Publié le 20 Jul 2017 - 23:16
EL HADJI MALICK NDIAYE CONSERVATEUR MUSEE IFAN

‘’Il nous faut prendre en charge les défis liés au financement de la culture’’

 

L’institut fondamental d’Afrique noire (Ifan), en partenariat cette année avec la Direction des Arts, a organisé depuis janvier des séminaires sur les politiques culturelles. Le dernier s’est tenu hier à l’Ifan. Au terme de cet acte ultime, le conservateur du musée de l’Ifan qui a dirigé d’une main de maître ce cycle de rencontres s’est entretenu avec EnQuête. Il a fait le bilan de ce qui a été fait et dit au cours des échanges.

 

Vous venez de boucler le cycle 2017 des séminaires sur les politiques culturelles. Pouvez-vous faire un bref bilan de ce qui a été fait ?

Durant l’année, nous avons eu à penser les différentes filières artistiques. Toutes ont des questions transversales. Ces dernières peuvent concerner la stratégie de manière générale, la question du numérique, du financement et de la formation, du développement humain et de la décentralisation, ainsi que la question liée à la réglementation, surtout au statut de l’artiste. Cela est revenu de manière singulière tout au long de ces séminaires. En ce qui concerne la stratégie, à entendre parler les différents intervenants, ils sont tous d’accord sur le fait que l’Etat du Sénégal a une planification, une politique riche. Mais elle est une politique générique, puisqu’il n’y a pas véritablement une vision globale de celle-là. Or, il faut cela pour qu’on puisse se baser sur des indicateurs, des objectifs à atteindre.

Encore que cela ne suffit pas. Il faut que toute cette stratégie se pense par rapport au statut que nous voulons donner aux acteurs qui travaillent, à la représentation que nous avons du monde et par rapport à la représentation que nous avons de notre présence au monde au sein de cette conjoncture globale et à côté d’autres Etats. Une politique est une stratégie holistique et cela nous y avons pensé. Il y a également la question de paradigme qui est revenue, notamment, comment le changer. Cela, on en a parlé. La formation est une partie de ces questions. Je peux ainsi parler de la question du financement. Il se trouve, tout au long des séminaires, que cela soit pour la danse, le théâtre, le cinéma, la musique, à chaque fois on revenait sur la formation.

C’est quoi exactement le problème avec la formation ?

Vous savez, l’école nationale des arts a eu ses moments de gloire. Aujourd’hui, elle est en train de se refaire, parce qu’il y a une nouvelle équipe avec un jeune directeur. L’Isac (ndlr institut supérieur des arts et de la culture) essaie également de se faire. Il y a le Madiba Institute qui est dans la même lancée. Je pense que la formation est capitale, parce que c’est avec des acteurs bien formés qu’on peut relever les défis du futur. C’est avec ces derniers qu’on aura des acteurs capables de penser leur environnement, gérer la transmission culturelle. Des acteurs bien formés, au point de vue artistique, c’est également des produits mieux lotis sur le marché. Des acteurs bien formés pourraient aider dans la résolution de questions comme celle de la consommation. On en a beaucoup parlé.

Qu’en est-il alors du financement de la culture ?

Cette question est souvent revenue de sorte que, lors du séminaire sur le théâtre, nous avons échangé sur l’opportunité de garder le fonds d’aide ou c’est juste une subvention. Nous nous sommes demandé, si nous pouvons remplacer un fonds d’aide par un fonds de développement. Les termes ont leur valeur, parce que derrière ces mots, il y a une manière de procéder. Il y a une organisation administrative qui sera remise en question. Je pense qu’il nous faut prendre en charge les défis liés au financement. Ce dernier est lié à l’économie. Au cours des séminaires tenus ici, on a beaucoup pensé la culture comme secteur économique car il y a des acteurs qui vivent de cela. Maintenant, pour que la culture soit prise comme un secteur économique, il y a une refonte qui doit être faite dans les textes, les structures et dans le rapport que nous avons avec le produit.  

L’autre question est celle du numérique et de la consommation. Quand je parle de la diffusion des produits, c’est eu égard aux mutations sociales. Les sociétés changent, tout comme le rapport que nous avons avec les produits culturels, ainsi que la consommation. Nous avons nos smartphones, tablettes, le téléchargement, le streaming, Netflix, Deezer, Amazone, etc. Comment dans ce contexte repenser notre rapport au produit avec une interconnexion dans le temps, la rupture de la distance physique et avoir un nouveau mode de transmission des valeurs culturelles. Cette année, il y a eu le rappeur Keyti qui, à l’occasion du séminaire sur les cultures urbaines, nous a accompagnés dans cette réflexion. C’est à ce niveau donc que nous pouvons repenser nos habitudes de consommation.

Il a également été question de décentralisation, lors des diverses rencontres.

Effectivement, et je pense qu’aujourd’hui un des défis des politiques culturelles, des industries culturelles, entre autres, est la décentralisation. Nous avons aujourd’hui du mal à avoir des statistiques fiables sur l’orientation, sur la place de la culture dans les régions, les fonds alloués aux collectivités locales pour ça et le travail qu’elles font dans ce domaine. On a l’impression que tout est concentré à Dakar. Pour qu’il y ait une autosuffisance structurelle dans les régions, des expressions du théâtre, de la danse qui se présentent dans ces régions afin de créer un marché, un développement, il faudrait que les questions liées à la décentralisation soient mieux pensées pour les accorder à la gouvernance locale et aux enjeux de développement. Parfois même du développement communautaire. Ce qui veut dire qu’à ce niveau, il faudrait que les centres culturels puissent jouer un véritable rôle qui serait défini par rapport à une politique nationale de développement culturel. Malheureusement, en ce qui concerne les éléments d’appui aux collectivités locales, on a peu d’estimations, d’évaluations, d’impacts de toutes ces expressions culturelles sur la gouvernance locale.

Qu’est-ce qui a été pensé sur la réglementation ?

On a noté des insuffisances et c’était à l’occasion du dernier séminaire sur les dispositifs réglementaires, surtout en ce qui concerne les statuts des artistes qui créent plusieurs aberrations. Par exemple, le code du travail ne dit rien sur le statut de l’artiste, et le fait que la convention collective du commerce gère actuellement les acteurs du théâtre Daniel Sorano. Nous gagnerions à améliorer l’environnement juridique et réglementaire. A l’occasion du panel sur le théâtre et celui sur le statut de l’artiste, les réflexions ont concouru à ces dynamiques en lisant les aberrations auxquelles sont confrontés les acteurs. Face à ces problèmes, il y a des personnes qui ont proposé des solutions comme la création d’une convention qui puisse réglementer des questions spécifiques. Dans un cadre comme dans l’autre, je pense que sur toutes les questions qui sont citées, le statut de l’artiste est central dans l’organisation des politiques. Une politique culturelle est une élaboration qui se pense à partir d’un référent.

Ce que le politologue Pierre Muller appelle le référentiel. Cette référence-là concorde avec la manière dont nous voulons être, nous regardons l’objet d’art, le sens que nous mettons dans le terme culture. C’est en fonction de toutes ces choses que nous pouvons nous définir et définir nos politiques. C’est la raison pour laquelle la recherche est fondamentale pour une politique culturelle. La recherche est essentielle pour toute chose d’ailleurs. Elle doit être à la base, et dans nos politiques, on a constaté qu’il n’y a pas eu, dans le passé. Elles n’ont pas eu à beaucoup s’imprégner de la recherche.

Du moins, les directives, l’orientation de ces politiques n’ont pas eu à bénéficier de connaissances préalables qui se basent sur des statistiques, sur un bilan, sur des études poussées dans tous les domaines et non pas seulement sur des constats des acteurs. Même si cela est important. Ce séminaire fonctionne et commence à fonctionner au Sénégal comme un observatoire des politiques culturelles. Un observatoire est une instance où il y a des penseurs, des acteurs, des institutionnels, des universitaires, la société civile et la communauté artistique qui se réunissent et dialoguent et qui pensent les problèmes auxquels sont confrontés les différents secteurs. En ce moment, nous allons vers des choses plus intéressantes, plus cohérentes et plus dynamiques.

Des problèmes sont identifiés et solutions proposées pour les résorber. A quoi vont maintenant servir toutes ces études ?

Il y a, au moins, trois axes que j’identifie très vite. D’une part, il y a la réalisation d’un compendium des politiques culturelles qui est un objectif à long terme. Nous sommes déjà dans cette dynamique et le séminaire enclenche l’objectif final qui est un compendium des politiques culturelles au Sénégal. La deuxième chose est la publication des actes. Cependant, ces derniers vont concerner les séminaires de 2017 et de 2016. Ce qui permettra à tous les acteurs qui n’ont pas pu, pour plusieurs raisons, participer à chaque fois au séminaire d’avoir le livre et d’être au courant de ce qui était dit et de pouvoir également être un support de recherches.

Le troisième axe concret, et ça je l’espère puisque cela n’est pas de nos prérogatives, c’est l’application des suggestions. Ce séminaire est un recueil des besoins, un observatoire. Mais, il ne s’agit pas de prendre les choses et d’en faire de suite des lois. C’est un déclencheur et cela est un processus administratif beaucoup plus long qui dépendra de la Direction des Arts, du ministère de la Culture, de l’Etat, de manière générale. Il y a ainsi au moins trois choses concrètes que le séminaire aura participé à rendre possible. Depuis le début, la stratégie globale de ce séminaire était d’impliquer tous les acteurs de la chaine afin d’avoir une incidence dynamique, positive, concrète sur notre développement. Donc, il ne faut pas que l’université s’enferme dans sa tour d’ivoire. Il faut discuter tous ensemble.

Le cycle de 2017 est terminé. Qu’est-ce qui sera fait pour le prochain cycle ?

Nous avons plusieurs axes déjà pour 2018 sur lesquels nous avons commencé à travailler. Demain, à l’occasion de la cérémonie protocolaire qui clôt le festival des politiques culturelles, on va en parler. Il n’en reste pas moins qu’une chose est sure et certaine, ce partenariat entre le ministère de la Culture et l’université sera probablement reconduit. Pour l’année prochaine, il y a quelques axes saillants qui ont été développés, en 2017, comme la dimension économique de la culture va être mieux construite, mieux pensée.

 BIGUE BOB

 

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