Publié le 5 Aug 2020 - 01:17
SORTIE DU LIVRE ‘’EXPERIENCE DE VIE

Aïda Diop apporte une contribution à la réflexion sur l’être 

 

Aïda Diop confie ses expériences aussi belles, riches que douloureuses, dans son tout nouveau livre autobiographique. Dans ‘’Expérience de vie : vers une aube nouvelle’’, sans avoir la prétention d’être donneuse de leçons, elle prend position sur des aspects comme l’éducation des enfants et le respect de la femme.

 

‘’Expérience de vie : vers une aube nouvelle’’, le tout premier ouvrage de l’écrivaine Aida Diop, est un récit autobiographique né d’un journal intime. Il raconte des expériences de vie desquelles l’auteure a tiré des leçons de vie. Madame Diop y indique des manières de voir la vie et de se faire une place de savoir et de connaissance.

Ainsi, le monde du mannequinat, le tissu relationnel, la problématique de l’amitié, l’éducation, le mariage et la polygamie constituent les différents thèmes qu’elle aborde et analyse. ‘’Je me suis raconté. J’ai analysé les choses les plus importantes qui m’arrivaient dans ma vie, mon entourage, la manière dont les choses et les situations affectaient ou non ma vie’’, explique Aïda Diop.

Elle trouve que c’était important pour elle, à l’instar de ceux et celles qui l’ont précédée dans ce qu’on appelle l’autobiographie, de publier ses carnets datés pour conserver une mémoire et partager son vécu, ses ressentis à caractère social, psychologique, émotionnel, économique enrichi de difficultés et d’impasses, surtout, d’après ses dires, ‘’pour l’image très ternie de la femme à qui on ne concédait ni autonomie, ni indépendance, ni intelligence, ni capacité de se prendre en charge, en somme sans intelligence pour se confiner dans des rôles subalternes et secondaires’’.

Ainsi, dans cette entreprise, il s’agit, pour Aida Diop, de pousser les femmes à s’exprimer, à revendiquer leur être social plein de capacités, de créativité, de sensibilité. ‘’Je me suis rendu compte que j’avais envie de tendre vers ce que j’ai appelé dans une métaphore une aube de renaissance faite d’engagement pour soi et les autres, de conviction que nous les femmes nous  pouvons avancer vers des horizons prometteurs, gage de notre capacité créatrice de richesses matérielles, spirituelles sans nous perdre’’, avance-t-elle.

Il s’agit également, pour elle, dans ce livre, de donner son opinion sur l’éducation des enfants. Aïda Diop fait partie de ceux qui pensent que nos valeurs sont en perdition.  Elle estime que c’est une réalité contre laquelle il faut se battre. Elle s’indigne : ‘’De nouvelles valeurs apparaissent comme celles portées par le gain facile sans travailler, l’argent acquis vaille que vaille et souvent grâce à la corruption rampante, la gabegie, le mensonge banalisé pour arriver à ses fins.’’ Elle interpelle tout le monde, commençant par le système éducatif, l’éducation civique, la promotion de modèles dans les comportements, la morale et l’éthique. La communication et les médias, d’après elle, ont un grand rôle à y jouer. Aussi, elle invite les parents à assumer intégralement et consciemment leurs responsabilités dans l’éducation des enfants.

Car l’écrivaine trouve que ‘’nous sommes dans un monde contradictoire qui charrie de nouvelles valeurs ‘’parfois aux antipodes de nos anciennes valeurs qui s’érodent et se dissolvent dans celles importées et acceptées sans qu’on en mesure la portée’’.  Elle s’attaque, ainsi, à ‘’l’influence et à la perversion’’ de nouveaux outils de communication planétaire comme l’Internet et les réseaux sociaux. ‘’C’est la tendance et l’absence de pudeur dans les dits et gestes, la promotion de l’ostentatoire, de l’éphémère, du clinquant, du m’as-tu vu, etc.,’’ dit-elle. Avant d’ajouter : ‘’Les parents doivent en être conscients, communiquer vrai avec les enfants, les accompagner pour les prémunir et les préserver de toutes formes de tentations néfastes pour leur développement social, psychologique, affectif, psychique même.’’

Dame de fer

Aida Diop est une femme de fer. Elle a un parcours admirable. D’abord, en classe de terminale, pour soutenir ses parents, elle a commencé à travailler dans le mannequinat tout en préparant son baccalauréat. Pour autant, elle a su garder en tête les valeurs acquises dans son éducation, pour éviter de se perdre dans ce milieu. Cela lui a permis également de ne pas se laisser éblouir par des images fausses qui accompagnent la perception des femmes dans ce milieu. ‘’Ce n’était pas un travail stable, mais cela m’a permis à la fois de me forger un caractère, de respecter des principes moraux et de gagner de l’argent pour des objectifs de soutien à ma famille. J’ai été très tôt sensible à la détresse proche et lointaine qui frappait beaucoup de milieux’’, a-t-elle expliqué. 

Après son Bac, elle travaille dans d’autres secteurs, en commençant par ce que l’on appelle de petits boulots. Elle explique qu’il s’agit d’activités ‘’non vraiment rémunérées’’ et qui sont le lot de beaucoup de jeunes qui sont embauchés pour faire la promotion de produits, ‘’souvent sans grands succès’’. ‘’C’est assez harassant, il faut le dire, mais quand on connait la difficulté d’insertion des jeunes dans les structures de formation professionnelle après le Bac, puisque celles privées coûtent cher et sans vraiment de garantie d’insertion, on comprend le désarroi qui peut les frapper’’, analyse-t-elle.

Après son travail dans le milieu commercial, Aida Diop a été embauchée dans une entreprise dans laquelle elle n’a pas duré, avant d’être recruté dans un cabinet d’avocats. ‘’J’y ai passé 14 ans qui m’ont permis d’observer le monde du travail et ses lois. Je dois dire là que j’aurais souhaité progresser, acquérir de l’expérience, être promue par une formation continue, ce qui n’a pas été le cas’’, regrette-t-elle.

Néanmoins, animée par la volonté de progresser, elle a payé des cours dans un institut de la place pour améliorer ses connaissances en français et s’est inscrite dans une école de management pour décrocher sa Licence en marketing communication. Mariée entre-temps, Aida Diop conciliait travail et vie de famille. Mais elle a fini par se mettre à son compte et s’occuper de ses enfants.

Avec son premier livre ‘’Expérience de vie : vers une aube nouvelle’’, Aida apporte une contribution à la réflexion sur l’être.  Le professeur Kassé, qui a préfacé le livre, l’a souvent fait découvrir les milieux littéraires et culturels. Aujourd’hui, son ambition est de faire partie de ce cénacle d’écrivains de toutes les cultures qui s’intéressent au développement de la littérature.

TROIS QUESTIONS AU PR. MAGUEYE KASSE

‘’Le mouvement féministe n’est pas une question de Sénégalais, Africains ou autre’’

 

Vous avez préfacé le livre ‘’Expérience de vie…’’. Quel est le rapport avec le féminisme ?

Dans son ouvrage, Aida Diop marque, de mon point de vue, la place et la bataille des femmes pour plus de liberté, de reconnaissance, pour qu’on ne les confine pas à des rôles secondaires. Évidemment, l’éducation incombe souvent aux femmes. Mais prenez la lutte contre la pauvreté.

Ce sont les femmes qui portent principalement le poids de ce combat. Et les maris, en général, à midi, on leur donne à manger sans qu’ils ne se demandent comment la femme a fait pour avoir de quoi nourrir la famille. Aida Diop défend la cause féminine en disant que la femme ne doit pas simplement être regardée du point de vue de son corps. Le mannequinat, c’était ça. Les jeunes filles veulent se faire en étant mannequins.

Et elle l’écrit dans son ouvrage. Le ‘’m’as-tu vu’’ signifie qu’une fois qu’on a sa photo très belle sur un magazine, on croit qu’on a conquis le monde. Et ce n’est pas des choses extraordinaires dans le mannequinant. Il y a un moment où on lui dit : ‘’Vous devez porter ceci pour défiler.’’ Elle dit : ‘‘Non. Je ne porte pas ça, parce que c’est exposer mon corps. Et je refuse.’’

C’est du féminisme ça. La femme ne se réduit pas à son corps. Ses capacités vont plus loin. Je pense que le mouvement féministe n’est pas une question de Sénégalais, Africains ou autre ; c’est devenu universel. Les statistiques montrent que jusqu’à l’heure où nous parlons, les femmes sont encore sous payées. Et elles n’accèdent pas à tous les postes de responsabilité. On dit que quand elles sont responsables, elles ont la grosse tête. C’est vrai qu’il y a des exemples comme ça, mais il y a des hommes qui sont comme ça aussi.

Donc, en filigrane, on lit dans son texte que la femme doit avoir une place égale à celle de l’homme.  Évidemment, l’interprétation de la religion dit que la femme doit suivre le mari. Mais le monde moderne va de plus en plus remettre en cause cette place de la femme dans la société. Si nous ne nous y préparons pas, nous les hommes serons les premiers surpris. La perception que j’ai de l’auteur, c’est l’humanisme, l’introspection qui est le propre des gens très forts dans la réflexion.

Quand je l’ai lu, je me suis rendu compte qu’elle mérite d’être soutenue. Nous vivons dans une société dans laquelle il y a énormément de richesse intérieure, mais les gens ne le voient pas. Parce qu’ils s’arrêtent toujours à la surface des choses.  Si je veux décrire cette dame, je ne peux pas me contenter de ce que je vois en elle. Je dois essayer d’aller au-delà de ce que je vois dans son expression, sa manière de penser, d’agir, son commerce avec autrui, etc. Et je me dis qu’on devrait pouvoir le faire pour chaque individualité qui veut s’affirmer. Parce que dans la préface, c’est ce que j’ai essayé de mettre en exergue. 

C’est la personnalité propre de cette écrivaine qui tient un journal dans lequel elle met des choses essentielles pour elle, et en un moment donné, elle se dit : ‘’Pourquoi je vais m’arrêter à moi ? Je dois aussi parlé à mes sœurs et à la société. Donc, je publie.  Je publie non pas pour mettre à nu, mais pour que les gens voient qu’est-ce qu’un être social peut être, peut faire et comment il se projette.

D’où l’autre nouvelle. C’est-à-dire la naissance d’une autre personnalité, qui ne rompt pas avec le passé. Le passé, il est là, contradictoire. Mais c’est parce que la vie est contradictoire qu’on se bat pour résoudre la contradiction dont une seule n’est pas à résoudre : c’est la contradiction entre la vie et la mort. Mais toute autre contradiction peut être résolue. Le bien, le mal, le bonheur et le malheur sont des choses qui sont étroitement liées comme le jour et la nuit. Ça se succède, c’est un cercle. Ce livre-là, tel que je l’ai compris, mérite d’être lu et relu.

Le débat sur le féminisme refait surface, avec une déclaration de l’activiste Nogaye Babel Sow. Pouvez-vous revenir sur l’histoire de ce mouvement ?

Il a commencé par la revendication des femmes pour la Journée internationale de la femme. On l’oublie souvent, c’est la grande écrivaine Clara Zetkin, la première en Allemagne, qui s’est défendue au niveau de l’Internationale ouvrière sur la question de la femme travailleuse. Niée, elle n’avait pas de droit et ne pouvait même pas voter. Je rappelle que le droit de vote en France est intervenu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale à une voix au parlement. Si cette voix avait manqué, les femmes françaises n’auraient jamais eu le droit de voter. 

Après, les ouvrières de Chicago se sont emparées du concept. Elles ont décidé de célébrer dans l’année une journée dédiée aux femmes.  Elles se sont greffées à cette question de revendication sociale et politique du fait de la condition ouvrière. Puisque, comme chez nous, il existait fondamentalement en Europe le patriarcat. Ce sont les hommes qui décidaient. Si vous lisez ‘’Germinale’’ d’Emile Zola, vous voyez bien que les femmes étaient obligées de descendre dans les mines de charbon, mais n’avaient pas le même salaire que les hommes. Les enfants aussi y travaillaient. Donc, les choses évoluant, les femmes se sont rendu compte que quand elles ont eu des acquis, ils n’étaient pas pérennes. Et ne leur permettraient pas d’être l’égal des hommes, notamment en matière de salaire.

Chez nous, quand le mouvement féministe est né, il a coïncidé avec la lutte pour les indépendances africaines. Nous avons de grandes héroïnes ici. Il y a un très beau film qui s’appelle ‘’Les mamans de l’indépendance’’, qui reprenait un peu les traditions de lutte de l’indépendance africaine dont on a des traces dans notre histoire. Au Burkina Faso, c’est la princesse du Yennenga. Chez nous, on parle d’Aline Sitoé Diatta, Ndieumbeutt Mbodj, etc. Des héroïnes qui se sont battues contre la colonisation, pour l’indépendance et qui, après les indépendances, se sont vues reléguées au second plan. Elles étaient là pour applaudir, faire élire des gens. Mais les organisations politiques africaines ont toujours eu des organisations de femmes comme du temps de l’Internationale ouvrière. Donc, la revendication des femmes est venue ici avec la modernité. Il y a eu des organisations, mais qui étaient tellement intellectuelles qu’elles ne pouvaient pas prendre en compte le sort de toutes les couches sociales dans lesquelles les femmes avaient des places particulières comme les paysannes.

Aujourd’hui, on peut dire que l’exploitation agricole traditionnelle au Sénégal ne donne pas à la femme une place de choix dans l’acquisition des terres. On leur donne des terres qu’elles cultivent, mais elles cultivent en même temps le champ du mari. Le mot féminisme a été trop galvaudé.

Pourquoi dites-vous cela ?

Quand on dit c’est une féministe, c’est péjoratif. Or, le féminisme, c’est la lutte des femmes pour leurs droits. Et cette lutte implique nécessairement des droits sociaux. Il n’y a pas longtemps, les femmes qui travaillaient n’avaient pas le droit de prendre en charge leurs maris qui ne travaillaient pas ou leurs enfants. L’autorité parentale est encore en discussion. Il est dit, dans le Code familial, que c’est le mari qui est le chef de famille. Et les femmes se battent aujourd’hui pour que le chef de famille soit à la fois le père et la mère.

BABACAR SY SEYE (STAGIAIRE)

 

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