Publié le 4 Nov 2015 - 08:03
LIBRE PAROLE

Sankharé, humilié jusqu’à la tombe ? 

 

Certes, il n’est pire chose que de parler de ce que l’on ne sait pas, les intellectuels le savent bien. Et pis encore, de parler de quelqu’un qu’on ne connaît pas assez. Oumar Sankharé, je ne le connaissais pas. Si « co-nnaître » veut dire réellement « naître avec la chose », qui peut se targuer de connaître véritablement son semblable jusqu’à proférer des témoignages sur sa personne ?

Tout au moins, il faut dire que c’était pour moi un Professeur, mais aussi un ami. Aussi, tout délicat qu’il soit de parler de quelqu’un après sa mort, il n’en demeure pas moins qu’il y a toujours un mot à placer pour un ami, mais aussi pour un Professeur qui vous a tant donné ; un mot, mais un mot juste, et cela, par devoir moral.

Le Professeur : Oumar Sankharé, de par son cursus et ses distinctions, doit figurer aujourd’hui parmi les personnalités intellectuelles dont l’Afrique se glorifie. Professeur titulaire des universités, agrégé de lettres classiques en 1983 et de grammaire en 1991, qui a fait mieux dans l’histoire de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines depuis la création de cette université ? Il faut reconnaître aujourd’hui que c’est l’un des derniers « gardiens du temple » de la grammaire normative qui tire sa révérence. Enseignant, écrivain et critique littéraire, il a tout donné pour le savoir et pour la quête de la vérité. Il n’était pas seulement un universitaire émérite, il était simplement né tel.

Après quarante années passées au service de l’enseignement supérieur, sans jamais opter pour l’émigration quand il le pouvait, ni pour la politique quand il la savait juteuse, le professeur voulut rester un grand patriote, ces hommes amoureux de leur patrie mais libres de pensée et d’action. C'est dire qu’il était fait de cette étoffe rare qui manque aujourd’hui à nombre d’intellectuels africains. Ses prises de positions franches, mais surtout libres, lui ont valu une vendetta poussée jusqu’à sa mort.

En effet, il faut être courageux pour défendre, parce qu’on le pense, que le procès d’Hussein Habré est une procuration de la France, et de convoquer l’histoire pour montrer que « tous les sales boulots de la France sont exécutés au Sénégal ». Il fut d’ailleurs écarté des activités de la Francophonie au sommet de Dakar alors qu’il faisait partie des plus fervents défenseurs de l’OIF avec Senghor puis avec Diouf. Ses positions contre Sarkozy sur l’assassinat du guide libyen Kadhafi, sur l’emprisonnement de Laurent Gbagbo et sur tant d’autres questions, aussi libre qu’elles fussent, lui ont coûté une étiquette péjorative que vient assombrir la publication d’un livre voulant démontrer l’influence de la culture grecque sur celle de l’Islam. Sur ce dernier point, même après des excuses publiques à l’endroit de ceux que son ouvrage avait blessés, des critiques et des fatwas horribles avaient fusé de partout, et continuent de tomber, proférées par des musulmans pour condamner l’homme jusqu’après sa mort au lieu de prier pour lui. Où se trouve la tolérance recommandée par la religion ?

A son inhumation à Thiès, en dehors des membres de sa familles et de quelques proches, seuls certains professeurs de l’université, quelques écrivains et étudiants avaient tenu à lui certifier leur attachement jusqu’à l’ultime demeure. L’enterrement et les témoignages qui se sont ensuivis dans la maison mortuaire furent émouvants. Comment expliquer l’absence restée mystère des autorités universitaires ? Ni le Recteur, ni le Directeur de l’enseignement supérieur, encore moins leur ministre de tutelle, n’ont daigné faire le déplacement ? Où se trouvait le grand Youssou Ndour à qui Oumar Sankharé avait dédié un livre, Youssou Ndour, le poète, et qui lui avait valu l’ire de quelques uns de ses collègues professeurs pour qui, Sankharé commettait des amalgames en faisant du chanteur un poète ? Pas même les autorités locales de Thiès ! Et que dire de la sommation de libérer le logement fonction, tombée la veille de sa mort pour lui « asséner le coup fatal », quelques jours seulement après sa retraite prononcée le 30 septembre, et après un rejet de sa demande de prolongation de ses fonctions pour trois ans encore, faveur accordée à tant de ses collègues du fait du déficit de professeurs ? En somme, comment le Professeur pouvait-il être si délaissé et si dédaigné, pouvait-on valablement se demander ?

L’ami. Et pourtant, le Sankharé que les étudiants ont connu était chaleureusement amical, débateur impénitent dans le jardin de la faculté des lettres, respectueux de la différence et des libertés de pensée dans tous les domaines, marqué par l’amour et la soif insatiable de connaissances, par l’esprit de partage et de générosité intellectuels, un homme que nulle tour d’ivoire ne pouvait arracher de la simplicité, de la modestie et de l’humilité. La magnanimité et la grandeur d’esprit se lisaient dans ce visage lourd aux joues pesantes, mais que fendait toujours un sourire débonnaire. Pour m’avoir corrigé mon mémoire et participé à mon jury de soutenance, et pour l’avoir fait pour tant d’autres camarades, et pour toutes les bonnes choses qu’il avait faites pour nous, nous le regrettons très sincèrement !

Mais, après sa mort et le sort qui a été le sien, on pourrait se demander aujourd’hui ce que vaut le métier de chercheur et de professeur d’université. Toute la famille universitaire doit opérer une remise en cause. Maladif, Professeur l’était bien, pour qui le connaissait. Après sa déconvenue avec une structure de santé en France, on avait le sentiment qu’il ne bénéficiait même pas d’une couverture médicale digne de son rang, il y a là matière à réflexion. En tout état de cause, on ne pourra plus jamais séparer le nom du Professeur Oumar Sankharé du destin de l’université de Dakar. Tel Cheikh Anta, tel Senghor et tant d’autres fils de ce pays, le passé se figera en destin, mais l’histoire retiendra pour les générations à venir !

Il me reste alors à présenter, encore une fois, mes sincères condoléances à sa famille, à ses proches et à tout le peuple sénégalais. Parti sans jamais nous quitter, Professeur, resteront à jamais gravés ton sourire dans nos mémoires, tes œuvres et tes conseils dans nos esprits et ta personne en nous.

Que le Tout Puissant t’accorde sa miséricorde, sa grâce, et t’élève à son paradis. AMEN !

Bocar Ndao

Doctorant en Lettres Modernes

 

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