Le Sénégal est-il un mauvais élève de la Cop 21?
Notre pays s’est encore illustré sur la scène internationale, comme si on voudrait démontrer mordicus un leadership mondial, en préconisant avec force, l’utilisation des énergies propres dans les politiques publiques des états de ce monde au vu du dérèglement climatique et de ses conséquences désastreuses sur la survie de l’humanité. Mais, le Sénégal s’est surtout distingué sur la mise en branle d’une stratégie de captation de ressources financières de compensation avec l’alimentation en milliards de dollars du fonds vert et l’instauration d’une taxe contraignante frappant les grands états pollueurs de la planète. La raison principale en est que, les pays industrialisés sont responsables à part entière du dérèglement climatique et de ses impacts négatifs qui touchent en particuliers les pays non encore industrialisés.
Si les pays non encore industrialisés exigent à juste titre une justice climatique à effets rétroactifs pour dédommager et financer certains projets de développement, rappelant à bien des égards les luttes qu’ils ont entrepris en vain pendant plusieurs décennies sur le commerce inégal avec la mise en place de fonds de compensation, il ne faut surtout pas s’attendre à des réparations tangibles, si non, à des actes au mieux symboliques. C’est dire que nous devrions privilégier l’approche écologique dans les politiques publiques domestiques par l’inclusion contraignante du développement durable ; Mieux, nous devrions aller jusqu’à qualifier de crime contre l’humanité les politiques publiques qui participent à la destruction de l’environnement.
A ce titre, il est à saluer, aussi bien en République Démocratique de Guinée, en Cote d’Ivoire qu’au Cameroun, la construction récente de grands barrages hydro électriques permettant la production en quantité suffisante d’une énergie blanche bon marché , la maitrise de l’eau et par conséquent la résilience contre les chocs exogènes.
Le Sénégal, pendant ce temps, a autorisé sur son sol la construction d’une cimenterie et de trois centrales électriques à charbon, en dépit des protestations des populations environnantes à travers les dynamiques associatives de quartier ; Nos gouvernants, n’avaient –ils pas saisi l’ampleur du phénomène en prenant aujourd’hui le train en marche, ou, étaient-ils préoccupés par des solutions à cout terme pour des urgences électoralistes préjudiciables au développement durable ?
Les questions écologiques liées à la sécheresse et aux inondations, à la dégradation de la qualité de l’air, à l’érosion marine et à la diminution quantitative et qualitative des nappes aquifères, au regard de la détérioration avancée de la nature dans notre pays, deviennent très préoccupantes. Qu’il s’agisse de politique énergétique ou industrielle, de politique agricole ou d’habitat social, de réalisation d’infrastructures ou d’exploitation de ressources marines, le respect des normes environnementales doit être la première exigence dans les processus de production et la principale conditionnalité à l’agrément de tout projet.
Au Nord du Sénégal, le désert avance à grands pas depuis les années d’indépendance, sans qu’aucune mesure hardie de contre offensive ne soit prise jusqu’à présent. Dans le Sud, le centre et l’est du territoire national, la déforestation continue de plus bel et, à l’ouest sur le littoral, la poussée de l’habitat social (pôle urbain de Diamniadio) est en train de faire disparaitre les mamelles de la biodiversité dans la zone agro-silvo –pastorale et forestière des niayes, sur toute la frange côtière de Dakar à Saint Louis.
Paradoxalement, c’est à ce moment précis de l’exigence de la prise en compte du développement durable dans les politiques publiques, bien avant le21ème sommet de Paris des états parties ,qu’on a décidé au Sénégal de l’implantation inopportune d’une nouvelle industrie de ciment avec le choix technologique d’une centrale électrique à charbon et à refroidissement par eau tirée de la nappe phréatique et trois autres centrales électriques du même combustible ,au milieu du poumon vert de la zone des niayes, en violation flagrante du respect des normes environnementales(convention de Ramsar sur la protection des zones humides).
Bien entendu, le ciment est un bien stratégique en amont de toute activité de construction et de réalisation d’infrastructures capitales pour le développement économique de nos états. A ce niveau, le Sénégal a été de tout temps autosuffisant en production de ciment et connait de nos jours une surproduction (offre de huit millions de tonnes par an pour une demande intérieure de trois millions) de ciment difficile à placer sur le marché international, au point que les trois industries actuelles existantes fonctionnent en sous capacité, lequel phénomène annule les économies d’échelle qui pouvaient concourir à la réduction des couts variables et donc, à une baisse notables des prix.
Si le Sénégal à encore besoin d’attirer des capitaux privés extérieurs, il n’en demeure pas moins que les investissements doivent être orientés vers les secteurs prioritaires de substitution aux importations, or, le ciment n’entrait pas dans le schéma de réduction du déficit de notre balance commerciale, sauf s’il s’agissait d’encourager la spéculation.
Pire, la création d’une troisième cimenterie à centrale électrique au charbon et de trois autres centrales électriques du même combustible pour la SENELEC dans la zone des niayes ‘à Sendou et à Cayar) accroit de façon exponentielle la destruction de l’écosystème avec la déforestation et la détérioration des sols, la pollution et la raréfaction des eaux souterraines et les rejets massifs de gaz à effet de serre, au grand dam des populations environnantes. Bien sûre qu’il y aura la création de peu d’emplois, mais, à quel prix ? Toute la production maraichère, horticole pastorale et avicole (secteurs à travail intensif) est en train de disparaitre dans cette zone agro –écologique.
L’usine de Dangote, localisée dans la communauté rurale de Keur Moussa dans la région de Thiès, a obtenu l’autorisation de réaliser 6 forages de capacité 80 m3/h chacun pour satisfaire les besoins en eau de la cimenterie et de la centrale électrique à charbon de 30 mégawatts qui utilise un système de refroidissement par eau.
La consommation en eau annuelle de la cimenterie et de la centrale est de l’ordre de 1 500 000 mètres cubes .Ces importantes quantités d’eau sont prélevées dans la nappe maestrichtienne de Pout qui fait partie d’un ensemble géologique appelé Horst de Ndiass. Or, cette nappe est déjà fortement sollicitée par les centres de captage de la Sde localisés à Pout pour les besoins de l’approvisionnement en eau de l’agglomération dakaroise. Il est donc évident que ces nouveaux prélèvements vont contribuer à la surexploitation et à la détérioration de la qualité des ressources en eau souterraine du Maestrichtien qui constitue le principal aquifère du Sénégal.
Il s’y ajoute que l’usine de Dangote prévoit à court terme le doublement de ses capacités productives qui entraînera inévitablement une augmentation des prélèvements d’eau sur la nappe du Maastrichtien déjà fragilisée par une très forte sollicitation. Or, nous savons, grâce aux simulations faites par le groupement de bureaux d’études Cowi-Polyconsult (2002) dans le cadre du Projet Sectoriel Eau financé par la Banque mondiale, que la remontée d’eau salée dans le Horst Ndiass, malgré les nombreuses incertitudes et imprécisions des données, est sans équivoque. Les résultats de cette simulation indiquent que d’ici 10 à 15 ans, il y aura, au rythme des prélèvements actuels, une croissance rapide des concentrations de sels qui proviendraient des remontées d’eau sur-salée profonde (upconing).
Or, ce mouvement, décrit dans son caractère inéluctable dans le Modèle Conceptuel développé par Cowi/Polyconsult, est confirmé par les simulations qui montrent que «non seulement les concentrations vont, en quelques décennies, rendre les eaux du Maastrichtien du Horst impropres à la consommation, mais encore qu’un siècle après l’arrêt des forages, les concentrations vont continuer à augmenter en raison de l’inertie et de la puissance du phénomène mis en route par la surexploitation du Horst» (Cowi-Polyconsult, 2002).
Ces conclusions particulièrement alarmantes devraient interpeller les universitaires ou experts hydrogéologues qui ont beaucoup étudié les phénomènes d’intrusion saline pour les nappes côtières sénégalaises mais qui se sont peu intéressés au phénomène d’«upconing». Les services en charge de la planification et de la gestion des ressources en eau sont aussi interpellés pour mettre en œuvre une politique d’exploitation rationnelle et durable des ressources en eau au Sénégal en veillant à protéger nos ressources stratégiques .Cri du cœur ou signal d’alerte ? Toujours est-il qu’une décision doit être prise faute de quoi la Nature les prendra à notre place, nous rendant ainsi vulnérables ainsi que les générations futures.
Le fonds vert devrait en priorité servir à financer la requalification des choix technologiques très polluants dans certaines industries pour des procédés intégrant l’énergie propre, la régénération des sols dégradés et le reboisement, mais aussi, la protection des zones humides.
A cet égard, l’état du Sénégal, dans l’objectif de la préservation de la santé publique des populations et de la promotion du développement durable doit veiller au respect scrupuleux des normes environnementales par les industries sous peine de lourdes pénalités ou même de cessation d’activité à défaut d’une mutation technologique.
Kadialy Gassama, Economiste
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Rufisque