Un chemin parsemé d’embûches
Atteindre l’autosuffisance en riz, en 2017, n’est plus un slogan, mais bien l’expression d’une grande détermination. Mais, entre les défis de la production, de la commercialisation, la lutte contre la pression aviaire, la maîtrise de l’eau…. Que de chemin à parcourir !
Les producteurs de Diawar, localité rizicole située dans la commune de Ross Béthio, capitale du riz, sont aux anges. Ici, la production de la contre-saison sèche a été satisfaisante et toute la production a trouvé des acquéreurs. Le même constat a été fait par le Directeur général de la SAED. ‘’Il n’existe plus aucun stock de riz dans les magasins’’, selon Samba Kanté. ‘’Nous saluons les efforts de l’Etat dans la politique de commercialisation du riz. On se frotte les mains’’, souligne de son côté Ibrahima Diop de l’Union de Diawar.
A Ross Béthio, Richard Toll et Dagana, les conditions sont presque réunies pour atteindre l’autosuffisance en riz en 2017. Un objectif majeur que s’est fixé le gouvernement du Sénégal. Tous les jours, des actes concrets sont posés pour relever ce défi.
Lors d’un comité présidentiel sur le riz, il a été établi un protocole d’accord entre les producteurs, les riziers et les commerçants. L’Etat avait pris des mesures, en limitant les importations de riz à hauteur de 500 000 tonnes. Le reste de la demande devant être satisfaite par la production locale. Ces dispositions pertinentes ont permis d’enregistrer d’importants rendements. Les résultats obtenus montrent que plus de 36 000 ha ont été emblavées, durant la session sèche chaude 2015, pour une production attendue de plus de 250 000 tonnes de paddy contre 30 888 ha et 222 905 tonnes de paddy, lors de la campagne précédente. Soit un accroissement de plus de 27 000 tonnes de paddy. Pour ce paddy, le kilogramme est fixé à 125 francs Cfa.
Selon Samba Kanté, ‘’le riz de la vallée est maintenant très demandé sur les marchés urbains, notamment celui de Dakar. Les campagnes de marketing combinées à l’amélioration de la qualité sont en train de porter leurs fruits’’, se réjouit-il, avant de réaffirmer l’engagement de la SAED à travailler en parfaite collaboration avec les différentes parties prenantes, en vue d’atteindre l’autosuffisance en riz en 2017.
Toutefois, de nombreux défis restent à être relevés. Le plus grand, d’après le DG de la SAED, est celui de la production. Pour la mécanisation agricole, la problématique a été bien prise en charge, indique-t-il.
La production et la pression aviaire, des défis majeurs
Après la bonne campagne de saison sèche chaude, les producteurs sont attendus pour faire aussi bien avec l’hivernage. Le défi est là. ‘’Nous pouvons vendre bien avant la récolte’’, se targue Moussa Dièye, producteur de Mboundoum. Mais il est d’avis que le défi de la production est désormais la question majeure. A cela s’ajoute la présence des oiseaux granivores. Ils sont présents dans certains casiers du bas et du moyen Delta. A Diama et d’autres localités avoisinantes de Ross Béthio, les agriculteurs ne cachent pas leur anxiété face à la pression aviaire. La DPV, très présente dans la zone, multiplie les systèmes de lutte et surtout de saupoudrage.
Mais les producteurs trouvés à Ross Béthio soutiennent sans ambages ‘’qu’il serait mieux d’utiliser les avions de la Compagnie Sucrière Sénégalaise ou de la SOCAS pour survoler les surfaces emblavées et trouver les oiseaux dans leurs niches pour les mettre hors d’état de nuire, cela en collaboration avec l’Etat mauritanien’’.
En outre, ils demandent à l’Etat de continuer, voire de multiplier la construction de magasins de stockage dans les Unions, ceci en collaboration avec des partenaires financiers comme la JICA (coopération japonaise). L’Etat devra aussi augmenter les aménagements, surtout dans le Podor et le Bakel, comme le souhaite le Président de l'union de Boundoum, Ndiawar Diop. ‘’L’aménagement des terres de l’Île à Morphil est une urgence, si l’on veut atteindre cette autosuffisance’’, estime-t-il. Dans ces zones, il n'y a presque pas de contre-saison. Pourtant, les terres sont très irrigables en hivernage. ’’Podor, qui a les 50% du potentiel exploitable dans la vallée, n’a jamais dépassé 8 000 ha emblavés. Des efforts doivent être faits dans ce sens pour accélérer la production, en vue d’atteindre l'autosuffisance’’, ajoute-t-il.
Les autres défis sont liés au renforcement du niveau d’équipement en moissonneuses-batteuses, batteuses, tracteurs et GMP ; la création des conditions d’une plus grande effectivité de la double culture et la poursuite de la réalisation de nouveaux périmètres irrigués, pour augmenter les superficies à mettre en valeur, citent les producteurs. Pour garantir la contribution effective de la vallée à la réalisation de l’autosuffisance en riz en 2017, les producteurs veulent aussi le renforcement du partenariat entre producteurs, transformateurs et les commerçants ainsi qu’avec les institutions de crédit pour régler de manière définitive les questions liées au financement et à la commercialisation.
Le foncier freine les potentiels investisseurs
Le foncier est aussi une question centrale à régler. Si au niveau national des efforts se font avec la commission nationale de réforme foncière, la question est souvent posée en termes de sécurisation pour les investisseurs privés et de préservation du patrimoine foncier des communautés locales. ‘’Dans la vallée, les autorités concernées ont anticipé. Depuis très longtemps et en partenariat avec les collectivités locales et les diverses catégories d’utilisateurs de la terre, elles ont travaillé à instaurer, tant bien que mal, une gouvernance foncière qui favorise une exploitation optimale des potentialités dont regorge cette importante zone agro-écologique de notre pays », renseigne le DG de la SAED.
Pour les producteurs de la vallée, il faut mettre l’accent sur la concertation avec tous les acteurs et la quête permanente du consensus. En plus, avec l’appui financier de l’AFD, la SAED a expérimenté un modèle de partenariat public-privé au niveau du delta qui, à très court terme, va permettre à plus d’une centaine d’exploitants privés rizicoles d’accéder à un foncier sécurisé, avec des conditions optimales d’exploitation de parcelles de taille variant entre 5 et 100 hectares.
A l’en croire, le développement de l’agriculture ne se fera que dans la diversité des systèmes d’exploitation. Par contre, ‘’en ce qui concerne spécifiquement l’autosuffisance en riz, l’accent devra être mis, tout en valorisant la contribution non négligeable des exploitations familiales, sur la promotion d’exploitations de plus grande envergure’’, dit-il.
La transformation, le maillon faible de la chaîne
Tous les acteurs sont d’avis que la transformation est un segment important de la chaîne de valeurs riz. Et une étape clé dans la mise en marché. A Mboundoum comme à Richard-Toll, la productrice Korka Diallo soutient sans faille que ‘’le riz transformé doit être de bonne qualité’’. Par contre, force est de reconnaître qu’aujourd’hui, seule une vingtaine de rizeries dispose d’un plateau technique apte à la production d’un riz de qualité. Par conséquent, ‘’la priorité dans ce segment consistera à renforcer le plateau des rizeries et des mini-rizeries qui ne sont pas aux normes et aider à l’installation de nouvelles unités industrielles pour augmenter la capacité de transformation, au vu de l’important potentiel de production de riz paddy », soutient la SAED.
A titre illustratif, la capacité annuelle de transformation des rizeries agréées pour la production d’un riz de qualité est estimée à environ 130 000 tonnes sur une production moyenne de plus de 430 000 tonnes.
Régler la question du financement
Le Sénégal veut parvenir à l’autosuffisance en riz, en 2017. Deux ans seulement séparent de cette date butoir. Le président de l'union de Boundoum, Ndiawar Diop, de souligner que tous les efforts risquent d’être vains, si au final, il n’y a pas un marché régulier pour absorber la production. Ce qui booste la production, c’est bien la commercialisation du produit et si la demande détermine l’offre, les producteurs pourraient être plus regardants sur la qualité du produit. Cependant, le Président de la Fédération des périmètres autogérés (FPA) renseigne que le rythme actuel de la disponibilité du matériel ne favorise pas l'atteinte de cet objectif.
Même si la double culture est pratiquée, force est de constater que, faute de matériels, la production en période d’hivernage est loin d’atteindre les pics escomptés. Prenant l’exemple de l'union de Boundoum qu’il dirige et qui connaît une maîtrise de l’eau, il révèle que 3300 ha sont emblavés en contre-saison et seulement à 2 800 ha lors de l’hivernage, avec une production annuelle de 39 000 tonnes en 2014 (objectif de 50 000 tonnes en 2017), soit 7 tonnes et des pointes de 10 tonnes à l'hectare en contre saison. ‘’Pour l'hivernage, le délai est assez court. Il faut beaucoup de machines pour le labour et la récolte, afin de disposer du temps pour préparer et entamer l’hivernage dans les délais», dit-il.
Ndiawar Diop plaide en même temps pour la disponibilité de variétés tolérantes au sel et au froid. Ce qui, à son avis, contribuerait à l’augmentation des surfaces emblavées. Même s’il juge l’ambition de l’atteinte de l’autosuffisance en riz très réalisable, Alioune Guèye, producteur à Thilène (dans le département de Dagana, à 5 km de la commune de Ross Béthio) est un peu dubitatif quant au respect du délai fixé. Les chances d'y arriver sont, selon lui, amoindries par certains obstacles qu’il faut lever dans les meilleurs délais. Des contraintes qui font que le Programme national d’autosuffisance en riz (Pnar) ne couvre que le 1/3 des besoins du Sénégal. Il faut aussi prendre en compte les difficultés d’ordre financier. « Les financements octroyés sont encore en deçà des besoins. Le retard constaté sur la disponibilité de ces enveloppes ne favorise pas le respect du calendrier cultural », affirme-t-il. Le producteur de reconnaître aussi que la Cncas ne peut se permettre de financer un crédit sans remboursement du crédit antérieur. ‘’Il reste toujours avéré que certains producteurs ne suivent pas la dynamique », reconnaît Alioune Guèye. Selon lui, les mécanismes de financement doivent être repensés.
Du riz paddy exporté frauduleusement vers la Mauritanie Des producteurs de la vallée acheminent le riz paddy vers la Mauritanie de façon frauduleuse, selon le DG de la SAED. Une grande quantité de riz aurait traversé le fleuve. ‘’C’est une fraude et les acteurs sont avertis’’, déclare Samba Kanté. Déjà les autorités administratives de la région de Saint-Louis et Matam ont pris les mesures nécessaires pour contrecarrer de tels agissements. Pour la saison 2013-2014, la Caisse nationale de crédit agricole du Sénégal (CNCAS) avait injecté 2 milliards 200 millions de F Cfa. Pour 2014-2015, cette somme a plus que doublé pour atteindre 4 milliards 700 millions. L’information est du patron de la zone Nord de cette banque qui finance l’essentiel des activités des producteurs. Et, il ne manque pas de souligner le retard du remboursement des dettes des producteurs pour le financement de 2014-2015. Le taux de remboursement qui est de 73% est encore faible et préoccupant. Une situation dénoncée aussi par le Président du Comité Interprofessionnel du Riz (CIRIZ) qui a invité tous les acteurs à honorer leurs engagements. |
FARA SYLLA (SAINT-LOUIS)