Deux jours à l'école toubab, puis s'en va !
Érudit islamique de 58 ans originaire de Thiallé (département de Mbacké), oustaze Alioune Sall détient sans doute un des records mondiaux du minimum de temps passé à l'école des toubabs. Rebelle contre celui qui le minimise, râleur quand sa femme lui sert du soupou kandia, ce prédicateur de talent, polygame complet qui voulait devenir enseignant arabe est sur le terrain politique. Le temps d'une élection.
Figure remarquable de la prédication islamique au Sénégal, Alioune Sall, «oustaze» pour les fan's, tente pour la première fois d'investir le monde politique, comme EnQuête l'a révélé en exclusivité, avec son engagement pour les élections législatives du 1er juillet, sous la bannière du Mouvement de la réforme pour le développement social (Mrds) de imam Mbaye Niang. La politique, un terrain glissant, avertissent les observateurs ! Mais lui sait où il va et comment y aller, assurent ses proches qui, de manière unanime, le décrivent comme un homme «rigoureux». Et sa femme de ménage, Astou Diouf, le peint comme «très au fait de ce qui se passe dans la société sénégalaise».
A 58 ans, ce natif de Thiallé, à deux km au sud de Mbacké, a très tôt migré vers Mbacké avec ses parents. Dès l'âge de sept ans. Dans ce petit village en pays mouride, il intègre l'école française. On est alors en 1961. Mais il n'y passe que... deux jours ! Il en est très vite extirpé par un ami de son père, Serigne Moustapha Fall, papa de Oumar Diouf Fall, directeur général de Sud-fm. Motif : la priorité absolue doit être donnée à l'apprentissage du Coran. Le potache atterrit alors au daara «Coupe-Coupe» de Colobane, un patelin perdu à quelques kilomètres de Gossas. Ici, le tout jeune Alioune Sall s'astreint à la vie dure du talibé classique, et y reste jusqu'à la mémorisation complète du Coran.
C'était pour lui le moment, peut-être, d'envisager une pause après avoir mené à bien un véritable parcours du combattant. Le jeune natif de Thiallé revient alors sur sa terre d'origine, auréolé de ce grade coranique. «En fait, je suis revenu pour étudier l'arabe», précise-t-il, «et renforcer mes aptitudes en sciences islamiques en sachant manier la langue du Coran». Ce sera une autre étape de sa formation religieuse et au terme de laquelle Alioune Sall décroche son certificat d'études. A partir de ce moment, il peut rejoindre ses parents à Mbacké. «J'ai poursuivi mes études jusqu'à l'obtention du Brevet de fin d'études moyennes», indique-t-il. Puis enseignant en langue arabe il va devenir.
Globe-trotteur
Cette carrière nouvelle transforme Alioune Sall en globe-trotteur. Il va de contrée en contrée pour transmettre ses connaissances. «J'ai d'abord été affecté à Diawaré Couta, à quelques km de Kael, c'est mon premier poste dans ce métier.» Dans cette contrée du département de Mbacké, plusieurs villages accueillent l'enseignant débutant. De Ndiota Séyane à Niémé Cissé, de Keur Mbarrick à Ndiaré Touba Ndiaye, le futur célèbre prédicateur islamique se forge dans les différents villages où il passe avant de déposer ses baluchons beaucoup plus loin. Keur Serigne Louga. Mais ces expériences ont été éphémères, brèves. Et cela, Alioune Sall l'explique. À sa manière. Cet homme est un contestataire et un récalcitrant très fier de ce qu'il fait savoir et de la façon de l'enseigner, éclaire un de ses proches. Confirmation par lui-même. «Je ne voulais pas qu'on minimise le peu de savoir que je détenais. Quand c'était le cas dans une école, je préférais partir et trouver un autre point de chute.» Mais Keur Serigne Louga, ce n'était qu'une étape car le natif de Thiallé avait décidé d'embarquer pour...Tambacounda, à l'extrême-Est du Sénégal. «En fait, je n'avais plus une école où enseigner», explique-t-il.
Exil
Pour ce nouveau chemin d'exil, Alioune Sall fait ses valises. Derechef. Il a une sorte de correspondance à honorer à Dakar, comme dans une gare ou un aéroport. Son hôte n'est pas un inconnu, c'est même une personnalité de la Haute administration. Il s'appelle Ibrahima Malamine Tandian, alors gouverneur de la région-capitale. «Un ami devait venir m'y chercher pour m'acheminer à Tambacounda où je voulais aller tenter ma chance, se rappelle la star des émissions religieuses. C'était en période de ramadan.» Sa carrière va basculer !
En lieu et place d'une galère possible au fin fond du pays, Alioune Sall est coopté par quelques connaissances pour assurer des séances de «tafsir» (traduction et commentaire du Coran) à la mosquée de Dieupeul. «Les fidèles ont beaucoup apprécié le travail fourni dans cette Maison de Dieu, rappelle-t-il avec nostalgie au cours de l'entretien que EnQuête a eu avec lui il y a quelques jours. C'était tellement réussi que le commissaire Ibrahima Diallo, à l'époque au Bureau des passeports, avait appelé les habitants du quartier en réunion pour leur demander de tout faire pour que je reste, donc que je n'aille pas à Tamba.» Il en prend le risque. Tambacounda ne le verra jamais !
Casse-tête du loyer
Dakar, un mirage ? Même s'il s'intègre à la vitesse et aux exigences de la capitale, «oustaze» n'échappe pas aux mille et un signes de la précarité ! Il n'en meurt pas, au contraire. Avec le formidable sens de l'ironie qui lui est reconnu, Alioune Sall lâche, par exemple, ce bout de phrase qui renseigne sur sa situation. «Souvent, un individu qui déménage beaucoup, c'est quelqu'un qui a du mal à payer le loyer.» Tour à tour, il habitera Niary Tally, puis Benn Tally, ensuite Médina. Aujourd'hui, il semble s'être stabilisé à Castors.
Tout en continuant et en diversifiant ses prestations islamiques aux quatre coins de la ville et du pays, Alioune Sall tape dans l’œil des patrons de médias. C'est ainsi qu'il est recruté par la radio Dunya où il fait ses premiers pas, puis par Sud-fm qui cartonnait à l'époque. «Quand j'ai intégré la radio, il y a eu une nette amélioration de ma situation car les gens m'ont beaucoup appuyé.» Le destin sourit à ceux qui savent être patients, dit-on. Chez lui, c'est plus simple : Allah aide toujours ses fidèles qui lui sont reconnaissants en toutes circonstances.
«Sept coalitions voulaient m'investir pour les législatives»
Vraie star des médias et référence pour des milliers de personnes ici et ailleurs, «oustaze» n'a plus trop de temps, entre ses obligations familiales (il a quatre femmes), ses prestations religieuses à Dakar et à l'intérieur du pays, ses voyages à l'étranger sur invitations de compatriotes établis en Espagne, Italie, France... «Je ne me repose que très peu», avoue-t-il. Sa barbe blanche et bien taillée qui l'identifierait à un taliban des montagnes d'Afghanistan, et son accoutrement très islamisé cachent pourtant «un prédicateur très moderne, prompt à discuter de tous sujets d'actualité, doté d'une pédagogie extraordinaire», témoigne Ibrahim Étia, journaliste à Sud-fm. L'actu, il y est jusqu'au bout. Qui explique d'ailleurs son engagement dans ces législatives. «Chaque personne dans cette vie a une mission à accomplir et qui lui est confiée par Dieu, prêche Alioune Sall. Sept listes engagées dans les élections m'ont consulté pour m'investir. Quand j'ai vu cela, je me suis dit que ces gens-là espèrent en moi quelque chose que je dois pouvoir accomplir.» Et s'il est aujourd'hui avec imam Mbaye Niang, c'est «après avoir pris l'avis d'imams, d'érudits, qui m'ont donné leur aval», précise-t-il.
«Il râle toujours avec le soupou kandia»
Ses défauts, un de ses proches en parle. Pour regretter que «oustaze ne corrige jamais directement quelqu'un, il préfère passer par des paraboles ou autres méthodes. Or, ça peut faire du bien à un individu d'être rappelé à l'ordre de façon classique», affirme cet homme qui est avec lui depuis plus d'une décennie. Ensuite, c'est sa quatrième épouse qui en révèle un bout de son homme. «Il peut passer toute la journée à râler si on lui sert du soupou kandia (NDLR: sauce au gombo), il déteste gravement ce plat-là», confie Ndiémé Sall.
MOMAR DIENG &
ASSANE MBAYE