« Les Africains ne veulent pas de leur art »
Pour la section sénégalaise de l’Association internationale des critiques d’art (Aica), l’Etat doit mettre en place de nouveaux lieux et permettre que la scène artistique soit reconnue.
Il n’y a pas d’art sans récepteur. Sinon, il ne serait qu’imaginaire. C’est ce que les acteurs de l’art au Sénégal ont compris pour tirer la sonnette d’alarme. Hier, au musée de l’Ifan, il a été question, pour la section sénégalaise de l’Association internationale des critiques d’art (Aica), de soulever les problématiques qui s’y tiennent. Comprendre la réception au Sénégal revient à comprendre que les activités de création de diffusion et de réception sont liées. Seulement au Sénégal, si les œuvres d’art ne manquent pas, la réception est tout au moins faible. ‘’Les artistes ne vendent presque pas, faute de clients. Aucun des espaces d’art ne détient de statistiques sérieuses sur le nombre annuel de leurs visiteurs. Et le constat est le même partout’’, renseigne le conférencier Babacar Mbaye Diop, enseignant chercheur en philosophie de l’art.
Le public de masse ne s’intéresse pas à l’art et en dehors des vernissages d’exposition, les espaces d’art sont visités plus par des étrangers vivant au Sénégal ou par des touristes. Si le problème s’oriente d’une part vers une absence de culture dans la société sénégalaise, d’autre part, c’est, d’après le conférencier, lié au fait que les Africains d’une manière générale ne veulent pas de leur art. Selon le philosophe, on note un certain élitisme dans la pratique et la consommation de l’art. L’élite se compose ainsi principalement de professionnels de l’art et d’intellectuels ou de cadres. Dès lors, note le chercheur, seuls les publics issus des milieux artistiques fréquentent régulièrement les lieux de l’art au Sénégal.
Pour le chercheur, le problème de fond est que les Sénégalais n’ont pas cette culture d’aller visiter des musées. ‘’On ressent le plaisir par imitation. C’est comme si nous assistons à un déracinement culturel qui est l’obstacle majeur à la jouissance de l’art africain par les Africains’’, constate le philosophe Diop. Malgré la multitude d’artistes existant au Sénégal, il note que les lieux de l’art restent concentrés à Dakar. Hormis Saint-Louis, Thiès et Ziguinchor, il n’y a ni musée ni galerie dans les autres régions du pays. ‘’L’Etat doit mettre en place de nouveaux lieux et permettre que la scène artistique soit reconnue et médiatisée’’, suggère-t-il. Il est impossible de parler de l’économie de l’art au Sénégal, malgré l’existence de la Biennale de Dakar et du festival de Jazz de Saint-Louis qui restent les événements majeurs de la culture sénégalaise, a indiqué Babacar Mbaye Diop. Selon qui le public sénégalais doit être réconcilié avec l’art, en incitant élèves et étudiants à visiter les musées.
AMINATA FAYE