’argent dans les comptes de M. Karim Wade parce qu’il est le fils aîné de Me Wade. Et c’était à lui de régler certaines questions d’intendance de Me Wade à la fois au cours de ces voyages, à Dakar et même au sein de leur famille restreinte et élargie. Donc, Karim Meissa Wade, sur chacun des points sur lesquels il a été mis en cause, a donné une réponse. Mais le plus extraordinaire, c’est justement ces sociétés-là où il n’y a aucune trace du nom de M. Karim Meissa Wade.

On insiste que c’est au niveau de l’aéroport de Dakar qu’il y a problème, surtout à AHS.

Il n’y a, en aucun moment, le nom de M. Karim Wade attaché ni à la vie ni au fonctionnement de cette société-là, encore moins à sa création. Karim Meissa ne détient aucune action dans la société AHS, même si Me Patricia Lake Diop au cours de son interrogatoire, en qualité de témoin, a dit qu’au moment de la création de cette société, c’est M. Karim Meissa Wade qui était intervenu. Mais son témoignage manque de sérieux dans la mesure où elle avait même oublié où M. Karim Meissa Wade l’avait convoquée pour engager cette procédure-là. Elle avait parlé de l’immeuble Tamaro alors qu’en 2002, l’immeuble Tamaro n’existait pas. S’agissant des autres sociétés notamment la société ABS, elle appartient à Bibo Bourgi et Alioune Samba Diassé que je connais très bien...

Mais tous ces gens-là qu’on cite dans le dossier n’avaient pas d’argent avant 2000. Le juge semble s’être fondé sur cela. Ils sont subitement devenus riches…

Si, si. M. Alioune Samba Diassé est un ancien de Bourgi transit qui a démarré avec un capital de 10 millions Cfa mais qui par la suite, compte tenu de l’essor de son entreprise, a augmenté le capital de sa société ABS. M. Alioune Samba Diassé et M. Karim Wade se sont vus pour la première fois à la gendarmerie. Alioune Samba Diassé connaissait Karim Wade de nom, comme tous les Sénégalais. Mais Karim n’avait jamais vu Alioune Samba Diassé. Donc, qu’on puisse dire que Karim est propriétaire de ABS, de AHS alors que dans le capital de ces sociétés-là son nom n’apparaît nulle part, c’est réinventer le droit des sociétés.

Mais M. Ndiaye, on a l’impression à vous entendre que Karim est blanc comme neige…

Je défendais quelqu’un qui était poursuivi pour des faits précis. Pour les faits pour lesquels Karim Meissa Wade a comparu devant la CREI, il est blanc comme neige. On ne peut pas retenir une infraction pour enrichissement illicite sur la base de ce qui a été présenté comme dossier et qui comportait 42 mille pages. C’est trop faible.

Cela veut dire qu’il peut être poursuivi pour d’autres faits ?

Je ne sais pas. Mais pour les faits d’enrichissement illicite pour lesquels il a comparu devant la CREI, je pense que la décision du juge n’est pas conforme à ce qu’elle aurait dû être.

Mais le problème qui se pose aussi, c’est qu’on est devant une impasse. Vous êtes son avocat mais vous êtes également un membre du Parti démocratique sénégalais. Là, la condamnation de Karim crée les conditions d’une impasse politique. Il est le candidat du Pds pour 2017, il a été investi lors d’un congrès extraordinaire où on ne vous a pas vu d’ailleurs. Autant d’interrogations…

(Le ton baisse d’un cran…). C’est vrai que Karim Meissa Wade a été choisi par le bureau politique comme candidat  du Pds. Je n’étais pas présent à cette réunion, mais cela ne crée pas pour autant une impasse. Car, je crois que si Me Wade a créé lui-même les conditions du choix de M. Karim Meissa Wade, c’est peut-être à des fins purement politiques. J’espère que la Cour suprême va casser l’arrêt de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) pour que nous puissions réfléchir plus sérieusement justement à celui qui va être le candidat de notre parti.

Vous pensez donc que la candidature de M. Karim Wade n’est pas un choix sérieux…

Je considère que le bureau politique qui s’est réunie la dernière fois a tenu une réunion peu sérieuse. Vous savez que les conditions dans lesquelles les gens qui sont venus représenter les fédérations ont été choisis ne sont pas des conditions démocratiques et sérieuses. Il n’y a pas de structures régulières depuis plusieurs années. Donc comment peut-on choisir des gens qui viennent comme cela comme un cheveu qui tombe dans une soupe et dire que nous représentons les délégations ? Ce n’est pas possible. Aucune fédération n’est structurée à l’heure où je vous parle.

Est-ce cela qui explique votre absence au congrès ?

Bien sûr ! Parce que moi, je ne peux participer à une mascarade.

Cela veut dire que c’est un boycott

Oui, si vous voulez. (Il insiste). Si vous voulez. Moi, je considère que les conditions ne sont pas réunies pour tenir  un bureau politique sérieux. Donc, je ne pouvais pas cautionner la tenue d’un bureau politique même si par ailleurs j’ai demandé à mes frères et sœurs de Guinguineo de venir. Je leur ai dit : ‘’Venez parce que si vous n’êtes pas là, vous ne pourrez pas savoir ce qui est décidé, donc venez !’’ Moi, je peux assumer mes positions. Mais je ne peux pas demander à d’autres personnes qui ne pensent pas comme moi de s’absenter.

Comment trouvez-vous le score engrangé, lors de ce congrès, par Karim Wade qui est quand même très important ? Il a 257 voix sur les 268…

Vous savez très bien que ce Congrès ne s’est pas tenu dans des conditions sérieuses. Comment les gens ont été choisis ? Vous vous rendez compte ? Ceux qui étaient présents et ceux qui étaient dans le Comité directeur, comment ont-ils été choisis ? Ils ont été choisis dans des conditions très obscures. On ne peut pas choisir les membres d’une direction d’un parti politique aussi sérieux, aussi représentatif que le Pds dans les conditions où ces personnes ont été choisies. Aucune légitimité, aucune représentativité. Si les gens sont choisis parce qu’ils savent hurler Karim Président, je pense quand même que nous avons fort à faire pour les prochaines élections.

Vous contestez la décision ?

Je ne conteste rien du tout. Je prends acte de ce qui s’est passé. Le moment venu, moi, je prendrai ma décision. Je ne conteste rien du tout.

Le moment venu, c’est quand ? Pouvez-vous être plus précis ?

Le moment venu… arrivera. Vous savez au moment où je vous parle, je suis plus occupé par le sort de mon frère Karim Wade que par une candidature à une élection présidentielle qui n’est pas encore venue. Le moment venu, moi je sais prendre mes responsabilités, j’en aviserai.

Vous n’avez pas l’impression que c’est l’affaire Karim qui vicie un peu l’atmosphère au sein de votre parti ?

C’est clair que depuis 2007, l’affaire Karim Wade envenime nos relations dans le parti. Evidemment nous, nous sommes solidaires de Karim pour ce qui lui arrive sur le plan judiciaire, mais sur le plan politique, nous n’apportons aucun soutien à M. Karim Meissa Wade. C’est même indécent que nous puissions parler d’autre chose que de cette affaire judiciaire de Karim Wade.

On a l’impression que Karim Wade est comme une épine dans vos pieds

Je n’ai pas cette impression-là. Moi, je peine à parler des deux affaires à la fois. Parce que autant j’ai de la compassion et je suis solidaire de M. Karim Wade s’agissant de la tracasserie dont il est objet, autant je ne suis pas du tout d’accord sur le procédé visé par Me Abdoulaye Wade pour amener certains responsables et militants à choisir Karim Wade comme candidat du parti. Je pense que nous avons mieux à faire que ce cinéma-là.

Mais certains entrevoient l’hypothèse de retrouvailles de votre famille dite libérale de tous les partis issus du Pds, y compris l’Apr. Vous pensez que cela est possible ?

On ne peut pas fusionner avec le parti du président de la République. Cela est impossible. Le président de la République est au pouvoir, nous, nous sommes dans l’opposition. Moi Souleymane Ndéné Ndiaye, je me dis, par réalisme, qu’il n’est pas possible que nous retrouvions le parti du président de la République. Pour faire quoi ? Pour rentrer dans le gouvernement ? Il faut que nous soyons sérieux ! On n’a pas participé à l’élection de Macky Sall à la tête du Sénégal. Nous ne pouvons pas comme ça par un coup de baguette magique inventer des retrouvailles de la famille libérale pour pouvoir faire de l’entrisme. Ce serait comme l’entrisme du temps d’Abdou Diouf. Nous sommes dans l’opposition et nous devons rester dans l’opposition.

Vous, vous restez dans l’opposition et vous postulez à la magistrature suprême ?

Si Dieu me prête vie, je serai candidat en 2017 Incha Allah. Il n’y a que Dieu qui puisse m’empêcher de me présenter à l’élection présidentielle de 2017.

Là, on a l’impression que M. Souleymane Ndéné Ndiaye a un pied au Pds et un pied dehors

Non, j’ai les deux pieds au Pds. Jusqu’au moment où je vous parle je suis au Pds. Maintenant si les conditions ne sont pas réunies pour que je reste au Pds, je sortirai du Pds. Il n’y a pas de problème.

C’est une hypothèse qui est sérieusement envisagée ?

Ah oui ! Toutes les hypothèses sont envisageables. Moi, mon parti c’est le Pds, mais si les conditions de mon exclusion ou de mon départ du Pds sont réunies, je n’hésiterai pas.

Quelle est l’ambiance générale au sein de votre parti. Y a-t-il des responsables libéraux qui pensent comme vous ?

Je pense par ma tête et je parle pour moi-même. Je ne peux parler pour le compte d’une personne.

Comment voyez-vous l’avenir pour vous et le Pds ?

L’avenir, c’est l’avenir. Il appartient à Dieu. Ce qui se passera demain, Dieu Seul le Sait. Je prie pour que mon avenir soit radieux, que Dieu me prête vie et une excellente santé pour que je puisse, avec le soutien de tous ceux qui partagent mon idéal, atteindre les objectifs que je me suis fixés. C’est de travailler pour mon pays, continuer à travailler pour mon pays, toujours travailler pour mon pays. 

 

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