Tout ce boucan pour un gilet de presse !
Toute cette polémique pour la remise d’un don de gilets de reporter fait à la presse du Sénégal par l’ambassade des Etats-Unis au Sénégal, dans la perspective de la couverture de la campagne électorale pour l’élection présidentielle du 24 février ! Avec une délicatesse de bison, le ministère de l’Intérieur est intervenu pour interdire la remise du don, au motif allégué que cette ‘’générosité’’ est une ingérence des Etats-Unis dans une affaire strictement sénégalaise. Vraiment ? Selon le journal ‘’Source A’’, le ministre de l’Intérieur ‘’a saisi l’ambassadeur des États-Unis pour demander des explications sur la présence du drapeau américain sur les gilets qui devaient être remis aux journalistes sénégalais’’.
‘’Pourquoi des gilets venant des États-Unis ? Si les journalistes veulent être dotés de gilets, pourquoi ne s’orientent-ils pas vers l’État du Sénégal, qui peut leur en fournir ?’’, s’est interrogé Aly Ngouille Ndiaye. Fort bien. Mais que le ministère de l’Intérieur, organisateur de l’élection, n’a-t-il pas eu cette initiative au lieu d’attendre qu’un gouvernement étranger offre de le faire à sa place ? Faire confectionner cet accessoire pour la sécurité de journalistes en reportage ne doit pas être d’un coût qui grèverait le budget du ministère de l’Intérieur : il suffirait juste de quelques mètres d’un tissu bas de gamme et d’un flocage au dos des gilets dont nos tailleurs de quartier peuvent assurer la confection.
Mais aussi, posons-nous la question de savoir si la presse elle-même ou ses organisations n’auraient pas pu se cotiser pour, collectivement, offrir à leurs reporters ce gilet qui est autant un accessoire de sécurisation des reporters qu’élément de régulation.
Oui, le gilet est un moyen d’identification du journaliste en mission et donc de régulation contre les usurpateurs et, surtout, contre les agressions, notamment des forces de l’ordre. Ce gilet permet de distinguer, voire de différencier le journaliste de qui ne l’est pas. Et en raison des risques d’infiltration et d’utilisation abusive, les reporters se doivent de protéger ce gilet contre les usages indus autant que cet habit les protège contre les agressions et leur facilite la tâche sur le terrain. Un terrain lourd de dangers, parce que le journaliste risque d’y être confondu – exprès ou par inadvertance – avec des individus aux comportements non orthodoxes.
En France, la chaîne de télévision Bfm Tv a non seulement remis à ses reporters des éléments d’identification, mais a mis derrière chaque reporter couvrant les manifestations de ‘’Gilets jaunes’’ un agent de sécurité. ‘’Chaque journaliste sur le terrain est accompagné d'un agent de sécurité, souligne Hervé Béroud, le directeur général de la chaîne. Cet agent est à même d'évaluer la dangerosité de la situation et d'intervenir en cas d'agression du journaliste’’. Les meilleures des conditions pour des reporters dont l’exposition au danger ne se suffit plus de carte de presse, ni de gilet.
Ce qui peut gêner, c’est cette propension propre à tous les donateurs qui tiennent à ce que leur générosité se sache ; une générosité qui ‘’hisse le drapeau, bat le tambour et sonne dix trompettes’’, comme nous le disait un jour un diplomate européen. Déjà que la cérémonie de remise ou de réception est assez médiatisée, il n’y a plus lieu – et c’est notre avis – que les gilets soient floqués aux couleurs des Etats-Unis. La seule mention ‘’Presse’’ au dos suffit amplement.
Aux dernières nouvelles, selon l’Agence de presse sénégalaise citant un communiqué du Syndicat des professionnels de l’information et de la communication (Synpics), ce dernier ‘’a décidé la confection et la distribution de gilets d’identification "Presse" dans les meilleurs délais, pour les besoins de la campagne électorale et du scrutin présidentiel du 24 février’’.
La leçon de cet incident est bonne à retenir pour l’avenir, afin que la presse sénégalaise et ses organisations prennent elles-mêmes des initiatives du type confection de gilets, de cartes de presse et autres dont l’obtention est trop peu chère pour mériter des polémiques et un ramdam inutiles. De tels dons aussi peu chers payés, on pouvait s’en passer.